Écrire en atelier, c’est la question

 

Deux ou trois choses que j’ai apprises en observant des ateliers d’écriture,
et aussi en y participant.
Ces réflexions n’engagent que moi.   

 

L’envie d’écrire au sujet des ateliers d’écriture m’est venue après avoir assisté et participé à un grand nombre d’ateliers et après en avoir animé quelques uns.

Je me pose toujours la question sur les situations d’écriture qui fonctionnent et sur celles qui fonctionnent moins bien. Je me demande souvent par quelle alchimie l’animateur nous amène à écrire des textes auxquels nous ne nous attendions pas du tout, qui à la fois nous étonnent et nous satisfont. Il m’arrive de ressentir souvent de grands bonheurs et parfois aussi quelques frustrations lorsque je trouve que je n’ai pas écrit grand-chose d’intéressant.

Certains participants terminent quelquefois un peu insatisfaits alors que d’autres expriment qu’ils ont vraiment pu se libérer et produire des textes qui les ont réjouis. Le ressenti est différent d’une personne à l’autre, mais le plus souvent, sans qu’il y ait totale unanimité, ce qui est exprimé par les participants reste assez homogène.

Il me semble que le succès de l’atelier dépend fortement d’une part de la préparation par l’animateur et d’autre part de la manière d’animer de ce dernier. Je crois que cela pose en particulier la question des consignes : faut-il qu’elles soient très claires ou pas très claires, faut-il que l’animateur s’explique sur ses intentions ou doit-il les garder secrètes, doit-il induire certaines choses qu’il attend dans les textes des participants ou ne doit-il rien dire ?

Des consignes trop hermétiques ou trop laconiques me paraissent souvent perturbantes, d’abord car j’aime moi-même suivre des consignes qui m’amènent sur des pistes que j’aurais ignorées sans elles, et aussi pour d’autres participants que je sens quelquefois dans le désarroi.

 

Laisser-faire et Justification.

Je trouve que l’attitude de l’animateur qui consiste à se justifier en expliquant à posteriori ses desseins, ses intentions, n’excuse pas des consignes évasives ou absentes pendant l’atelier. Cette faiblesse des consignes est souvent brandie comme étant une attitude respectueuse de non-influence qui permettrait d’amener les participants à s’interroger, à découvrir par eux-mêmes.

Cette attitude délibérée de non-influence (Rogers pas mort, mais pas toujours bien utilisé) est probablement à moduler et certains réglages me paraissent nécessaires. Je crois vraiment qu’il existe des attitudes qui permettent d’influencer avec intégrité, en donnant des pistes, des orientations qui aident à sortir du doute et du néant.

Du néant peut naître, c’est vrai, une fleur merveilleuse, inattendue, mais le néant peut aussi rester stérile, et seulement tristement stérile. Voila pourquoi, si l’animateur sent que les participants n’arrivent pas à trouver du sens, n’arrivent pas à décoller, il peut, il doit, après les avoir laissé macérer un peu, leur fournir quelques clés.

Bien sûr, ces clés facilitantes sont inductrices et c’est pourquoi il ne faut peut-être pas les livrer tout de suite. Elles vont forcément influencer les participants à l’atelier, les orienter, mais je fais l’hypothèse que ceux qui se situent déjà sur les plus hautes marches de l’autonomie en feront fi, n’en feront qu’à leur tête, ne se laisseront pas influencer, alors que pour les autres sera évitée une quête inutile et dépourvue de sens car trop condensée dans le temps, avec trop d’exigences immédiates pour qu’eux, qui habitent les marches les plus basses, puissent exister aussi.

Distiller un peu de sens, mais pas tout de suite, permettrait à la fois de respecter ceux qui savent ou veulent penser en toute liberté et aussi prendre en compte le désarroi de ceux qui se demandent ce qu’ils sont bien venus faire là (cf. infra : à quoi ça sert ?).

