Etant en panne d’inspiration je publie un texte écrit il y a quelques années pour participer à un concours organisé au village de Pouzilhac ( à vos cartes !). Le seule contrainte était d’introduire une référence locale.

Le mystère du livre et de l’olivier

Du haut de sa tour Rostaing, accoudé à un créneau, rêvait. Sa pensée, stimulée par la beauté du paysage et chevauchant quelques vers amoureux et aériens, s’évadait vers le coeur de Clémence. Les maisons du village se pressaient au pied de la colline rocheuse sur laquelle se dressaient les hauts murs de sa forteresse et, plus bas, la Tave sillonnait la vallée. En face sur le versant nord, un peu moins haut que le sien, se dressait son voisin le château de Laudun. Le Rhône roulait à l’est son flot puissant vers la mer et plus loin dominait l’immense montagne, majestueuse et siège de grands mystères. Dans la plaine, écrasés de soleil et régulièrement espacés s’étalaient les oliviers que son père avait fait planter. 

Yvan, Charles et Elise ne se sont jamais rencontrés. Chacun ignore tout de la vie des deux autres mais ils ont en commun de fréquenter régulièrement le même endroit sans le savoir, car ils y viennent à des moments différents. Yvan, tôt le matin, s’y arrête pour reprendre son souffle, c’est un jeune homme actif qui court ses dix kilomètres deux fois par semaine. Charles est retraité, il vient là l’après midi, quasiment tous les jours, hiver comme été, et dès que la température le permet il s’adosse au tronc du vieil olivier et là il se laisse aller à ses souvenirs. Quant à Elise elle est professeur, le jeudi après ses six heures de cours elle sort du collège exténuée et elle a pris pour habitude de faire un petit détour pour s’aérer, se changer les idées, se calmer avant de revenir chez elle où la journée n’est pas terminée. 

Un jour, dans la fraîcheur matinale, et faisant sa halte habituelle, Yvan remarque un livre que l’on a placé dans un creux du vieux tronc. Il hésite, le feuillette et en amateur de romans policiers il ne résiste pas à la tentation de l’emporter. Il le lit d’un trait, c’est un de ces polars qu’on ne peut lâcher. Il va enfin connaître le dénouement quand, désespéré, il constate que la dernière page a été arrachée. La frustration est à la mesure de la construction du roman, parfaite et diabolique, de celles qui vous coupent du monde et vous font frénétiquement tourner les pages jusqu’au dénouement, qui lui a échappé ! Il remet le livre où il l’a pris, avec l’intention très ferme de parvenir un jour à connaître la clé de l’énigme, même s’il ignore tout à fait comment il faudrait s’y prendre. 

Le lendemain, alors que le soleil est bien haut, Charles s’apprête à s’assoir quand il distingue, dans une des nombreuses cavités que présente cet olivier plusieurs fois centenaire, un bouquin à la présence incongrue. Il hésite, prend le temps d’en lire quelques passages et en historien amateur il ne résiste pas à la tentation de l’emporter. De retour chez lui il le dévore car il traite de l’histoire de la Sabranenque, il se passionne surtout pour la période des XI° et XII° siècle. Mais c’est justement là que manque une page cruciale. Le lendemain il le restitue au vieil arbre et passe l’après midi en compagnie des seigneurs de Sabran, tentant de reconstituer par l’imagination ce qu’il n’avait pu lire dans cet étrange ouvrage, en espérant qu’un jour, sans savoir comment, il trouverait l’épisode lui faisant défaut. 

Le jeudi suivant Elise est en rogne contre son principal qui, au prétexte de l’épuisement des crédits, vient de lui refuser une sortie pédagogique longuement préparée avec son collègue d’arts plastiques. Rageusement elle tourne en rond sous le feuillage gris-vert, en plus les élèves de 4°2 très agités lui ont vraiment mis les nerfs en pelote, y a des jours comme ça. L’heure avançant elle décide de rentrer quand son regard est attiré par un livre soigneusement disposé dans une anfractuosité du vieux tronc. Elle hésite et finit par s’en saisir, sourit, et en amatrice de poésie elle ne résiste pas à la tentation de l’emporter. Jusque tard dans la nuit elle se délecte de merveilleux poèmes, bien loin du collège, du principal et de la 4°2. Elle attendait des vers sublimant l’amour qui fermeraient ses yeux sur un repos idyllique et bien mérité, mais près de la reliure elle découvrit les traces de déchirure d’une feuille absente. Elle s’endormit tout de même en pensant qu’il faudra entreprendre des recherches sans avoir le début de la moindre piste. 

Aucun des trois ne souhaite en rester là et aimerait mettre la main sur la page manquante, mais comment ? Par où commencer ? D’autant que cet étrange bouquin ne porte aucun titre ! Yvan épuise Wikipédia, Charles répertorie et visite toutes les médiathèques des alentours, Elise compulse les anthologies poétiques, mais rien, aucune trace nulle part de ce mystérieux ouvrage. 

