Chère Rosemonde,
Je t’écris ce soir de Budapest où je viens d’arriver. Je dis que je t’écris, mais tu sais que depuis l’attentat à Belfast, j’ai perdu la vue et que je ne peux plus écrire.
Alors, j’ai demandé à une bienveillante jeune femme, très serviable – elle me dit qu’elle s’occupe beaucoup des autres – d’écrire cette lettre sous ma dictée. C’est une personne très souriante ; même les yeux fermés je peux reconnaître un sourire… Elle a même accepté de m’héberger chez sa tante à Pest et je ne sais comment l’en remercier.
Le voyage s’est bien passé, dans un wagon assez cosmopolite où nous avons fini à faire un bœuf avec mon voisin, peu loquace mais excellent musicien ! Je n’avais que mon harmonica mais j’ai tout de même réussi à bien participer à ce délire musical.
Une énorme foule semblait envahir les quais de la gare. J’entendais crier des policiers – tu sais que je comprends le hongrois – ; ils invectivaient des cohortes de migrants massés là. Décidément, cette ville et ses palais au bord du Danube ont vraiment perdu toute mémoire, et si vite ! Eux aussi avaient tant caressé des rêves d’Ouest… derrière ces barbelés qu’ils furent pourtant les premiers à abattre.
Bon, je ne peux rien à cela…
La tante de mon accompagnatrice est vraiment accueillante, je sens même que je lui plais… Ne sois pas jalouse, ma Rosemonde, je ne t’ai pas oubliée, je ne t’oublie pas et jamais je ne t’oublierai, mais ma vie va ainsi, de port en port, de quai de gare en quai de gare.
Ce soir, je vais aller dans les bars de Buda, près du Danube, je vais bien arriver à trouver un piano ou quelque chose pour gagner quelques forints et offrir un bouquet à mon hôtesse.
Comme moi, elle adore la poésie persane et possède même quelques traductions en tchèque. Elle m’a promis de me lire quelques poèmes dès que je reviendrai. Je me sens vraiment bien ici !
Je sais que tu ne peux pas me répondre, je n’ai pas d’adresse, je ne sais pas où je serai dans une semaine, mais un matin ou un soir, peut-être une nuit, je viendrai frapper à ta porte.
Toujours à toi.
Zigmund Frantzek