 

Après avoir visité deux fois le musée du Prado, j’ai pu constater à ma troisième visite combien mon ignorance était grande. J’étais passé devant les merveilleux tableaux de Jérôme Bosch sans leur accorder la moindre attention (Jardin des délices, Charrette de foin et autres…). Merci, merci à la personne qui m’a orienté, qui m’a ouvert les yeux sur toute la richesse des peintures du flamand, qui m’a montré tout le plaisir que je pouvais en tirer. Merci pour toutes ces évocations et tous les liens que j’active encore.

Cette femme qui m’accompagnait lors de cette troisième visite aurait pu me laisser encore défiler devant de tels chefs d’œuvre, sous prétexte de non-influence, en attendant un déclic. Et je serais resté une brute ignare, je n’aurais pas eu accès à cette jouissance devant ces tableaux magnifiques pas plus qu’aux autres jouissances auxquelles cette connaissance m’a ensuite donné accès. Alors, de grâce, qu’on ne me respecte pas trop, qu’on me violente, mais pas en me laissant seul avec moi-même dans mon ignorance ou dans mon angoisse. Qu’on me montre un peu le chemin, pas trop, mais suffisamment !

 

La Zone Proximale de Développement.

Comme disait le camarade Léon Vygotsky, la ZPD il n’y a que ça de vrai. La Zone Proximale de Développement, c’est quand on sait déjà certaines choses, quand on a déjà certaines habiletés (des skills, en patois américain) et que ces savoirs et habiletés constituent une base, un tremplin pour aller un peu plus loin. Et l’habileté de l’animateur, de l’enseignant, du formateur n’est-elle pas de proposer de monter sur la marche suivante et s’appuyant sur la marche précédente ?

Si la marche est trop haute et que l’animateur ne s’en rend pas compte, le participant à l’atelier va d’abord essayer avec les moyens dont il dispose. S’il ne comprend plus le sens, s’il a conscience de ne pas arriver à gravir la marche, que va-t-il se passer ?

D’abord un vague sentiment de panique, plus ou moins envahissant selon les individus. Bien sûr, certains savent déjà que ce moment d’angoisse va passer, que le paysage va s’éclaircir, qu’il s’agit du « bon trac ». Ceux-là sont déjà assez haut dans l’escalier, ils n’en sont plus à la première marche.

Pour d’autres, le sentiment d’insécurité grandit, ils commencent à regarder autour d’eux. Les autres participants ont-ils compris, sont-ils en train de réussir, de construire des cathédrales, ou bien font-ils semblant, eux aussi ? Le malaise ne se dissipe pas, la confiance en soi et en l’animateur fuit de toutes parts, on bascule dans le manque et dans la frustration au fur et à mesure que son « image de soi » se met à ternir. Les préalables à la réalisation de soi n’existent plus : pas de sécurité psychologique, pas de sentiment d’appartenance à un groupe, pas de reconnaissance, et donc impossibilité d’une quelconque création.

Quand le malheureux ne s’enfonce pas alors dans une attitude que je qualifierais de judéo-chrétienne en se flagellant, en stigmatisant sa pauvre aptitude pour l’activité proposée (Laissez-moi mourir ici, continuez tout seuls sans moi…), il peut essayer de restaurer lui-même ces préalables. Comment peut-on restaurer ce besoin d’appartenance et de reconnaissance ?

 

Restaurer les préalables manquants.

On peut interpeller l’animateur, pour lui montrer qu’on existe et qu’on n’est pas d’accord, qu’il doit mieux nous prendre en compte et ne pas tracer sa route sans se demander où nous en sommes, ce que nous sommes venus chercher. Cette interpellation permet d’abord une affirmation de soi et peut-être même aussi – pour peu que d’autres participants s’associent à la revendication – la restauration du sentiment d’appartenance, ce qui peut avoir pour effet de liguer le groupe contre son animateur. On est alors très mal parti, l’animateur maladroit va camper sur son statut (c’est moi qui dit ce qu’on fait et je suis là pour cela) et la tension va monter.

