Quand il se réveilla, Isidore Bouton eut tout de suite la sensation de vide. Il se frotta les yeux, alla se passer la tête sous l’eau froide. Plaça son café dans la micro-onde et l’avala par petites gorgées. La sensation ne s’atténua pas, bien au contraire. Maintenant, étant parfaitement réveillé, il eut une impression encore plus aiguë d’une amputation de son « moi ». L’image associée à une amputation est celle d’un bras ou d’une jambe. En l’occurrence celle-là n’avait rien de physique et pourtant il ressentait comme une abscision de son intégrité spirituelle. Jamais il n’avait éprouvé un tel malaise. Plusieurs fois il avait été en hypoglycémie ou bien sujet à des accès de fièvre. Les troubles éprouvés n’avaient rien de comparable à ce qui lui arrivait aujourd’hui. Pas de vertiges, d’étourdissements ou de nausées, mais plutôt : un vide angoissant. Une vacuité semblant découler d’une fragmentation de son « tout » avec la disparition d’un élément. Mais en fait, le phénomène ne datait pas de son réveil. Hier, dans la rue, en rentrant du travail, il avait été heurté brutalement par un passant. Sous l’effet de la douleur, il avait eu une sorte de malaise, un froid s’était emparé de tout son être. Il avait pensé : la grippe me guette. Il s’était bourré de paracétamol et s’était couché, sans dîner.

Maintenant il cogitait sur les causes de son trouble, se tenant la tête entre ses deux mains, penché sur son bol vide.

On ne saura jamais comment lui vint cette idée, le cerveau a parfois des fulgurances incompréhensibles : on lui avait volé son âme ! Tout alors lui sembla rationnel : « l’Isidore Bouton » appuyé sur la table de la cuisine n’était plus qu’un corps sans âme… Un corps vivant certes, mais sans principes vitaux.

Peut-être est-ce irrationnel ? Mais il se précipita au commissariat…

Anxieux, il franchit un sas et pénétra dans une salle de propreté douteuse

Un gardien de la paix somnolant derrière un comptoir leva les yeux sur lui. Le voyant explorer du regard les murs et les plafonds du commissariat, il s’exclama.

  • Eh oui ! Monsieur ! C’est là que Monsieur le Ministre de l’Intérieur loge son personnel… C’est à quel sujet ?
  • Je désirerais porter plainte !
  • Vous êtes au bon endroit ! La nature de la plainte ?
  • On m’a volé mon âme !

Le fonctionnaire regarda le plaignant d’un air soupçonneux, resta quelques minutes, silencieux, soupira longuement puis sortit un imprimé du dessous du comptoir. Manifestement il avait l’habitude de côtoyer un public parfois bizarre et interrogea Isidore Bouton selon la procédure habituelle.

  • Monsieur vous me dites qu’on vous a volé votre âme ! Quand a eu lieu le vol ?
  • Je pense peut-être hier en fin d’après-midi !
  • Vous en êtes sûr ?

Isidore hésita quelques instants, puis hurla presque :

  • J’en suis sûr !

Le policier nota la réponse sur l’imprimé.

  • Pouvez-vous me décrire cette âme ?

Cette question laissa Isidore sans voix. Mais devant les yeux insistants du fonctionnaire, il comprit qu’il devait fournir une réponse.

  • Je crains d’avoir du mal à décrire mon âme…
  • C’est ennuyeux monsieur, car voyez-vous si nous n’avons pas une description détaillée de la chose volée nous serons dans l’incapacité de faire une enquête !
  • Ben ! C’est une âme comme toutes les autres âmes…
  • Je n’en doute pas, mais par exemple si vous déclariez le vol de votre voiture vous devriez nous fournir la marque, l’année d’achat, le numéro minéralogique, etc.

Isidore resta muet, abasourdi. Il n’avait pas réfléchi à son âme.

Les yeux du policier s’allumèrent. Manifestement il avait l’habitude d’être confronté à un public difficile, il trouva une porte de sortie :

  • Êtes-vous sûr qu’on vous a volé votre âme ?

Cette question déstabilisa Isidore.

