Isabella Tomasi était la fille d’un riche drapier de Palerme.

 Son frère aîné Federico et elle, eurent une enfance heureuse entourée d’une famille aimante.

Tout naturellement, Federico devait à reprendre la draperie de son père et Isabella était destinée à se marier avec un riche parti.

Les prétendants ne manquaient pas, car la jeune fille était fort belle et sa dot conséquente.

Mais comme souvent les choses ne se passèrent pas comme prévu.

Il advint qu’à l’âge de 15 ans Isabella tomba amoureuse de Giulio. Plus âgé qu’elle d’une dizaine d’années, il était tisserand dans l’entreprise de son père.

Leur idylle longtemps cachée fut rapportée à son père. Celui-ci adorait sa fille, mais il ne pouvait supporter l’existence de relations entre Isabella et Julio. Ce garçon avait déshonoré la jeune fille et il fut renvoyé sur-le-champ.

Edouardo Tomasi ne voyait qu’une solution, il fallait d’urgence qu’Isabella se marie pour cacher cette atteinte à sa virginité.

Un riche commerçant en alcool et spiritueux veuf d’une soixantaine d’années, peu regardant sur le passé de la jeune fille était prêt à l’épouser.

Mais le barbon la dégoûtait et la jeune fille refusa d’obéir à son père.

Ses parents furieux décidèrent de l’envoyer au couvent.

C’est ainsi qu’Isabella Tomasi entra au couvent sicilien de Palma di Montechiaro.

Résignée sachant qu’elle ne pourrait plus jamais revoir son grand amour Julio, elle trouva son réconfort en se plongeant dans la religion. Après avoir prononcé ses vœux, elle devint sœur Maria Crocifissa della Concezione.

Dans le calme du couvent des Bénédictines, la vie d’Isabelle fut rythmée par la répétition immuable de la journée découpée en huit messes.

Elle se réveillait en fin de nuit pour l’office des matines, première prière destinée à sanctifier le temps de la nuit. Avec les autres nonnes, sœur Maria Crocifissa della Concezione psalmodiait longuement, des chants entrecoupés de longues lectures suivies de chants de réponse destinés à intérioriser les lectures.

Suivaient les Laudes, prières destinées à honorer le lever du soleil.

Puis la journée était marquée par la Tierce à 9 heures du matin, la Sexte à midi, la None à 15 heures, commémorant l’instant où le Christ est mort sur la Croix. Le soir

les Vêpres et les Complies chantées par les nonnes peu après le coucher du soleil juste avant d’aller dormir, clôturait la soirée.

La vie de sœur Maria Crocifissa della Concezione était donc parfaitement réglée et aurait pu se dérouler ainsi pendant des années jusqu’à ce que la vieillesse ou la maladie la conduise « dans la paix du seigneur ».

Ce ne fut pas le cas !

On ne sait pas pourquoi « le malin » choisit Isabelle pour exercer son maléfice…

Un matin, avant les matines, le 11 août 1676 sœur Maria Crocifissa della Concezione se réveilla couverte d’encre, devant la table de sa cellule et avec une lettre mystérieuse à ses pieds. Manifestement cette lettre était de sa main.

Le papier portait des caractères de l’alphabet runique, du latin, du grec ancien, de l’arabe. Incompréhensible.

Affolée, elle se précipita dans la salle où devaient se dérouler les matines.

Elle raconta aux autres nonnes que, « possédée par Satan », elle avait rédigé ce message.

La mère supérieure s’empara de la lettre et bondit dans la cellule de sœur Maria Crocifissa della Concezione. Celle-ci était tout en désordre comme si une colonie de vandales avait sévi. Le crucifix accroché sur le mur était carbonisé et encore fumant. Une odeur de soufre imprégnait l’air.

Pendant ce temps les autres religieuses essayaient de calmer leur consœur en transe qui ne cessait de hurler en prononçant des phrases incompréhensibles.

L’histoire rapporte que parmi tous ces borborygmes les nonnes avaient cru comprendre que le diable en personne avait supplié sœur Maria Crocifissa della Concezione de le servir et l’aurait possédée.

Devant cette situation satanique, la mère supérieure fit enfermer la sœur Maria Crocifissa della Concezione dans un cachot du monastère et la lettre mystérieuse fut placée dans un coffret métallique que l’abbesse rangea dans le prie-Dieu de son bureau.

Le diable s’emparant du corps et de l’esprit d’une bénédictine ! Cette affaire dépassait largement la congrégation.