J’ai vécu un jour un atelier qui m’a plongé dans une certaine perplexité. J’espère que la personne qui en assurait l’animation n’est ni enseignant, ni formateur, ni éducateur, ni accompagnant, ni suiveur, ni coach ou quoi que ce soit de cet acabit.

Des poncifs et des généralisations culpabilisantes telles que « Vous êtes adultes, vous devez prendre votre autonomie » ou bien « C’est douloureux, mais tous les accouchements se font dans la douleur » ont de quoi me hérisser vraiment, de même que d’autres arguties du genre « C’est complexe, je n’ai pas choisi la facilité », comme si justement la difficulté n’était pas de faire simple ! C’est avec de telles attitudes, des tels arguments et un tel discours qu’on contribue à enkyster l’échec personnel, à développer les sentiments de dévalorisation, à générer frustration, puis irritation, puis révolte, ou encore rejet indifférent ce qui est encore pire.

J’ai toujours su intuitivement que c’était plus facile de faire compliqué et incompréhensible que simple et limpide. Oui, c’est vrai que ce qui est compliqué, ce qui est difficile, c’est de faire simple, et cela demande une bonne dose d’empathie.

Quelques animateurs hypocrites qui ne savent alors plus gérer la situation vont probablement arguer que la vie n’est pas un long fleuve tranquille, que c’est du conflit que naissent les plus belles créations, du conflit intérieur aussi, vous ne croyez pas mon cher ? Ceux là veulent nous rendre autonomes malgré nous et sans que nous y comprenions rien, et nous faire croire qu’ils ont souhaité en arriver exactement là, qu’ils ont parfaitement géré la situation. Hypocrites, j’ai dit ! Nous ne sommes pas en thérapie.

Oui, je suis capable d’autonomie, mais il faut m’aider un peu. Un paradoxe ? Et pourtant, on n’autonomise pas un enfant en lui disant qu’il doit traverser seul la rue après avoir bien pris en compte le contexte. Certains le croient, par manque de réflexion, par flemme ou par démission. C’est ainsi que les hôpitaux, les morgues et les cimetières se remplissent de ceux qu’on a fait semblant d’aider en les livrant à eux-mêmes.

 

L’arme fatale.

L’animateur – j’en ai vu – peut sortir aussi l’arme fatale. Devant un participant qui exprime son insatisfaction devant sa production qu’il juge pauvre, creuse, sans intérêt, l’animateur fait le forcing pour expliquer tout ce qui est beau, intéressant, fort, dans ce texte que son auteur considère comme mauvais ; ce qu’on appelle en termes choisis le renforcement positif.

Belle attitude qui probablement se veut encourageante, altruiste, valorisante mais qui pour moi ne fait qu’enfoncer le malheureux auteur dans son sentiment de nullité : on lui conteste même son jugement sur ses propres productions, il est dépossédé de son libre arbitre. Et voila comment l’enfer est pavé, on le savait, des meilleures intentions.

Je persiste à croire qu’on peut laisser quelqu’un penser que son texte est médiocre. Après tout, il n’y a pas que des chefs d’œuvres. Et ce n’est pas aider l’auteur que de lui asséner une vérité à laquelle il ne croit pas, que de l’obliger à reconnaître les admirables pépites que recèle un texte qu’il renie.

C’est un jugement, et un jugement n’a jamais contribué à donner de l’autonomie à qui que ce soit, on le sait depuis Porter. Dans le meilleur des cas, ce jugement va renforcer la dépendance affective ou intellectuelle de celui qui le reçoit et conforter le statut dominant du maître de céans qu’est l’animateur.

 

Faire dire, laisser dire.

La bonne attitude paraît plutôt de faire expliciter par la personne les raisons qui font qu’elle trouve son texte sans intérêt, la faire parler pour libérer l’émotion, pour l’amener à s’accepter et à trouver elle-même des pistes possibles. On peut aussi, toujours par des questions, l’aider à relativiser la médiocrité ressentie en lui demandant de comparer cette production à d’autres qu’elle a déjà réalisées dans d’autres contextes.