  • Ben ! Je pense que oui !
  • Vous pensez, mais vous n’en êtes pas sûr… Peut-être l’avez-vous simplement perdu ! Auquel cas une plainte pour vol ne se justifie pas ! Un conseil, allez au service des objets trouvés, je pense qu’ils pourront vous aider utilement.

Le fonctionnaire froissa le formulaire, puis le jeta à la poubelle.

– 36 Rue des Morillons, 75 015 Paris. Au revoir monsieur !

 

********

C’était la première fois qu’Isidore Bouton se rendait au service des objets trouvés.

Après avoir subi le classique contrôle de sécurité, il arriva dans une salle où attendait une foule disparate. Devant son air perdu, un petit monsieur lui montra du doigt un distributeur de tickets. Un peu nerveux Isidore en tira un qui indiquait le numéro 72. Au-dessus des guichets, des écrans affichaient un numéro et une lettre : « 48 A ». Un peu découragé, il trouva une place au milieu de la foule dont les visages fixaient les écrans comme les fidèles d’une secte sur leur gourou. L’attente fut longue.

Enfin Isidore Bouton se rendit au guichet D.

Derrière celui-ci une dame sans âge, le visage hostile éructa :

  • Bonjour monsieur ! Qu’avez-vous perdu ?

Devant tant d’agressivité, Isidore murmura :

  • J’ai perdu mon âme !

Le visage de l’employé se crispa de douleur comme si elle avait reçu un coup de marteau sur la tête.

Isidore Bouton était prêt à s’éclipser devant cette réaction. La dame soupira longuement, se redressa sur sa chaise, reprit le contrôle de sa personne. Cette fonctionnaire aussi avait l’habitude des demandes les plus farfelues. Elle savait qu’il ne fallait pas contrarier certains clients dont les réactions pouvaient être imprévisibles et parfois violentes. Un sourire mielleux de façade s’imprima sur sa figure.

  • Monsieur vous me dites que vous avez perdu votre âme ! Quand pensez-vous l’avoir perdu ?
  • Je pense peut-être hier en fin d’après-midi !
  • Vous en êtes sûr ?

Isidore susurra :

  • J’en suis sûr !

La dame nota la réponse sur un imprimé.

  • Pouvez-vous me décrire cette âme ?

Une fois de plus cette question laissa Isidore sans voix. Mais devant les yeux impatients de l’employée, il comprit qu’il devait fournir une réponse.

  • Je crains d’avoir du mal à décrire mon âme…
  • C’est ennuyeux monsieur, car vous voyez vous si nous n’avons pas une description détaillée de la chose perdue nous serons dans l’incapacité de procéder à une recherche !
  • Ben ! C’est une âme comme toutes les autres âmes…
  • Je n’en doute pas, mais par exemple si vous déclariez la perte d’un parapluie vous devriez me le décrire sa forme, sa taille, sa couleur, l’endroit où vous pensez l’avoir perdu, etc.

La fonctionnaire commençait à exulter intérieurement, elle avait le contrôle de la situation bien en main. Elle poursuivit :

  • Imaginez que je vous retrouve une âme qui ne serait pas la vôtre, vous seriez déçu !

Devant cette remarque marquée du bon sens, Isidore se retrouva sans voix.

  • Au revoir monsieur ! Réfléchissez et revenez quand vous aurez une description détaillée de votre âme !

Rentré chez lui, Isidore Bouton était très abattu. Il comprenait les comportements des fonctionnaires lors de ses visites. Ils avaient eu des réactions matérialistes et maintenant rétrospectivement il regrettait de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il n’en reste pas moins que le vide qu’il ressentait était toujours aussi présent… Ces confrontations avaient eu au moins le mérite de l’obliger à s’interroger sur la nature de l’âme.

********

Il ne s’était pas interrogé sur son âme depuis l’âge de dix ans ! À cette époque sa mère avait voulu l’envoyer au catéchisme. Il avait été immédiatement dégoûté dès la première séance. Le catéchisme était enseigné par une vieille bigote, autoritaire, sans aucune pédagogie. Longtemps après Isidore se souvenait de l’énorme bouton poilu qu’elle avait sur le menton et les postillons qui sortaient de sa bouche quand elle débitait des passages de la vie de Jésus.

Il décida d’aller trouver un ancien camarade de classe, qui, sorti de polytechnique, était devenu jésuite.