Son éminence Andrédozzo, cardinal de Palerme, fut sollicité par la mère supérieure.

 Pensant qu’il ne pouvait décider seul des suites à donner, il consulta le pape

Il connaissait personnellement Antonio Pignatelli originaire comme lui de Bari. Antonio Pignatelli était devenu pape sous le nom d’Innocent XII.

Le pape n’eut aucune hésitation, cette affaire relevait de la sainte Inquisition !

C’est pourquoi, peu de temps après, le grand Inquisiteur monseigneur Luigi, avec ses sbires, débarquait au couvent de Palma di Montechiaro.

L’hérétique fut tirée du cachot et emmenée au château de Milazzo, citadelle, haut lieu de l’inquisition sicilienne pour y être interrogée.

Les sbires du grand Inquisiteur ne purent rien en tirer de cohérent. Elle ne cessait de hurler : bientôt, le Styx sera certain ! 

L’eau bénite, le crucifix posé sur son corps, les prières rien n’y fit. Le démon, qui la possédait, ne voulut pas sortir de son corps.

Malgré le renfort de tous les lettrés de l’Italie, le déchiffrage de la lettre écrite par sœur Maria Crocifissa della Concezione fut impossible.

Sans aucun doute elle était rédigée dans une langue inventée, reprenant des éléments de tous les alphabets que connaissait la nonne un mélange de grec ancien, d’arabe, d’alphabet runique et de latin. 

La lettre fut envoyée au pape qui la rangea dans les archives secrètes du Vatican.

Quant à Isabella Tomasi, après excommunication elle n’était plus sœur Maria Crocifissa della Concezione. Elle termina sa vie misérable au plus profond d’un cachot de château de Milazzo. Que Dieu ait pitié de son âme…

***

Au cours des siècles qui suivirent, de nombreux chercheurs essayèrent de déchiffrer la mystérieuse lettre. En vain.

Un jeune doctorant en Histoire médiévale de l’Université de Palerme décida de s’intéresser à ce document qui dormait dans la bibliothèque du Vatican.

Quand il soumit son projet à son directeur de thèse, celui-ci leva les yeux au ciel.

  • Pourquoi veux-tu te pencher sur cette lettre, résultat des élucubrations d’une nonne folle ? De nombreux historiens l’ont examinée et disséquée sans en révéler le sens caché ! Manifestement tous ces signes couchés sur le papier ne sont que la conséquence d’un esprit dérangé ! Tu te crois plus fort qu’eux…
  • Si tu t’intéresses aux textes d’indéchiffrables, tu as par exemple le disque d’argile datant de 1700 ans avant J.C, découvert à Phaestos en Crète, couvert d’une écriture énigmatique. Je pense aussi aux « Bois parlants » de l’Ile de Pâques tablettes de bois couvertes de caractères pictographiques ou enfin plus près de nous, le mystérieux manuscrit de Voynich rédigé en Europe centrale au 15esiècle, il est à peine plus grand qu’un livre de poche moderne, un ouvrage médiéval écrit dans un langage indéchiffrable et inconnu.

Mais le jeune Aldo Mastriani était têtu ! Certes il choisit un des thèmes proposés par son directeur de thèse, mais il continua ses recherches sur la mystérieuse lettre de sœur Maria Crocifissa della Concezione.

Les paroles de sœur Maria Crocifissa della Concezione au moment de sa crise hystérique devait avoir un rapport avec le texte indéchiffrable qu’elle avait écrit quand elle était en transe.

Le Styx est l’un des fleuves des Enfers, qui sépare le monde terrestre de l’enfer. Le Styx, affluent de la Haine, le Phlégéthon rivière de flammes, l’Achéron fleuve du chagrin, le Cocyte torrent des lamentations et le Léthé ruisseau de l’oubli, convergent au centre du monde souterrain vers un vaste marais.

Le jeune chercheur éplucha consciencieusement tous les écrits des hommes de sciences ou d’église qui s’étaient penchés sur ce texte mystérieux.

