Comme  l’année  dernière, nous avions décidé  d’organiser un stage « bridge- tourisme ». En novembre bien sûr, mais cette fois-ci dans la région de Bourges. Profitant des possibilités qu’offre, aujourd’hui, Internet nous avons recherché les différentes chambres d’hôtes, du secteur, susceptibles de nous intéresser. Nous avons pu ainsi constituer une première liste. Il restait à réaliser la phase finale la moins facile : le choix définitif. La tâche ne fut pas simple. Il est difficile de se décider à partir de photographies forcément attrayantes et de textes alléchants. Un paramètre supplémentaire entrait en compte : pouvoir effectuer le maximum de visites intéressantes. Comme dans les ambassades, pendant plus d’un mois Lyon et Paris s’échangèrent des arguments par mails.

Nous en étions à cette phase de négociation, quand un jour, je reçus un message de Saint Florent sur Cher. La propriétaire de la chambre d’hôtes m’informait que tout novembre était disponible et qu’elle attendait un chèque de caution pour faire la réservation ! J’étais sûr de ne pas lui avoir envoyé de mail. Or ni ma femme ni  mes amis Georges et Carole n’avaient contacté cette dame… Peut-être qu’en consultant le site, le micro-ordinateur repérait l’interrogateur ?

Quoi qu’il en soit nous décidâmes de choisir Saint Florent sur Cher pour notre escapade annuelle.

Le lundi 6 novembre nous prenions la route en direction de Bourges. Avec Carole et Georges nous avions prévu de nous retrouver devant l’église de Saint Florent sur Cher.  Nous ne connaissions ni les uns ni les autres cette ville, mais cela aurait été bien le diable ( !) si elle ne possédait pas une église. Nous arrivâmes les premiers, suivis de peu par nos amis. Trouver « La faisanderie » (c’est le nom de la propriété) ne fut pas une mince affaire. L’adresse indiquée par la propriétaire madame Laurine de Sévignac n’était pas claire et l’itinéraire affiché sur le site trop vague. Nous parvînmes néanmoins à trouver le supermarché d’où partait une route sensée nous conduire vers « La faisanderie ». Nous traversâmes une zone pavillonnaire sans intérêt. À un croisement divergeaient plusieurs rues. Plutôt que de nous engager, au hasard je m’arrêtai à côté d’un homme taillant sa haie.  Carole l’interrogea. Au nom de « La faisanderie », il nous regarda d’un air bizarre et sans prononcer un mot, il tendit son bras vers une direction puis se retourna pour continuer sa taille. Un peu surpris par cette réaction, nous nous engageâmes dans la rue indiquée. La ville s’arrêtait brusquement à un croisement. En face un chemin de terre, peu engageant, s’enfonçait dans un bois. Pas très rassurés, nous avançâmes sur cette voie… Seule la présence d’un panneau, presque illisible, accroché sur un arbre « La faisande…   » nous empêcha de rebrousser chemin. Anxieux, nous avons traversé sur plusieurs centaines de mètres un bois touffu et le chemin déboucha enfin devant « La faisanderie ». Là, nous fûmes éblouis par la beauté des lieux. Face à nous, une vaste propriété dont nous ne soupçonnions pas l’étendue sur les photographies du site. À quelques mètres, une maison de pierres 18e  avec des colonnades et des colombages. On aurait cru un palais chinois entouré de deux cèdres centenaires. Sur la gauche se détachaient quelques bâtiments et un enclos avec des chevaux. Impressionnés, nous étions figés devant la grille. Georges se décida à appuyer sur la sonnette. Nous entendîmes des chiens aboyer et pendant plusieurs minutes rien ne bougea dans la maison. Enfin une femme s’avança vers la grille suivie d’un immense chien blanc : madame Laurine de Sévignac et son chien des Pyrénées.