Celui-ci le reçut fort amicalement et, après qu’ils eurent évoqué leurs souvenirs d’école, lui demanda l’objet de sa visite. Isidore entra sans préambule dans le vif du sujet.

« Qu’est-ce qu’une âme ? »

La question surprit le jésuite, mais l’intéressa. Un homme de dieu ne peut refuser d’évoquer ce mystère sur lequel repose la foi chrétienne.

Il commença son exposé lui aussi par une question.

  • Comment l’âme immortelle peut-elle survivre à la « corruption » du corps ?

Il poursuivit :

  • Le catéchisme de l’Église catholique nous apprend, au paragraphe 365 :« L’unité de l’âme et du corps est si profonde que l’on doit considérer l’âme comme la “forme” du corps. » Il est précisé un peu plus loin que l’âme est immédiatement créée par Dieu – et non par les parents – et qu’elle est immortelle, son immortalité ayant tout de même dû attendre le concile de Latran de 1513 pour être définitivement actée. L’âme peut-elle être à la fois immortelle et indissociable du corps périssable ? Cette contradiction ne semble pas gêner l’Église. Elle est pourtant fondamentale. Et si la définition donnée à l’âme était fondée sur des bases fausses ?

Isidore Bouton était subjugué par ce jésuite dans lequel il reconnaissait à peine son ami.

Il le revoyait, quand à l’âge de 10 ans, ils allaient pêcher des têtards dans un petit ruisseau. Était-ce croyable que ce fin lettré soit la même personne que le petit garçon qui avalait des têtards pour impressionner son copain ? Les paroles de l’homme de Dieu le tirèrent de ses pensées.

 

  • L’Église a retenu la définition donnée par Aristote. Celle de Platon aurait été plus opportune. Pour Aristote, l’âme est immortelle parce qu’elle se meut toute seule. Tout ce qui est mû par une force extérieure a une fin, puisque son mouvement s’arrête. Il donne sa définition de l’âme :« essence et forme des vivants, celle qui leur permet de réaliser leur être et d’accomplir leur fonction propre. » L’âme est au corps ce que le moule est à la cire : la forme qui lui donne son sens. Or, en toute logique, pour Aristote, l’âme disparaît avec le corps du fait même qu’elle en est indissociable. Un projecteur donne leur forme aux films qu’il projette. Mais, sans films, il ne sert à rien.

Isidore fut impressionné par ces images de projecteur et de film. Ainsi si l’âme disparaît avec le corps du fait même qu’elle en est indissociable, comment était-il possible qu’on lui ait volé son âme et que son corps subsistât ?

Imperturbable, le jésuite poursuivit son exégèse.

  • La vision platonicienne de l’âme,exprimée en termes chrétiens, présenterait Dieu comme un émetteur d’âmes-souffles de vie. Platon a pour mérite de justifier l’immortalité de l’âme.

L’ecclésiastique se tut quelques instants, le visage rempli de mysticisme. Isidore regardait ses mains jointes près du corps. Il pensa : avec de telles mains, il doit sûrement jouer du piano. Il ne put continuer ses réflexions, car aussitôt, haussant la voix le jésuite continua.

  • Pourquoi Aristote eut-il gain de cause ?La raison en est très simple. Si l’âme précède le corps, si elle est inengendrée, son parcours ne s’arrête évidemment pas à la mort physique. Rien ne l’empêche notamment de passer d’un corps à un autre. Elle peut « migrer ». Défendue, par le très respecté, Origène, au IIIe siècle, la transmigration des âmes est très différente de la réincarnation : elle est volontaire et non automatique.

Le jésuite replongea dans sa méditation. Au bout d’une minute, ayant trouvé la réponse, il conclut.

  • Elle a néanmoins reçu un coup fatal trois cents ans plus tard,frappée d’anathème par l’empereur Justinien, responsable par ailleurs de la fermeture définitive de l’Académie de Platon. Elle n’a plus jamais retrouvé droit de cité. La doctrine chrétienne veut que nous n’ayons qu’une vie pour faire notre salut. Et tant pis pour nous si nous la gâchons ou qu’elle nous est retirée prématurément ! Et tant pis si le réalisme d’Aristote est incompatible avec l’immortalité de l’âme.