Comme les formateurs en Techniques de vente s’appliquent à l’expliquer depuis longtemps : « En cas d’opposition, toujours accepter l’opposition, puis la relativiser en mettant en avant un point positif pour la personne et en faisant accepter ce point positif par une question amenant à dire Oui ». Vous pouvez essayer, ça marche, c’est de la technique. Mais comme de toute technique, on peut en faire une utilisation perverse.

Il ne s’agit pas ici de manipuler son interlocuteur, mais de l’aider à prendre un meilleur recul sur l’ensemble de la question (son sentiment de nullité), dans une attitude de neutralité bienveillante. Faire dire et laisser dire. Il est vrai que l’atelier d’écriture n’est pas non plus une psychothérapie, qu’un animateur d’atelier n’est pas un thérapeute et qu’il doit clairement fixer les limites de son art.

 

Et quand quelqu’un dit : « Je n’ai rien compris, je suis frustré », il est vain de lui expliquer que ce n’est pas vrai. On peut toujours lui opposer que c’est dans de telles inquiétudes que naît la véritable création, dans cette sorte d’angoisse qu’on arrive à se surpasser, à gravir l’Olympe. Encore faut-il qu’il soit prêt à l’entendre, qu’il y ait déjà pensé un peu, qu’on lui ait déjà fait ressentir de telles choses. Faute de quoi, on s’expose à un rejet brutal.

 

La posture et l’imposture.

L’animateur devrait se poser quelques instants la question de la finalité de ses ateliers pour les personnes qui y participent ; pas la finalité pour lui-même, mais la finalité pour les personnes qui sont venues dans cet atelier.

Qu’attendent-elles, que sont elles venues chercher ? Une telle empathie permettrait probablement de prendre chaque participant « où il en est » sans faire de présupposés sur ce qui est bon pour lui, sur ce qui va l’amener à se dépasser, et d’ailleurs peut-être ne cherche-t-il pas du tout à se dépasser.

L’animation pose et posera toujours la question de l’hétérogénéité des groupes. Tous les participants ne partent pas du même vécu, des mêmes expériences, des mêmes points de vue, n’ont pas les mêmes attentes, les mêmes pudeurs, les mêmes résistances. Certains ont déjà fait un long travail sur eux-mêmes (cette expression me fait toujours sourire), d’autres pas du tout, d’autres sont peut-être là pour cela. Et pourtant, il faut que l’atelier fonctionne, dans le respect de chacun et que chacun y trouve son compte. Belle alchimie !

Je crois qu’il existe un certain nombre de questions auxquelles l’animateur devrait répondre afin d’adopter une posture adaptée à son public, assez souple pour tenir compte des caractéristiques, des attentes et des possibilités de ce public. Ignorer le public et avoir un déroulement et des consignes immuables, figés dans un présupposé de ce qui est bon, serait risquer l’échec, c’est-à-dire la stérilité de l’atelier, une probable blessure narcissique pour l’animateur, et surtout la perte de motivation et le découragement des participants.

Les questions qu’on pourrait se poser :

Q1 : Si mon public était d’un âge très différent, est-ce que je proposerais la même chose, est-ce que je dirais les mêmes choses ? (Si par exemple c’était des enfants, des immigrés, des polytechniciens, des artistes…)

Q2 : Jusqu’où dois-je préciser les consignes ? Où se trouve la bonne mesure, pour ce public, entre aucune consigne (écrivez ce que vous voulez, vous êtes assez grands pour cela) et une série de consignes carcans et finalement inhibitrices. En résumé, à quoi sert de donner des consignes, pour quelles raisons en donne-t-on ? Quel effet attends-je de ces consignes là, à ce moment là, avec ce public là ?

Q3 : Si le temps accordé était de deux heures plutôt que de quatre heures, est-ce que je procéderais de la même façon ?

 

La consigne.