Je fus immédiatement frappé par son attitude étrange. Elle parlait en tournant successivement la tête vers chacun de nous. Quand elle s’adressait à moi, son regard me transperçait et pourtant j’avais l’impression qu’elle n’était pas là.

Elle ne prit même pas le temps de nous accompagner au pavillon, où se trouvaient nos chambres, d’un geste nonchalant elle nous indiqua le chemin pour se rendre à l’annexe. Elle termina l’entretien en nous précisant qu’elle nous attendait pour le petit-déjeuner le lendemain matin, puis elle regagna, distante, son habitation.

Aussitôt, après nous être installés dans nos chambres, nous débutâmes un bridge. Nous prîmes le parti de rire de l’accueil « singulier » de notre hôtesse.

Néanmoins je sentis chez ma femme et mes amis un certain trouble. Ils n’osaient rien dire. Tout semblait irréel à « La faisanderie » : l’hôtesse… mais aussi tout ce qui l’entourait.  Moi aussi, dès que j‘étais rentré dans le parc j’avais ressenti une émotion comparable à celle qu’avait dû éprouver le prince pénétrant, après cent ans, dans le château de la princesse endormie. Paradoxalement en regardant la poussière déposée sur les meubles de notre gîte il y avait une grande analogie bien que manifestement cette poussière ne date pas d’un siècle. Le désagrément que nous procurait cette absence manifeste de ménage fut tempéré par le charme se dégageant du mobilier. Tout avait été aménagé avec goût et raffinement. Les tissus des rideaux, des fauteuils, des dessus-de-lit reflétaient  le choix de matières tinctoriales bien assorties. Les colorants utilisés pour les étoffes ne devaient rien à l’industrie chimique. C’étaient sans aucun doute des teintures naturelles provenant des règnes végétal, animal et minéral. Le rouge dominait partout sous la forme de l’écarlate, du cramoisi,  du vermillon, de landrinople, de la garance. Le pourpre des fauteuils était issu d’un mollusque, ce lainage carmin faisait penser à la cochenille. Les autres couleurs étaient là, discrètes, rehaussant  la domination du rouge.

La joie de nous retrouver et le plaisir du jeu dissipèrent le malaise de notre arrivée.  

 

Le lendemain dans la brume masquant les alentours nous traversâmes le parc pour rejoindre le logis de notre hôtesse. Elle nous attendait dans sa cuisine en compagnie de quatre chiens. Sa robe noire tranchait avec son anorak de la veille. Un peu interloqués par cette tenue plus appropriée à un dîner en ville qu’à une cuisine nous nous assîmes sans commentaires  autour de la table. Sur le visage de Laurine de Sévignac flottait un sourire énigmatique rappelant celui de la Joconde ! Par une porte, entrouverte, nous apercevions un salon richement décoré, avec des meubles précieux et de nombreux tableaux. Nous ressentions à nouveau l’atmosphère pesante de notre arrivée. Heureusement un petit-déjeuner copieux et les banalités de la conversation eurent raison de cette tension. Nous lui décrivîmes largement l’emploi du temps de notre journée avant de la quitter. Précédé, par ma femme et mes amis j’allais sortir à mon tour, quand la jeune femme me retint par la manche et me dit en me regardant droit dans les yeux :

  • Pourquoi as-tu fait cela ?

Surpris, j’allais répondre, mais elle me poussa hors de la cuisine et ferma la porte. Le malaise continu que j’avais depuis hier soir s’amplifia. Pourtant je n’osais en parler en personne…