D’après eux sœur Maria était une linguiste douée, mais peut-être souffrait-elle de schizophrénie. L’un d’eux affirma :« Il s’agit d’un alphabet précis, surement inventé par la nonne avec beaucoup de soin, en mélangeant des symboles qu’elle connaissait. Chaque symbole est bien pensé et structuré, il y a des signes qui se répètent, et cela montre une initiative soit intentionnelle, soit inconsciente. »

Le jeune Aldo Mastriani était conscient que pendant 340 ans nombre de lettrés s’étaient acharnés à déchiffrer la lettre mystérieuse et la plupart d’entre eux avaient renoncé en concluant que la nonne était bien atteinte de schizophrénie d’où il ne fallait pas chercher une cohérence dans tous ces alphabets.

Mais nous l’avons déjà précisé, le jeune chercheur était têtu. Certes il ne se considérait pas comme un nouveau Champollion, mais il était persuadé qu’il pouvait disposer de nouveaux traitements de l’information, inconnus autrefois, qui allaient lui permettre de révéler le sens du texte.

Il comptait en premier lieu sur les ordinateurs de l’Université de Palerme.

Après une étude approfondie de la vie de la nonne, il introduisit dans un logiciel l’ensemble des alphabets que la sœur avait pu rencontrer durant sa vie.

Aldo Mastriani en était convaincu, il détenait la clé de l’énigme. Profitant des moyens mis à sa disposition pour réaliser sa thèse officielle, il s’était documenté sur les différentes méthodologies mises en œuvre par plusieurs chercheurs, dans le monde entier pour casser le code de différents documents cryptés.

Rien n’est impossible ! Pour se conforter dans ses recherches il avait inscrit au-dessus de son lit la phrase suivante :

éradique les poux des cheveux et de la barbe“.

Une phrase écrite en langue cananéenne il y a 3.700 ans, sur un peigne à poux, découvert sur un site en Israël et décodée récemment par des archéologues israéliens après de nombreuses tentatives infructueuses.

Mais les ordinateurs, l’Université de Palerme avaient beau mouliner pendant des heures, rien ne sortait d’intelligible de leurs composants.

Le jeune chercheur malgré son enthousiasme commençait à désespérer.

Une nuit il lui vint une idée … Le Dark web !

Le Dark web est l’endroit où tout est disponible. Il s’agit souvent des choses illégales et parfois des choses horribles.

On peut trouver de tout sur le Dark web, au sujet de la drogue, de la prostitution, de la pédophilie.

 Aldo Mastriani savait qu’on peut aussi y trouver des programmes utilisés par les services de renseignement pour déchiffrer les messages secrets.

Ces programmes sont en évolution permanente, reflets de la lutte perpétuelle entre les États et les forces maffieuses. Quand les informaticiens parviennent à casser les codes des messages secrets entre les réseaux de drogue, de prostitution ou de pédophilie, ces réseaux reprennent un temps d’avance en réalisant de nouveaux programmes.

Mais, comment accéder à ce Dark web et en particulier aux programmes de déchiffrages de messages cryptés ?

L’idée mit longtemps à émerger, mais elle jaillit un matin alors que le chercheur buvait son café : Luigi Volpone.

Luigi était un camarade d’enfance de Taormine, ils avaient été ensemble à l’école et avaient crapahuté souvent dans la montagne et au bord de la mer. La vie avait ensuite éloigné les deux garçons.

Aldo avait réussi à poursuivre des études alors que Luigi plus dilettante était devenu plombier.

C’était presque inévitable en Sicile : il s’était fait embrigader par la maffia locale et au fil des années avait gravi les échelons de la hiérarchie maffieuse.

Pour Aldo, Luigi Volpone était la solution à ses problèmes !

Bien que leurs voies aient divergé, ils avaient maintenu des contacts.

Quand Aldo lui exposa sa requête, Luigi fut plus que réticent.

Il fallut que son camarade d’enfance lui explique qu’il ne s’agissait pas de déchiffrer des messages de mafieux, mais plus simplement d’essayer de traduire en des signes intelligibles, la lettre de la nonne, pour que Luigi accepte de l’aider à pénétrer sur le Dark web et ainsi utiliser un logiciel spécifique au décryptage.

Muni de toutes les clés de fonctionnement du logiciel, Aldo déclencha le processus sur son ordinateur.

Le décryptage mit plus d’une heure pour réaliser le décodage de la lettre mystérieuse.

Enfin l’impression se mit en marche.

En tremblant, le jeune homme s’empara de la feuille sortie de l’imprimante.

Il comprit enfin la signification des paroles de la nonne : bientôt, le Styx sera certain !

Mais il était trop tard, déjà dans le ciel terrestre des fusées intercontinentales se croisaient allant porter la mort nucléaire aux quatre coins du monde.