Chères ratures, chers gribouillis,

Je l’avoue, je fus tenté de vous mépriser, je vous trouvais trop nombreux, importuns, je préférais que vous n’existiez* pas. Vous me donniez mauvaise conscience. Vous étiez pourtant mes complices dans l’assassinat des mots que vous laissiez parfois survivre, blessés mais encore vivants sous un trait trop fin pour couvrir leur existence, attirant ainsi mon regard et attisant mes remords, parfois même la tentation de les reprendre. Le remplaçant choisi était-il vraiment meilleur ? Parfois oui, il n’y avait pas de doute, mon recours à vous était pour corriger un faux pas, expulser un intrus qui défigurait mon texte et parfois aussi je vous sollicitais pour dire non ! Barrez ce chemin sur lequel je ne saurais m’engager et je vous faisais ainsi les gardiens de mon apparente sagesse, de mes timidités, de mes lâchetés.

Allons, je ne peux vous mépriser car enfin ce serait me mépriser moi-même. 

Non, j’ai trouvé mieux, désormais je vous ignore ! Oui je n’ai plus aucune trace de mes erreurs ni de mes atermoiements, quelques coup de doigts et hop ! Les mots disparaissent. Il sortira un texte net sans que personne ne sache par quels cheminements il a progressé, à commencer par moi-même, qu’est-ce que j’avais écrit déjà ? C’était peut-être mieux, je ne sais plus. Les retours deviennent difficiles. La confrontation avec les mots est quasiment instantanée, elle ne s’inscrit plus dans le temps, en tout cas si elle le fait c’est sans votre aide, cependant j’ai sans doute tort mais je n’en éprouve aucun regret. Chères ratures chers gribouillis, vous ne me manquez pas. Aux lignes illisibles que vous veniez surcharger si disgracieusement je préfère la netteté de mon écran. Et, je sais bien qu’il s’agit d’un coupable confort, mais lui il ne me reproche rien. Je pense que la plus grande mise à nu pour un écrivain (que je ne suis pas), chères ratures, chers gribouillis, est sans doute de vous publier. On le fait maintenant, souvent post mortem, précieux cadeau pour l’édification des futurs auteurs. Les utilisateurs d’écran ne pourront contribuer à cette généreuse prestation, une perte sans doute. En ce qui me concerne, je vous ai abandonnés sans la moindre honte, je pense même qu’avec vous je ne me serais jamais aventuré sur ce chemin cahoteux où l’on cueille des mots, des tournures et en rejette d’autres, où l’on choisit parfois la facilité, où l’on renonce à certains escarpements, mais cette fois sans témoins ! 

  • Que vous n’eûtes existé ou que vous n’existassiez pas ?