Écrit lors de l’atelier d’écriture “Mémoire des petites choses“ – Avril 2022 – Villenave d’Ornon

Jamais je n’oublierai le chien sur le verre à liqueur. Ou plutôt les chiens sur les verres à liqueur.

Il y en avait six je crois. Les pieds étaient de différentes couleurs : jaune, orangé, rouge, vert, brun… Les verres proprement dits étaient de forme allongée et une tête de chien y était imprimée : 6 verres, 6 chiens de chasse différents. En ce temps-là mon père était chasseur, une habitude héritée de ses grands-parents paysans. Il était par ailleurs excellent tireur, un passe-temps que son métier de militaire lui facilitait.

J’avais à peine trois ans et je le revois boire le café sur la table en formica de la cuisine puis verser l’eau-de-vie dans un de ces petits verres. Maman prenait parfois un « canard », c’est-à-dire un morceau de sucre trempé dans la liqueur. Les bouteilles trônaient sur la table. Confectionnées par ma grand-mère paternelle, elles sentaient bon les fruits de Savoie, prune, cerise ou cassis. Elles sentaient bon les vacances à venir. Elles sentaient bon les dimanches après-midi.

Aujourd’hui il reste trois verres dans mon placard. De temps en temps mon mari aime y déguster une Chartreuse aux herbes des Alpes. J’aime voir la tête du chien fidèle se détacher contre la subtile teinte de péridot. Avec un tel flacon, le cordial mérite bien son nom.

Maryline

 

Nouveau texte de Maryline avec mots choisis par les autres participants

  • Bonjour ma Sœur, pourriez-vous me raconter comment ça s’est passé exactement ?
  • Bonjour Adjudant. C’est une drôle d’histoire vous savez. Tout avait pourtant commencé comme d’habitude. Après la messe, Monsieur le Curé et moi avons partagé le repas que j’avais préparé : un bon pot-au-feu et une tarte aux pommes. Il était de très bonne humeur, Monsieur le Curé, même qu’il m’a dit : » Ah, Sœur Marie-Alphonse, ça sent la bonne odeur des dimanches ! ». Pendant tout le repas, il a raconté des blagues, on a bien ri et au moment du café je me suis levée pour aller ouvrir le placard en formica, celui que vous voyez là …
  • Le brun ?
  • Non, celui-là c’est le placard des vins de messe. Je parle du placard avec les différents pieds de couleur.
  • Celui avec les portes en verre ? Là où il y a des bouteilles qui trônent ?
  • Exactement. Alors là, je prends trois verres dans mon placard, ceux avec les chiens imprimés dessus.
  • Et pourquoi trois ma Sœur ?
  • Parce que Sœur Marie-Amélie a dit qu’elle passerait pour le café. Donc, je prends la bouteille de saké que nous avait rapportée Frère Vincent de sa mission en Chine et je dis à Monsieur le Curé « Tenez mon Père, voici un cordial, vous m’en direz des nouvelles, il mérite bien son nom ». Et puis après on a pris un petit verre tous les deux, comme on fait de temps en temps le dimanche. Mais voilà que Monsieur le Curé est devenu bizarre, agité… Puis il est allé chercher son fusil et il m’a visée… La balle est allée dans le mur… Je ne comprends pas…
  • Allez ma Sœur, remettez-vous ! Ce n’est pas bien grave, sans doute l’ivresse. Il a dû vous prendre pour un canard !
  • Heureusement qu’il n’est pas bon tireur !
  • Vous avez raison ma Sœur, on va vérifier son permis de port d’armes.

Réponse en style lugubre au second texte par Christian

Mais as-tu réalisé que cette réunion que tu décris si joyeuse entre ce curé et cette religieuse n’était qu’une messe noire à laquelle tu fus invitée comme servante ? N’as-tu pas vu que ce placard en formica était si sombre, si plein de toiles d’araignée ? Et cette couleur, le BRUN ! Ne t’a-t-elle pas arrêtée ? N’as-tu pas vu les pieds fourchus du placard ?

Un placard j’en suis sûr plein d’élixirs mauvais… N’y avait-il pas de têtes de serpent ou des pattes de crapaud au fond de ces bouteilles ?

Un cordial, qui tu l’as vu, a laissé Monsieur le Curé bizarre, agité… Mais c’est l’exorciste qu’il aurait fallu inviter pour éviter la transe de ce tireur fou !