Isidore ressortit de chez son ami avec un mal de tête, mais en plus avec des idées toujours aussi confuses sur l’âme.

Qui avait raison finalement ? Aristote, qui affirmait que rien n’empêche l’âme de passer d’un corps à un autre ou Platon, qui prêchait indissociabilité du corps et de l’âme ?

********

Isidore Bouton était tenace : puisque son ami jésuite n’avait pas été capable de lui donner une idée nette de l’âme, il décida de se tourner vers le judaïsme. Celui-ci n’avait-il pas précédé le christianisme et à ce titre n’était-il pas plus près des connaissances originelles ?

Il n’avait jamais mis les pieds dans une synagogue et c’est donc avec appréhension qu’il franchit le seuil de celle de la rue de la Victoire, d’autant qu’elle était gardée par deux militaires en arme qui le palpèrent consciencieusement.

Il n’avait pas fait deux pas que le concierge se précipita sur lui, en lui faisant remarquer qu’il n’était pas permis de pénétrer dans cet édifice religieux sans porter une kippa. Il se radoucit quand Isidore lui eut exposé sa demande. La soif d’une connaissance religieuse est la meilleure des introductions. Il sortit d’un placard une calotte et téléphona au rabbin de service. Celui-ci arriva cinq minutes après. C’était un petit homme à barbiche affable qui ne demandait qu’à renseigner son visiteur. L’emmenant dans son bureau il se fit un plaisir d’exposer les conceptions de la religion juive sur la notion d’âme.

  • Je m’appuie sur la Torah.
  • On parle souvent de l’âme sans pour autant en avoir une idée palpable et concrète. Ceci est normal dans la mesure où l’on ne la voit pas. On peut distinguer 3 âmes : Le Néfech (l’âme vitale ou l’âme animale), le Roua’h (l’âme intelligente), et la Néchama (l’âme divine). Ces trois âmes se trouvent chacune dans une partie du corps : le Néfech se situe dans le sang, c’est elle qui permet les mouvements vitaux de l’individu. D’un point de vue spirituel, le Néfech est lié au monde de l’action. Cette âme est appelée âme animale, car c’est elle qui donne toutes les tentations au corps.

À ce moment une belle femme brune entra dans la pièce.

  • Rachel, ma femme !

En riant, il dit.

  • Une illustration du Néfech…mais pas seulement !
  • Rachel, je te présente monsieur Bouton qui vient s’informer sur notre belle religion ! Tu seras gentille de nous apporter un peu de Mahia avec un morceau de Tichpitti.

Isidore prit une portion de Tichpitti et refusa un verre de Mahia prétextant qu’il ne buvait jamais d’alcool.

Le rabbin empoigna son verre, but une gorgée de liqueur, puis continua son explication.

  • La seconde âme, le Roua’h, qui est l’âme intelligente se trouve au niveau du cœur. C’est elle qui régit toutes les émotions. Mais, à un niveau spirituel, elle relève du niveau de la parole. Enfin, la Néchama, l’âme divine, se situe dans le cerveau. Dieu nous l’a insufflée par le nez. Spirituellement, elle correspond donc à la pensée liée au sacré. Cette âme (Néchama) est la plus élevée des trois. Elle est une partie de Dieu. Elle est donc extrêmement élevée.

Isidore Bouton sortit de la synagogue, encore plus frustré. D’après le rabbin il avait trois âmes ! Cela compliquait les choses ! Laquelle lui avait-on volée ?

 

Après avoir rencontré le jésuite et le rabbin, Isidore Bouton était un peu déçu. Le vide qu’il sentait en lui était toujours aussi prégnant et aucun de ces éminents hommes de foi n’avait pu lui apporter d’explications lui permettant de comprendre la nature de l’âme dont pourtant il sentait l’amputation.

À regret, il allait abandonner ses recherches quand il lui vint l’idée de se tourner vers des religions qui lui étaient totalement étrangères. Parmi elles, le Bouddhisme et l’Islam lui apparaissaient les plus importantes.

Il décida de choisir l’Islam.

S’il avait osé pénétrer dans une synagogue il ne se voyait pas entrer dans une mosquée. Il lui vint une idée : Ahmed !

