La croûte et la mie

Crôute pain et terre

Planté-là, sans un sou, au milieu de cette plaine luisante après l’effort. Planté-là comme dans un tableau de Millet.

Il attendait une obole.

Une parole, une parabole, un symbole…

Vint à passer un boulanger, courbé sous le poids des fagots qu’il ramenait à son fournil.

Sous ce soleil couchant, la plaine restait comme du pain qui brûle, qui craque, qui mûrit, qui s’ouvre comme un ventre de mère, pour une genèse parfumée comme une brioche.

Ah ! Marie-Antoinette ! Quand, à la dérobée, le pain à la bouche, tu voulais pour les gueux de la brioche ! se prit-il à penser. 

Le boulanger s’arrêta pour se reposer un instant.

Donne-moi quelque chose, fit l’homme : une obole, une parole, une parabole !

Je n’ai pas de pain pour toi, lui dit le boulanger en s’essuyant le front, mais je vais te confier quelque chose : la mer est loin, alors je ne te dirai pas “Sous les pavés, la plage“, mais “Sous la croûte, la mie…“, fit-il solennellement.

Je ne comprends pas, répondit l’homme.

L’important n’est pas de le comprendre, mais de le savoir ! dit le boulanger en reprenant son fardeau.

Mais…, fit l’homme.

Et je vais te dire une autre chose : plus c’est dur à l’extérieur, plus c’est tendre à l’intérieur. Médite cela, ajouta-t-il dans une sentence définitive.

Ces paroles résonnèrent comme une promesse sensuelle pour le malheureux.

Le silence se fit de nouveau sur la plaine, le soleil avait disparu sous l’horizon. Et pendant que le boulanger s’éloignait, il commença à rêver de femmes courbées, pétrissant la chair du pain comme leurs propres chairs, sous un soleil rouge, dans des cuisines noires où jouaient des chiens roux andalous, aux pattes molles et tendres comme des éponges qui venaient le caresser.

Et il s’endormit, là, sur cette plaine belle comme du pain.

C.G. 08/11/17