En mon gîte je songe.
Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?
Je suis plongé dans un profond ennui : je décide donc d’aller me promener.

En ce mois d’août parisien, la température est idéale pour arpenter les rues de la capitale.  La ville est d’un calme inhabituel, les Parisiens sont partis en masse vers les stations balnéaires, les montagnes, la campagne ou l’étranger. On est assuré de bénéficier du calme des rues à la condition d’éviter les lieux touristiques de la capitale : la tour Eiffel, le Louvre, Montmartre, par exemple. Je redécouvre ou même je découvre certains immeubles du début du siècle, dont la qualité de l’architecture et des matériaux fait de Paris une ville unique et incomparable.

Je redécouvre, car je suis déjà passé dans certaines rues sans regarder les yeux fixés sur le trottoir poussé par la fièvre urbaine. Dans ce calme du mois d’août, la lenteur de mes pas, ma disponibilité à l’environnement me permet de voir la ville sous un jour nouveau.

Seul le hasard guide mes pas. Comme il est agréable de pouvoir vaquer sans but précis.

C’est un véritable bain de jouvence, à côté du quotidien où tout est planifié.

Je ne peux donc expliquer par quel itinéraire j’aboutis à côté du cimetière du Montparnasse. Il y a bien longtemps que je ne l’ai pas traversé.

Je me souviens brusquement qu’un de mes arrière-grands-oncles y est enterré. Prosper c’est son prénom. Ce prénom me faisait bien rire quand j’étais jeune. Oncle Prosper était sous-chef de bureau au ministère de la Marine.  Une blague familiale était de chanter quand il n’était pas là : « Prosper yop la boum, c’est le roi du macadam ». Car cet oncle n’avait rien d’un comique ! Grâce à lui nous avons une concession perpétuelle au cimetière du Montparnasse. C’est précieux quand on ne veut pas « reposer » dans une lointaine banlieue…

 

J’adore les cimetières, contrairement à ce que l’on pense ce ne sont pas des lieux tristes. On y trouve le calme, qui fait défaut dans les rues de la ville. Ils sont chargés de l’histoire de ceux qui nous ont précédés.

Paris est un lieu privilégié pour les amateurs de cimetières. Pour ne citer que les plus célèbres : le cimetière du Père-Lachaise (20e), le cimetière de Montmartre (18e), le cimetière de Bercy (12e), le cimetière de Passy (16e) et le cimetière du Montparnasse (14e).

Quand j’entre dans le cimetière, c’est comme si je pénètre dans un autre monde. C’est en quelque sorte un bout de campagne au milieu de la ville. Un millier d’arbres, sophoras, érables, tilleuls, des thuyas, des frênes et des conifères viennent souligner l’alignement des tombes. Là, le visiteur peut y oublier le brouhaha de la ville, l’air y semble plus respirable.

La vue de toutes ces tombes, de ces gens qui se croyaient indispensables et éternels, me rend plus humble.

Sous le ciel bleu, j’apprécie encore plus la vie, cadeau dont on ne profite pas assez. Et parmi tous ces inconnus dont je ne connaitrai jamais rien, je pense à ceux que l’actualité a mis en exergue.

Muni d’un plan bien documenté, disponible à l’entrée, je me rends sur la tombe de Jacques Chirac qui est visible sur une place, à côté de la statue du « Génie du sommeil éternel ».  Ce monstre politique n’est plus qu’un homme, qui repose à côté de sa fille Laurence.

Non loin de là, je peux aller me recueillir sur la tombe du fumeur de Havane ; Serge Gainsbourg y est enterré à côté de ses parents Olga et Joseph Ginsburg. Des admirateurs ont déposé sur la pierre une multitude de tickets de métro, et, tragique ironie, une bouteille vide de vin.

Le hasard a bien fait les choses à côté de la tombe du chanteur, se dresse la tombe d’une autre merveilleuse chanteuse Juliette Gréco enterrée avec Gérard Jouannest, son pianiste (accompagnateur également de Jacques Brel), et son époux en ultime noce.

Je souris intérieurement. Peut-être ces deux phénomènes de la musique font un duo, la nuit quand le cimetière est fermé…

Je m’apprête à aller voir la tombe de Jean Paul Sartre et de Simone de Beauvoir, quand j’aperçois un convoi qui pénètre par l’entrée principale de cimetière !

Immobile, je suis la progression du cortège à travers les allées du cimetière. Il me revient des souvenirs de mon enfance. J’habitais dans un immeuble, sur une place, à côté d’une église. Selon le son des cloches, je savais qu’une cérémonie se déroulait : une messe, un mariage ou un enterrement. Au début les défunts arrivaient dans un corbillard tiré par deux chevaux. L’équipage a vite été remplacé par un fourgon. Ainsi, j’avais côtoyé, très jeune, l’existence de la mort. Adulte j’avais souvent été à l’enterrement d’un membre de la famille ou d’une connaissance.

Mais aujourd’hui le convoi est celui d’un inconnu. Le cortège s’immobilise. Cet enterrement ne me concerne pas et j’aurais dû tourner mon regard. Mais la curiosité est la plus forte ! En contournant précautionneusement les tombes, je m’approche.

Déjà les employés ont placé un cercueil sur des tréteaux et la foule s’assemble autour.

Placé loin derrière le rassemblement, j’essaie d’écouter les discours des personnes qui se succèdent autour du cercueil.

Une jeune fille qui est à côté de moi me dit.

  • Vous êtes de la famille ?

Troublé par cette question, je bafouille.

  • Non ! Je suis un ancien collègue de travail.

Ma réponse parait la satisfaire. Elle me répond.

  • Oui Louis était beaucoup apprécié !

 Je ne peux distinguer la famille qui est de dos.

Je m’interroge. Que fais-je là ? Je me suis transformé en voyeur. Comme ces personnes qui se précipitent dès qu’il y a un accident.

Après tout je ne le connaissais pas ce Louis. Bien que ce soit sûrement un homme très bien !

Le hasard de mes pas m’a conduit dans ce cimetière. Ce même hasard m’a incité à m’intéresser à cet enterrement. Il est temps que je continue ma visite.

Sous une pierre tombale grisâtre, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ont continué leur union pour l’éternité. Ils sombrent peu à peu dans l’oubli. Sur la tombe, sont disposés seulement un modeste pot de chrysanthèmes jaunes, deux pauvres bouquets fanés et de nombreux cailloux, sans doute ramassés dans l’allée, offrandes de quelques lecteurs.

Au loin la cérémonie se termine, je vois les gens se disperser et par petits groupes ils se rendent vers la sortie.

Je me penche pour ramasser un caillou et faire moi aussi mon obole au couple Jean Paul Sartre et de Simone de Beauvoir.

Des pas derrière moi…

Sans doute des gens de l’enterrement

Je me retourne…

Je vois ma femme et mes enfants !

Que font-ils là ?

Je m’écrie !

  • Pourquoi êtes-vous là ? De qui est-ce l’enterrement ?

Ils passent sans même me regarder. Comme ils ont l’air tristes.

Je tente de courir pour les retenir, mais je suis figé comme si j’étais englué !

Je hurle, je hurle, mais ma voix semble s’éloigner de moi.

Puis tout tourne inexorablement !

Je sombre dans le néant.