Ahmed était le petit marchand arabe dans sa rue. Il le connaissait très bien. Il allait souvent le voir : le soir quand il rentrait tard du travail, les dimanches ou les jours de fête. La boutique d’Ahmed était ouverte tôt le matin et tard dans la journée ce petit marchand ne comptait ni ses heures ni sa peine.

Comme à chaque fois Ahmed l’accueillit à bras ouverts et fut surpris quand d’emblée il lui dit :

  • Ahmed peux-tu me dire, toi qui es musulman : qu’est-ce que l’âme ? J’ai été voir un curé et un rabbin qui n’ont pas été capables de m’en donner une explication claire. Comme je n’ai pas envie d’aller dans une mosquée, je compte sur toi !

L’affirmation loin de déstabiliser le petit marchand, le fit sourire.

  • Isidore, tu as bien fait de venir me voir, car Allah est le prophète de Dieu et seul Allah saura te dire la vérité ! Chez nous, contrairement aux chrétiens et aux juifs il n’y a pas de clergé hiérarchisé ni de Pape, chacun peut trouver la parole de Dieu en étudiant le Coran. Moi-même, je ne m’en sépare jamais et chaque fois que je peux j’y puise la vérité suprême. Mais, Isidore, pourquoi t’intéresses-tu ainsi à l’âme ?

Isidore Bouton resta silencieux une minute, déglutit puis répondit :

  • Je pense que l’on m’a volé mon âme… ou que je l’ai perdue…
  • Qu’est-ce qui te fait dire cela ?
  • Je ressens en moi un vide, un très grand vide…
  • Qu’Allah te vienne en aide ! Je vais essayer de t’expliquer ce que dit le Coran sur l’âme !

Ahmed se pencha sous un comptoir et en sortit un gros livre rouge. Il s’assit sur un tabouret et invita Isidore à prendre place sur une caisse d’oranges.

Il feuilleta le Coran, tournant rapidement les pages, manifestement il le connaissait par cœur…

– L’homme est constitué d’un corps et d’une âme. Comme le corps doit être entretenu, l’âme aussi a besoin d’entretien et de nourriture. L’adoration, le rappel, la proximité et l’amour de Dieu sont la nourriture de l’âme. En ne s’intéressant qu’aux plaisirs de son corps, l’homme se rapproche des animaux. L’homme doit donc garder l’équilibre entre les besoins de son corps et les besoins de son âme.

L’homme doit admettre et accepter sa faiblesse et reconnaître ses limites. Nous sommes incapables de connaître la nature de l’âme et comment elle se lie au corps et comment elle se sépare de lui.

Dieu a honoré l’homme en lui insufflant de son esprit. L’âme d’Adam est un souffle divin.

L’âme est insufflée dans le corps humain à 120 jours à partir de sa conception. Dieu envoie l’ange pour insuffler l’âme dans l’embryon.

Le musulman croit que toutes les créatures de Dieu meurent quand le terme fixé par Dieu arrive. Les causes de la mort sont multiples, mais la mort est la même et le terme fixé ne peut n’être ni retardé ni avancé.

La mort est la séparation entre l’âme et le corps. Le corps revient à la terre d’où il vient. L’âme revient à Dieu, elle ne disparaît pas après la mort.

     La mort n’est qu’un changement d’état et un passage d’un monde vers un autre.

  L’âme d’un être humain ne peut s’incarner dans un autre et ne peut habiter le corps d’un animal. Tout ce que font les sorciers et les charlatans qui, soi-disant, communiquent avec les âmes ne sont que des œuvres diaboliques où Satan et ses soldats jouent le rôle principal.

Ahmed retira la paire de lunettes, dont il s’était muni pour la lecture du livre sacré, prit une pomme et en tendit une à Isidore Bouton.

  • Pour moi Allah nous éclaire. Il dit : nous sommes incapables de connaître la nature de l’âme et comment elle se lie au corps et comment elle se sépare de lui. Il dit aussi : l’âme d’un être humain ne peut s’incarner dans un autre et seule la mort est la séparation entre l’âme et le corps.
  • Alors ?
  • Alors Isidore tu n’as pas perdu ton âme, ce serait contraire à la volonté d’Allah !