Comme je l’évoquais déjà plus haut, je me pose souvent la question de la consigne, que je relie à l’explicitation des intentions de l’animateur. La question est la suivante : faut-il donner des consignes plutôt précises ou plutôt larges, plutôt floues ou plutôt claires ? L’animateur doit-il expliciter pourquoi il propose telle ou telle activité, tel ou tel enchaînement dans les phases de son atelier ou doit-il rester opaque là-dessus ?

Cela dépend… Belle réponse, on s’en doutait bien, mais cela dépend de quoi ? Probablement davantage du public et de ses finalités que des intentions de l’animateur.

 

 

À quoi, ça sert, l’atelier ? Que suis-je venu faire là ?
La finalité.

Que viennent chercher les participants aux ateliers d’écriture (je parle de ceux qui viennent spontanément) et que faut-il mettre en œuvre pour répondre à leurs attentes ?

Après mûre réflexion, après avoir longtemps observé les participants, les novices et les chevronnés, ceux à la plume facile et les plus laborieux, ceux qui parlent et ceux qui se taisent, je crois que ce que tous viennent chercher ressemble beaucoup à de l’estime de soi. Ils viendraient donc tous pour augmenter un peu l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes ?

Comment y arrivent-il ? Eh bien, si l’atelier est bien conduit, ils y arrivent en se prouvant et en prouvant aussi aux autres – car il n’est pas indifférent, bien sûr, que cette activité se passe en groupe – qu’ils sont capables, capables de s’intégrer à un groupe, capables surtout d’être reconnus par les autres, sans jugement, et enfin capables de se dépasser par une production, une création personnelle.

C’est probablement là la vraie finalité des ateliers d’écriture.

J’ai lu que la seule finalité dans un atelier d’écriture, c’était d’écrire ! Je trouve que la question de la finalité demande qu’on s’y attarde davantage. Ignorant de la véritable finalité, comment l’animateur pourrait-il produire un scénario d’animation convenable (science sans conscience, etc…).

La finalité n’est pas d’écrire, ce serait bien trop simple. Écrire reste une finalité intermédiaire, c’est-à-dire un moyen pour atteindre d’autres choses.

 

Quand il s’agit d’identifier les finalités, j’adopte la méthode qui consiste à poser de façon récurrente la question « Pourquoi » jusqu’à ce que je trouve que de la poser encore une fois n’aurait pas de sens. Il me semble qu’alors, j’ai eu l’exigence suffisante pour trouver la vraie finalité.

En l’occurrence, les participants viennent dans un atelier d’écriture, mais pourquoi ? Bien sûr, pour écrire, mais le fait d’écrire n’est pas la finalité, ils pourraient fort bien rester chez eux et certains arriveraient parfaitement à écrire, pourtant ils viennent, les voila. Il me semble que l’écriture, la production de textes, la création ne sont que des étapes intermédiaires, des moyens pour atteindre une finalité, moins bien identifiée par les participants, qui est l’estime d’eux-mêmes.

Si on leur demandait pourquoi ils sont venus, certains nous diraient : « Pour me détendre,… pour passer un bon moment avec d’autres personnes intéressées par les mêmes choses que moi,… parce que tout seul je n’arrive pas à grand-chose,… parce que c’est chaque fois un plaisir et un étonnement,… »

Pourtant, quand on les observe, quelle satisfaction ne peut-on manquer de noter lorsqu’ils ont produit un texte qui leur plaît, qui leur « correspond » vraiment, quand leur production s’intègre bien aux autres productions du groupe. Certains se montrent même capables de cabotinage, cherchent plus ou moins discrètement à séduire, en trouvant la formule qui va fonctionner, faire rire, accrocher tout de suite.

Si on considère la pyramide de Maslow – par ailleurs taxée de simpliste par les experts mais qui reste un bon outil pour comprendre le jeu des motivations humaines – si l’on considère donc la pyramide de Maslow, ceux là sont probablement par cette attitude en train de satisfaire leur besoin de reconnaissance. D’autres ont dépassé ce stade, ils ont davantage confiance en eux, ont certainement une meilleure image d’eux-mêmes. Ils ont déjà été reconnus et ne cherchent plus cela. Ils écrivent pour eux-mêmes, ils sont sur la marche supérieure de la pyramide, ils se réalisent et même parfois se surpassent. Parfois modestes mais souvent de plus en plus sûrs d’eux, ils n’attendent plus trop le regard des autres, ils deviennent seuls juges pour eux-mêmes.

