La nouvelle se répandit comme une trainée de poudre !

Au début certains crurent que c’était une blague. Cette date de 22 février était bien mystérieuse, d’ailleurs pourquoi un dimanche et pas un lundi ou un jeudi ou toute autre journée de la semaine. Nous n’étions pas le 1er avril, il fallait se rendre à l’évidence : c’était bien une fin qui était annoncée… La vie est ainsi faite : tout a une fin, à part les saucisses, disent sagement, les Alsaciens qui en ont deux.

L’événement était d’autant plus incompréhensible que le site se relevait à peine d’une interruption, que tout le monde avait compris : la critique est aisée, mais l’art est difficile. 

De profundis.

Il était né un jour venant prendre une place prometteuse sur le Web. Certes il lui avait fallu comme une pute rechercher ses premiers éléments auprès des habitués d’autres sites. Mais la plupart ne le regrettèrent pas, car la mâtine avait de quoi satisfaire les plumitifs en herbe.

De profundis.

Telle une belle plante, elle prospéra arrosée par la prose de la multitude de ses adeptes.

 Les barbouilleurs de papier, écrivailleurs, écrivaillons, écrivassiers, gribouilleurs, noircisseurs de papier, pisseurs de copie, scribouilleurs purent s’en donner à cœur joie. C’était bien ! N’était-ce pas la philosophie du site ?

De profundis.

Ce qui était merveilleux, c’était que dans cette logorrhée de phrases miroitaient parfois de véritables diamants. Ils faisaient oublier la banalité, la platitude, la noirceur de certaines scories.

Car bien des fois la langue française a été martyrisée, la grammaire bafouée et le pauvre Vaugelas devait se retourner dans sa tombe. Mais qu’importe la liberté d’expression est à ce prix. Nous sommes tous des Charlie, mais certains sont aussi des Charlot.

De profundis.

Si Vaugelas souffrait, Freud buvait du petit lait, ses affaires prospéraient. Combien d’honorables correspondants libéraient à travers leurs textes leurs fantasmes dont le niveau se situait en dessous de la ceinture ? La liberté d’expression est à ce prix. Les pauvres devront trouver d’autres exutoires. Grâce à Dieu Internet est un large boulevard…

De profundis.

Et les commentaires.

Le sérieux y côtoyait, la cour de récréation, les critiques les plus acerbes la brosse à reluire. Car quoi de plus pratique que l’anonymat des « pseudos » pour se défouler en toute quiétude ? La liberté d’expression est à ce prix.

De profundis.

Et bien tout cela est bien fini, un ami s’en va. On pouvait y mettre ce que l’on considérait comme la prose la plus géniale du monde, les idées bien sûr transcendantes, mais aussi les ébauches que les professeurs auraient barrées d’un grand trait rageur rouge.

De profundis.

Il s’en va, mais son souvenir restera, les plaisirs ressentis, les coups de sang, l’espérance de la perle rare quand on ouvrait le site. Un grand merci a tous les animateurs du site, que l’on aura connu que sous leurs « pseudos ».

***

En sursautant, tout en sueur, je m’éveillai.

Je murmurai : non ce n’est pas possible !

Je me précipitai sur mon ordinateur.

Ouf ! Il était toujours là !

Ce n’était qu’un affreux cauchemar…