Dans un texte les signes de ponctuation, noyés dans un flot de lettres indifférentes, organisaient un colloque.

 Un colloque de signes de ponctuation ce n’est pas banal, cela mérite que l’on s’y intéresse.

À l’image des humains, chacun d’eux essayait de se mettre en avant et de convaincre les autres de sa supériorité.

La seule chose sur laquelle ils étaient d’accord, au départ, était l’importance de l’existence d’une ponctuation dans un texte.

Certains auteurs ont écrit des ouvrages en s’astreignant à ne pas utiliser certaines lettres.

Par exemple « La Disparition » est un roman en lipogramme de Georges Perec publié en 1969. Son originalité est que, sur près de trois cents pages, il ne comporte pas une seule fois la lettre « e », pourtant la plus utilisée dans la langue française.

Georges Perec, encore lui, est reconnu comme le champion de ce genre de lipogramme. Il a publié également un livre dans lequel ne figure aucune ponctuation !

 

La majuscule en début de phrase (signe de ponctuation), peu de gens le savent, est la seule à pouvoir parler des expériences d’écriture sans ponctuation. Elle seule figure dans des livres où les autres signes de ponctuation sont proscrits par les auteurs.

 

 

Comme exemple elle cita le livre de Georges Perec, « L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation » publié en 1968.

 

 

Le livre commence par :

Ayant mûrement réfléchi ayant pris votre courage à deux mains vous vous décidez à aller trouver votre chef de service pour lui demander une augmentation vous allez donc trouver votre chef de service disons pour simplifier car il faut simplifier qu’il s’appelle monsieur xavier…

 La phrase et le livre se terminent 80 pages plus tard.

La gourgandine en profita au passage pour affirmer sa supériorité : aucun autre signe de ponctuation ne figurait dans ces 80 pages, hormis elle !

Le point d’exclamation pouffa de rire et le point d’interrogation faillit en perdre son point.

  • Ta démonstration frise le ridicule, Georges Perec a été encore trop timoré, il n’avait pas besoin de majuscules, son livre aurait été encore plus innovateur !

La virgule approuva :

  • Je suis bien d’accord : cette longue, trop longue phrase est aussi désespérante que le désert de Gobi. Quel lecteur parviendra au bout de ce livre ? Il est en apnée permanente. Une ponctuation bien disposée lui aurait permis de respirer, de mieux apprécier les idées développées par l’auteur. En résumé « lire » et non pas d’ingurgiter une suite de mots dont la cohésion, donc la signification reste à élaborer par le lecteur.

Le colloque démarrait mal…

 

Chaque signe de ponctuation mit alors en exergue son importance.

La virgule souligna la nécessité de sa présence dans les phrases, quand on lit à haute voix.

  • Elle permet à la personne qui lit de respirer en lui indiquant la nécessité d’une pause.

Avec un air condescendant, le point-virgule intervint en répliquant :

  • Jolie virgule je ne nie pas ton intérêt, mais moi j’indique une pause plus longue ce qui prouve ma supériorité sur toi.

Dans l’assemblée plusieurs signes de ponctuation, assis les uns à côté des autres, le point-virgule, le point d’exclamation, le point d’interrogation et les points de suspension s’esclaffèrent.

  • Vous nous faites bien rire avec vos pauses ! Sans nous les lecteurs ne s’arrêteraient jamais, entraînés dans une logorrhée interminable, dénuée de sensibilité !

Inutile de dire que les petits, les sans-grade : les parenthèses ( ) , les crochets [ ] , les guillemets « », le tiret (—), le trait d’union (-),et la barre oblique (/) essayèrent en vain de convaincre leurs coreligionnaires  de la richesse qu’ils apportaient dans les phrases permettant de mettre en exergue un mot ou un groupe de mots.

En vain…

Inutile de dire que l’apostrophe (‘), les accolades {}, la perluète ou l’esperluette &, l’alinéa, l’astérisque * et les appels de note n’eurent pas plus de succès.

Leur plaidoyer fut à peine écouté, d’autant qu’ils étaient bien minoritaires.

Ils allèrent bouder dans leur coin…

Dans le silence qui s’était établi le (#), un signe très en vogue, prit la parole :

  • Je ne comprends pas bandes de ringards que vous vous disputiez pour une première place ? Celle-ci me revient indubitablement !
  • Que feraient les jeunes sans mon existence ? Je n’aurai pas l’outrecuidance de rappeler mon importance ! Que serait l’hashtag sans être précédé de mon symbole ? 

 

Les guillemets « » pouffèrent de rire :

  • Importance, importance ! Tu penses que tu serais digne de figurer dans un texte littéraire ? Tu n’es qu’un anglicisme qui n’ose pas s’appeler tout simplement mot-dièse ou mot-clic !

Les parenthèses ( ) ajoutèrent doctement :

  • Comment oses-tu parler de nouveauté ? Il y a bien longtemps que tu existes en musique ! Ce n’est pas parce que tu changes légèrement de forme passant de ♯ à # que cela te donne une quelconque primauté ! Si nous voulions faire un peu d’humour, nous dirions que tu ne mérites aucun « follower » !

 

Les signes de ponctuation ne sont pas meilleurs que les hommes, ils ne purent trouver d’accord pour décider celui qui était le plus utile.

Comme chez les hommes, ils décidèrent de créer une commission baptisée pompeusement : « Analyse sémantique, ordonnée et universelle de la ponctuation dans la langue française ».

 

À l’instar des hommes il y a fort à penser que cette commission aboutira à un consensus sur l’absence d’accord sur le sujet !

Mais, toi lecteur qui est étranger à cet étrange colloque tu as bien compris que c’est une absurdité d’attribuer une quelconque primauté à un signe de ponctuation ou à un autre.

Chacun à sa manière contribue à construire, magnifier notre belle langue française.

Pour mettre fin à ce débat, l’auteur du texte où avait lieu le colloque le barra de traits rageurs, roula la feuille en boule et la jeta dans la corbeille à papier !