Cela aussi me semble de nature à renforcer l’estime qu’ils ont pour eux-mêmes : ils savent qu’ils peuvent maintenant s’affranchir du regard des autres, se libérer de cette dépendance, et ce sentiment est probablement très valorisant.

 

Mais que fait la police ? Les préalables à la participation.

Et l’animateur dans tout cela, est-il là pour seulement compter les points ? Tous les animateurs sont-ils conscients de ce qui se joue pour chaque participant ? Je ne parle pas de gérer tout cela, ce serait trop présomptueux, mais à minima d’entre être conscient, conscient des vraies finalités (c’est-à-dire de ce que veulent atteindre les personnes) et des moyens nécessaires à l’atteinte de ces finalités.

 

Je viens d’évoquer les personnes pour qui l’estime d’elles-mêmes passait par la reconnaissance par les autres et celles pour qui elle passait par une plus grande autonomie dans la création.

Parmi les personnes qui fréquentent les ateliers d’écriture, il en existe aussi d’autres qui n’ont pas encore atteint ces degrés élevés. Pour les y amener, il faut que l’animateur contribue à répondre d’abord à un certain nombre de besoins qui constituent le socle de la pyramide : besoins primaires ou physiologiques, besoins de sécurité en particulier psychologique, et besoin d’appartenance à un groupe.

 

Les besoins primaires sont probablement les plus faciles à prendre en compte, mais quelqu’un qui a trop chaud, trop froid, qui a faim ou besoin d’aller aux toilettes ne sera pas vraiment disponible pour participer à quoi que ce soit. L’animateur doit veiller à ce que ces besoins soient correctement satisfaits pour les participants et cela pendant toute la durée de l’atelier.

Le besoin de sécurité psychologique doit être pris en compte en indiquant les règles du jeu, le cadre de l’atelier (thème, durée et objectifs généraux), les modalités possibles d’intervention des participants, le déroulement général de l’atelier et le type de production ou d’attitude attendu chez les participants (« Je vous demanderai de faire ceci ou cela, vous pourrez vous comporter comme ceci ou comme cela, vous aurez le droit de faire ceci ou cela, etc.»). Bien sûr, chaque participant n’a pas les mêmes exigences quant à l’information nécessaire pour répondre à ses besoins de sécurité et le discours peut paraître long pour certains qui voudraient entrer dans le sujet avec moins de préliminaires. L’animateur a la solution de demander à ceux-ci de l’excuser pour ces quelques préambules et d’expliquer qu’ils sont nécessaires pour ne pas laisser sur la touche dès le départ les quelques participants qui ont besoin d’être rassurés.

C’est aussi dans cette phase de prise en compte des besoins de sécurité qu’il faudra tranquilliser ceux qui sont à jamais fâchés avec l’orthographe et qui ont peur d’être jugés, en indiquant peut-être que toutes les orthographes sont admises et que le but n’est pas là. Rassurer enfin ceux qui craignent dès le départ de « ne pas être à la hauteur » en rappelant qu’il n’y a pas de hauteur à atteindre, que toute expression est recevable dans le respect de la déontologie (racisme, ostracisme, prosélytisme, …).

 

Le besoin d’appartenance à un groupe est peut-être plus délicat à satisfaire, surtout pour un atelier qui ne dure que quelques heures et qui réunit des participants qui ne se connaissent pas. Dans ce cas, l’animateur pourra évoquer ce qui est commun à l’ensemble des participants et qui peut leur permettre d’exister, même momentanément, en tant que groupe. Par exemple, le désir de chacun d’écrire, de s’étonner de la production des autres, de fonctionner sans jugement de valeur sur les productions réalisées pendant l’atelier, la volonté de respect d’autrui, le souhait de développer de l’empathie envers les autres participants, etc. La réponse à ce besoin d’appartenance sera plus facile dans les groupes constitués pour une durée plus longue, par exemple de plusieurs jours.

