Pendant que la terre et l’onde
S’allient pour verdir les marronniers
Pendant que jusqu’en Pologne
On arrose de vodka les pavés de saumon

Pendant que depuis le parvis de Saint Pierre
Giovanni Montini nous asperge d’eau bénite
Pendant que l’aurore dépose
Des baisers amoureux sur les bancs publics

Les nantis ont des sueurs froides
Le grand capital ne sait pas
Quitter sa myopie de tenaille silencieuse

Des syndicats effarés, sans boussole
Peinent à ramasser les miettes
De ces sabots grondant sur le bitume
Et Moustaki sans la nommer nous parle d’elle
Et Reggiani chante Ma liberté
Liberté, liberté, liberté !
Elle s’appelle révolution permanente

Et sous les pavés l’on découvre
Des plages inouïes de tendresse
De rires, de fraternités oubliées
Quand tous les pavés numériques
Ne savent plus compter ces fleurs
Qui envahissent les murs où
Il est interdit d’interdire

Va-t’en, mon drôle, respire, aime
Imagine !

Imagine des univers où
La vérité ne sera plus séquestrée
Où le mensonge fondra comme ce bitume
Sous les feux brûlants de tous tes espoirs
Aux couleurs de colombes bleues
De rameaux d’olivier ceignant tous ces fronts populaires
Aux cœurs enfin rafistolés, vibrants
Dans l’air de mai

Un air de liberté de liberté qui flotte sur les avenues
Et l’amour…  en veux-tu ? en voilà !
Jusqu’au bout de toutes les étreintes
De toutes les nuits d’émeute
Où l’on pleure main dans la main
De ce mai lacrymogène

Je m’applique à lire un pavé de Raymond Aron dans Le Monde
Pendant que tout
Pendant que même les poissons, les coquelicots
Les marchandes de quatre saisons, même
Les concierges, les imprimeurs, les comptables
Les poissons des jardins publics
S’appliquent à jouir sans entrave

Pendant qu’au printemps tout explose et renaît
Le sage sent un vent nouveau
Et frais
Caresser son visage

Le plomb ne se transmute plus en or
Mais en plume d’ange

Des meutes d’anges innocents
Comme des pâquerettes entassent
Des pavés de barricades
Pour clore derrière eux les jougs
Du passé mensonger

Traverser le miroir
Pour se retrouver nu
Étourdi
Sans plus croire à sa mémoire
Tout oublier dans ce floréal heureux