De notre envoyé spécial au sein d’un nuage d’étourneaux.

Jour J : Le nuage

Savez vous qu’un nuage d’oiseaux porte aussi le joli nom de murmuration ? Un mot qui nous viendrait des ducks, nos frères d’outre manche, et de plus loin encore de nos ancêtres latins les anatis.

Nous nous rapprochions donc de cet immense rassemblement aérien. Nono volait à mes côtés, il ne cherchait pas à dissimuler sa fierté. « Je ne te livrerai pas tous nos secrets, nos regroupements intriguent aussi les humains qui émettent toutes sortes d’hypothèses. Pourquoi nous rassemblons nous, comment évolue cette foule d’oiseaux qui change de direction sans se désagréger ? Nous désagréger ? Jamais ! Nous tirons notre force et notre survie de notre solidarité. Nous échappons à nos prédateurs, parfois nous migrons ensemble, mais je sais que sur ce dernier point certains d’entre vous, les canards et vos cousines les oies, en connaissent un rayon. Et puis quand nous sommes tous ensemble nous échangeons des infos, tu ne comprendras pas tout mais tu verras à l’intérieur du nuage l’ambiance est formidable ! Je ne changerais d’espèce sous aucun prétexte !». Bon, soit Nono, pensais-je, chaque espèce a sa fierté et je ne discuterai pas, je suis ici pour apprendre, comprendre et témoigner, mais chez les canards ce n’est pas mal non plus. 

Puis nous arrivâmes et tout notre groupe s’intégra rapidement dans l’ensemble. Brusquement l’horizon disparut, je fus plongé d’un seul coup dans une sorte de pénombre et je perdis tout sens de l’orientation. J’étais assailli par un bruit infernal de piaillements et de battements d’ailes. J’avais perdu tous mes repères et continuais à avancer machinalement avec l’impression, assurément trompeuse, que je serais porté sans avoir besoin de voler. Je commençais à peine à me laisser griser par cette étrange sensation, sans doute jamais vécue par un canard, quand tout à coup tout le monde décida simultanément de changer de direction ! Voilà que brusquement mon vol se trouvait perpendiculaire à celui de tous mes voisins, qui pour la plupart réussissaient à m’éviter acrobatiquement, mais pas tous ! Bim bam boum, c’était comme être percuté par une pluie de projectiles. Un peu groggies les étourneaux surpris par cet obstacle inattendu reprenaient ensuite leur trajectoire, quant à moi, meurtri dans mon corps et ma fierté, je corrigeai la mienne pour me retrouver dans le mouvement général.  L’accalmie ne dura que quelques secondes, nouveau changement de direction, nouveaux chocs. C’était trop pour moi, pas plus qu’il n’est adapté à vivre dans les arbres le canard n’est capable de changer de cap à tout bout de champ. Notre vol est généralement rectiligne et nous sert à aller d’un point A à un point B. Mais ce jour là ce n’était pas du tout, mais alors pas du tout, la finalité du déplacement de cet immense agglomérat d’étourneaux, que Nono m’a en partie livrée.

Vous ne serez pas surpris si je vous dis que je me suis échappé du nuage avant d’y laisser la vie.

Voilà chers lecteurs, admettons que toutes les espèces d’oiseaux ne se conduisent pas de la même façon. Nous pouvons être fiers d’être canards, mais sachons que d’autres dont la vie est bien différente n’ont finalement rien à nous envier. Retenons tout de même de nos voisins les étourneaux cette magnifique solidarité, dont l’expression visuelle demeure un fantastique spectacle.

Jules Magret