 

********

Isidore Bouton était complètement perdu. Il cherchait la vérité auprès des représentants des religions et leurs discours avaient ajouté un peu plus de confusion dans son esprit. Il se sentait bien seul, il avait toujours la sensation que son âme avait disparu. Volée ou perdue ?

Ahmed affirmait même qu’il ne l’avait pas perdue. Qu’importe, le vide était le même. Il errait dans la rue cherchant de nouvelles solutions à son problème.

À un moment il s’engagea sur un passage clouté, le feu tricolore était au vert. Une automobile freina, mais c’était trop tard…

Quand Isidore ouvrit les yeux, il fut étonné. Émergeant du noir il pensait qu’il avait rejoint son âme. Un joli visage était penché sur lui, un ange sans doute ! Il était au paradis…

L’impression fut de courte durée, de nombreuses douleurs se manifestaient, au fur et à mesure qu’il reprenait connaissance, se substituant à la musique céleste qu’il croyait entendre.

Le visage de l’ange fut remplacé par un visage masculin viril et coupé à la serpe. Une voix grave et forte effaça définitivement la sensation divine du début.

  • Alors monsieur Bouton on traverse sans regarder, vous avez-eu de la chance savez-vous !
  • De la chance je croyais avoir rejoint mon âme !

Le chirurgien éclata de rire.

  • Votre âme ? Elle s’est envolée ?
  • Non ! On me l’a volée !

Le médecin ne voulut pas contrarier un blessé sortant du coma.

  • Ce n’est pas grave ! On va tout faire pour que vous la retrouviez ! En attendant une petite question, n’avez-vous jamais eu mal à la tête ces derniers temps ?
  • Non jamais ! J’ai une migraine de temps à autre ! Par contre depuis une semaine j’ai un grand vide dans la tête. Voilà pourquoi je pense qu’on m’a volé mon âme. Mais pourquoi cette question ?
  • Parce que pour vérifier que vous n’aviez pas un traumatisme crânien on vous fait une radiographie de la tête.
  • Et alors ?
  • Les radios ont révélé que vous aviez une balle logée dans le cerveau !
  • Mais je devrais être mort !
  • Pas forcément on connaît plusieurs cas de patient, en particulier de soldats ayant vécu avec un projectile dans le cerveau.
  • Mais je n’ai même pas fait de service militaire !
  • Pourtant cette balle est bien là ! N’avez-vous pas souvenir un jour d’avoir été victime d’un coup de feu ?

Isidore Bouton se concentra. Un souvenir bien lointain lui revint à l’esprit, il était gamin et il avait emprunté, discrètement, une carabine 22 Long Rifle à son père et avec des copains ils tiraient dans la campagne sur les pigeons et les corbeaux. L’arme passait de main en main. À un moment il avait reçu un violent coup à la tête en courant. Il avait cru s’être cogné le crâne sur la branche d’un arbre. Il était un peu sonné, le jeu s’était arrêté. Rentré chez lui, il saignait un peu du cuir chevelu. Un ami lui avait alors posé un sparadrap. Il avait expliqué à ses parents, le soir qu’il s’était cogné à une branche. En quelques jours la douleur s’était estompée…

Le chirurgien.

  • Voilà, tout s’explique ! Depuis ce jour-là, vous vivez avec une balle dans le cerveau…
  • Mais je n’ai jamais rien senti après…
  • Cela arrive !

Le chirurgien posa alors très sérieusement la question.

  • Quel jour avez-vous eu l’impression de perdre votre âme ?
  • Il y a un peu plus d’une semaine, dans la rue, en rentrant du travail, j’ai heurté un passant. Sous l’effet de la douleur, j’ai eu une sorte de malaise, un froid s’était emparé de tout mon être.
  • Je tiens l’explication : au moment de la collision, le projectile s’est déplacé légèrement provoquant une action sur le cerveau. Malheureusement vu l’emplacement de la balle dans la matière grise il nous est impossible de vous l’extraire sans léser les neurones. Je suis au regret de vous le dire, sur cette terre vous ne retrouverez pas votre âme, mais en plus vous devrez vivre avec 2 g de plomb dans la tête…