J’étais assis devant la télévision quand la sonnerie retentit.

Dans un geste réflexe, je sortis mon téléphone portable de ma poche. Aucun appel ! Le son feutré de la sonnerie continuait, je me précipitais dans le salon. Rien non plus, sur la ligne fixe. Et pourtant le tintement persistait.

Je jetai un œil sur l’écran du poste, deux guépards couraient allègrement dans la savane…

Était-ce chez les voisins ? Non ! La sonnerie semblait provenir de la cuisine. J’étais intrigué, car il n’y avait pas de téléphone dans ma cuisine. Je ne me souvenais pas d’avoir mis en marche un four ou un minuteur qui m’indiquerait la fin de son travail.

Le son persistait. En entrant dans la cuisine, je tournai la tête pour repérer la source sonore.

Paradoxalement l’appel semblait provenir du réfrigérateur. Je savais qu’il était capable de réagir en émettant un tintement si la porte était mal fermée. Mais je ne reconnaissais pas le bruit caractéristique. Le son ressemblait à celui d’un téléphone et semblait provenir de l’intérieur du réfrigérateur. L’alarme était-elle déréglée ?

Machinalement j’ouvris la porte du réfrigérateur. L’intensité du son redoubla… Sur l’une des grilles était posé un téléphone noir comme en avaient mes parents quand j’étais enfant. Dans un geste réflexe, je décrochais le combiné et bêtement je criais « allo ! ».

Une voix presque inaudible me dit : « le 25 mai attention ! ».

Estomaqué je reposai le combiné et refermai la porte du réfrigérateur.

Tout cela s’était passé si vite, que je commençai seulement à réagir à l’absurdité de la situation. Un téléphone dans un réfrigérateur ! Quoi de plus incongru ? Fallait-il que je sois conditionné pour répondre automatiquement sans me poser de questions ?

Maintenant les questions en arrivaient en masse ! Avais-je de la fièvre ou rêvais-je debout ? J’ouvris la porte : pas le moindre téléphone… Seuls quelques pots de yaourt et un restant de pizza me narguaient sur la grille. Cette absence me rassura, mais n’empêcha pas mon cerveau de continuer à cogiter. C’était irrationnel, mais j’avais bien la sensation d’avoir entendu cette sonnerie, d’avoir vu un téléphone, d’avoir écouté un mystérieux correspondant.

Je retournai dans le salon, la télévision continuait de marcher. J’essayai de m’intéresser aux images, mais le charme était rompu. Il me semblait entendre encore la sonnerie, mais cette fois-ci je me persuadai que c’était une aberration de mon esprit. Un moment je me levais brusquement pour aller ouvrir la porte du réfrigérateur. Rien ! Rien d’anormal !

Pourtant que voulait dire cette phase que j’avais cru entendre ? « Le 25 mai attention ! »

Un déclic se produisit dans mon cerveau : aujourd’hui nous étions le 25 mai !

Tout cela n’avait ni queue ni tête… Fallait-il que je sois bien fatigué pour imaginer tout cela ? Il est vrai que j’avais beaucoup travaillé ces derniers temps. Cette constatation me rassura un peu. Je ne devenais pas fou… le surmenage expliquait sans aucun doute ces hallucinations.

Un peu d’air me ferait du bien ! Je décidai d’aller faire une promenade dans les rues avoisinantes.

À l’instant où je passai à côté des boites à lettres, une sonnerie de téléphone retentit. Il n’y avait aucun doute, cela provenait de « ma » boite. Le cœur battant je l’ouvris. Un téléphone noir sonnait… Perdant tout sens de rationalité, je portais l’écouteur à mon oreille. La même voix résonna : « attention ! », puis raccrocha. J’étais sonné comme un boxeur victime d’un uppercut.

Hébété, je sortis de l’immeuble.

Sans trop savoir où j’allais, j’avançai sur le trottoir. Le message de mon interlocuteur continuait de retentir dans mon cerveau. Plus aucun doute, je sombrai dans la folie…

À un passage clouté, je traversai mécaniquement.

Il y eut un grand coup de frein, un choc puis une immense douleur.

Je suis là, planant au-dessus de mon corps. Je vois des gens s’attrouper autour de lui.

Je sens un étroit couloir m’aspirer. Non ! Ce n’est pas possible ! Il faut que je fasse quelque chose. Je tente de me rapprocher d’une cabine téléphonique.

Mais je suis retenu comme par un lien invisible.

Trop tard : jamais trois fois… J’ai raté la chance qui m’avait été donnée, je suis rayé du grand livre de la vie.