 

Les effets du groupe.

Attention cependant à l’effet normatif du groupe. On est rassuré dans un groupe auquel on a le sentiment d’appartenir, mais il existe au moins deux dérives possibles dans le cadre d’un atelier d’écriture.

La première dérive réside dans l’habituel phénomène de leadership. Un des participants peut prendre la parole plus souvent, de manière plus affirmative voire plus péremptoire et cette attitude peut générer un certain confort chez ceux qui ne veulent pas ou ne savent pas intervenir dans un groupe, mais aussi provoquer des peurs ou des inhibitions, ce qui est contraire aux effets attendus. C’est à l’animateur de réguler tous les phénomènes de leadership de manière à ce que chacun trouve sa liberté d’expression dans le respect du groupe et des autres individualités.

La deuxième dérive, dont il est peut-être plus difficile de prendre conscience parce qu’elle s’installe plus lentement, est la pression de conformité du groupe, ce que j’appelle l’effet normatif. Au début, le groupe est constitué d’individualités dont les habitudes, les modes de pensée, les goûts, les points de vue sont différents. Au bout d’un certain temps de fonctionnement du groupe, on constate toujours – c’est obligatoire – un lissage de cette diversité, une convergence vers ce qu’on pourrait appeler pour résumer « des pratiques communes ». Cela contribue à l’harmonie des relations au sein du groupe et rend son fonctionnement plus facile, plus agréable, plus naturel puisque chacun tend à se conformer à une règle commune souvent non énoncée.

Dans le cadre d’un atelier d’écriture qui fonctionne sur une période longue avec les mêmes participants, cette inévitable pression de conformité peut réduire la variété, la diversité et l’originalité des approches des individus qui composent le groupe.

Sans que les participants s’en aperçoivent, des règles communes et informelles s’installent. Il est clair qu’au fil du temps on constate que certains types de productions, certains styles d’écriture sont davantage valorisés que d’autres par le groupe, passent mieux la rampe comme on dit. J’ai constaté avec un certain dépit que les textes le plus valorisés étaient ceux qui se voulaient (et qui l’étaient souvent) humoristiques.

Sans être particulièrement cabots, sans avoir une envie délibérée de séduire, un certain nombre de participants va progressivement abandonner son style personnel pour entrer dans une norme subrepticement établie. C’est dommage, car cela limite la création.

J’avoue ne pas avoir de véritable solution pour réduire ce phénomène qui peut constituer un réel inconvénient. Même en établissant d’entrée de jeu que la norme, c’est qu’il n’y aura pas de norme, cela ne me semble pas suffisant pour lutter contre la puissante pression normative d’un groupe.

 

En conclusion, je voudrais dire qu’il y a des idées dangereuses, des présupposés quelquefois malsains, des certitudes qu’il faut abandonner, des postures qu’il faut varier en fonction du public et de ses attentes.

Il existe des moments magiques, mais cela n’est pas toujours le fait du hasard, c’est bien souvent le fruit du travail de l’animateur par son originalité, ses talents d’organisateur et de créateur, son empathie envers les membres du groupe et envers le groupe en entier.

L’animation des ateliers d’écriture n’est pas une science exacte, ne le sera jamais et tant mieux ! Mais même pour les plus talentueux, l’improvisation ne peut éclore qu’à partir d’une trame bien construite, bien préparée.

Que l’animateur veille à ce que chaque participant se réalise, à ce que chaque participant y trouve son compte et, même quand il n’a pas bien élucidé ses propres finalités, à ce que chaque participant soit heureux d’être là, dans le respect de l’expression des autres !

 

Voilà les deux ou trois choses que m’inspirent l’observation et la pratique des ateliers d’écriture avec des adultes.