Le hasard, comme l’on dit, faisant bien les choses, un certain jeudi Yvan n’ayant pu courir le matin décide de le faire après sa journée de travail, Charles ce jour là s’attarde dans ses rêveries nostalgiques un peu plus que de coutume et Elise, qui n’a jamais rencontré personne en ce lieu, les trouve au pied du vénérable olivier. Après quelques banalités sur le beau temps, la douceur de la saison et la chance d’habiter ce pays, c’est Charles qui le premier évoque le livre, tous trois, ébahis, racontent alors leur découverte dans le détail et s’assurent par de menues descriptions qu’il s’agit bien du même ouvrage. C’est le document d’histoire locale que j’ai toujours cherché. Mais non ! S’exclame Yvan, c’est un thriller haletant ! Pas du tout ! Rétorque Elise, c’est une recueil de poèmes d’amour, sensibles et beaux ! Alors s’étire un long moment de silence où se lit une interrogation angoissée sur les visages, car voici nos trois lecteurs confrontés à un étrange mystère, et ce n’est pas la coïncidence de la page manquante qui les rassure. C’est donc dans la plus grande perplexité qu’ils se séparent après avoir décidé d’unir leurs efforts. Rendez-vous est donné le jeudi suivant à la même heure en cet endroit. Quelque chose de très intriguant les lie désormais. 

Cette nuit là Elise fait un rêve très doux, un fier chevalier vêtu de blanc lui susurre à l’oreille le plus beau des poèmes d’amour. Yvan fait un noir cauchemar ! Un archer posté dans l’olivier l’attend pour sa pause, le vise et lui décoche une flèche ! C’était lui la victime de son polar ! Horrible ! Il se réveille en sueur, content de se sentir encore en vie. Charles a une nuit plus paisible. Il découvre dans les profondeurs du tronc de l’arbre millénaire un vieux parchemin qui relate une partie de la vie d’un des seigneurs du château de Saint Victor. 

Une semaine étant passée nos amis se retrouvent, impatients de raconter leur rêve. Elise en rosit de plaisir, l’oeil de Charles s’allume de curiosité et Yvan affiche un visage d’une pâleur inattendue chez un sportif comme lui. Charles, du haut de sa sagesse d’ancien prend la parole le premier pour remarquer que leurs songes sont venus, d’une certaine façon, combler le vide de la page arrachée, ce qui satisfait peu Yvan, certes un arc pourrait tout à fait être l’arme du crime, mais en ce qui concerne la victime, c’est quand même un peu difficile à avaler. Charles dit alors : ” Chacun a trouvé dans ce livre ce qu’il y cherchait, est-ce si étonnant ? Ne mettons-nous pas une part de nous-mêmes dans chacune de nos lectures ? Et la prolonger dans un songe est somme toute assez banal, quand on termine une oeuvre captivante il est toujours difficile d’en sortir et la nuit l’esprit y revient à sa façon; je vous concède cependant que tout cela est bien étrange ! Mais n’est-ce pas là le mystère de la littérature qui ne connaît aucune limite, ni d’espace, ni de temps, ni d’imagination ? “.”Et quelque chose me dit que nous ne sommes ni les premiers, ni les derniers. Et dire qu’il y a eu une femme à qui ont été destinés ces merveilleux poèmes !” soupira Elise avec un brin de jalousie dans la voix.

Quand les ombres commencèrent à s’allonger, Rostaing abandonna son donjon et descendit dans la grande salle où l’attendait son écritoire. Il n’eût qu’à coucher les mots d’amour que son coeur lui avait dictés tout au long de l’après midi. Puis il se saisit d’un deuxième parchemin afin de poursuivre son travail d’écriture pour l’histoire, un travail de témoignage sur sa vie, ses combats, sa famille.

Demain il rencontrera cette sorcière, descendue des forêts de la grande montagne, d’où elle tire des pouvoirs surnaturels. Il lui demandera de trouver le meilleur moyen pour que son poème parvienne aux oreilles de Clémence et, qui sait, puisse transporter d’autres amours dans le futur, et que ses écrits historiques soient également transmis à la postérité. Pour ce rendez-vous la sorcière a choisi parmi les oliviers de son père celui dont le tronc se tord déjà au bord du chemin

Précisons qu’elle n’était pas une vielle femme aux doigts crochus et aux verrues sur le nez, non, jeune et souriante elle inspirait la plus grande confiance. Elle tendit la main pour prendre les deux parchemins. Mon Seigneur je suis la seule à connaître un charme qui va satisfaire votre souhait, il s’incarne en un jeune archer qui sait traverser le temps mais qui restera toujours lié à cet arbre. Son chemin préféré est celui des songes et il trouve toutes sortes de stratagèmes pour attiser les curiosités. Je dois cependant vous avouer que c’est un fantaisiste et un taquin, il inventera sans doute ses propres histoires, et jouera quelques tours. Mais soyez tranquille il ne trahira jamais votre pensée. Quant à moi je ne demande d’autre récompense que celle de savoir qu’à travers les siècles vos mots si beaux seront offerts à des rêveurs qui les accueilleront pour satisfaire de secrets désirs 

Affaire conclue, sorcière du Ventour, et laissons l’archer s’amuser mais que tout cela reste entre nous dit Rostaing et, satisfait, il remonta lentement vers son château.