Nous visitâmes la cathédrale de Bourges. Elle a été classée, à juste titre, au patrimoine mondial de l’humanité. Elle est admirable par ses proportions et l’unité de sa conception. La cathédrale Saint-Étienne de Bourges, construite entre la fin du XIIe et la fin du XIIIe siècle, est l’un des grands chefs-d’œuvre de l’art gothique. Son tympan, ses sculptures et ses vitraux sont particulièrement remarquables. Par-delà sa beauté architecturale, elle témoigne de la puissance du christianisme dans la France médiévale.  Mon ami Georges s’en donnait à cœur joie avec son appareil photographique, un véritable petit bijou qu’il venait juste d’acquérir pour photographier sa petite fille. De mon côté les merveilles offertes par la cathédrale effaçaient l’emprise des paroles mystérieuses de notre hôtesse. Après avoir gravi les 396 marches  de la tour et admiré, sous un soleil radieux, la ville de Bourges et ses environs, nous descendîmes dans la crypte (la guide insista bien : malgré le nom cela n’en est pas une, car elle possédait des fenêtres). En bas nous attendaient les restants d’un jubé magnifique vandalisé par les talibans de l’époque. À ma grande honte si le mot ne m’était pas inconnu il ne m’évoquait rien de tangible. Les explications de la guide comblèrent une des lacunes de ma culture religieuse : un jubé est une sorte de grande clôture qui coupe une église en deux parties. La partie comprenant la nef, où se trouvent les fidèles, est séparée par une “grille” de fer, de bois ou de pierre, et de l’autre côté, dans le chœur se trouvaient les chanoines qui officiaient. J’enrichis en même temps mes connaissances grammaticales quand cette dame (très enrhumée) nous expliqua que le nom de « jubé », assez curieux, est un acronyme. Les chanoines récitaient l’évangile et l’épître et montaient sur le jubé pour que la foule des fidèles puisse les voir et ils commençaient leur propos par ces mots ” Jube, domine, benedicere”, ce que chacun d’entre nous a traduit par ” Ordonne, Seigneur, de bénir” ou plus simplement “Veuillez, seigneur, me bénir”. Et c’est ainsi que la barrière prit le nom du premier mot employé par les chanoines de la cathédrale…

Il est surprenant de voir que la mode aussi sévissait à cette époque ! En février 1758, les chanoines décident de détruire cet édifice qui ne correspondait plus aux goûts de l’époque. À la suite du Concile de Trente, il sembla préférable de faire participer les fidèles à l’office en enlevant cette barrière, pour qu’ils voient enfin ce qui se passe derrière… Les pierres du jubé placées un jour sur un lieu sacré ne peuvent pas être mises n’importe où, on ne peut pas en faire des cailloux pour les routes. Il faut impérativement les laisser sur place. Alors, les grandes pierres seront retaillées et serviront à des aménagements de la cathédrale comme clôture du chœur et d’autres seront enfouies sous la cathédrale. Deux cents passèrent et en 1850 on creusa et on retrouva les pierres du jubé et finalement aujourd’hui 480 pièces du jubé sont visibles depuis 10 ans dans la crypte de la cathédrale de Bourges. La guide sut par ses explications nous faire revivre l’histoire religieuse racontée au peuple par les différentes parties du jubé. Les anecdotes les plus frappantes sont celles qui illustrent Dieu sortant Adam et Ève des limbes et le Diable enfonçant les damnés dans le chaudron de l’enfer.

Ensuite nous sommes allés au Palais Jacques Cœur. On peut résumer d’une phrase la vie de Jacques Cœur : il n’ait jamais bon de devenir plus riche que le roi !

C’est au sommet de sa puissance que Jacques Coeur décida de faire construire un “Hôtel”, appelé “La Grant’Maison”, édifié entre 1443 et 1450.C’est le plus bel exemple d’architecture civile du XVe siècle. Après la visite de la cathédrale, le Palais malgré la beauté de sa construction nous sembla moins imposant. Comme nous étions en novembre, les visiteurs étaient peu nombreux et nous eûmes le privilège d’avoir une jeune guide pour nous tout seuls. Quand elle vint nous chercher dans le hall et commença la visite, je fus intrigué par la façon insistante avec laquelle elle me regardait. Orgueilleux comme tous les hommes vieillissants, je pensais qu’elle devait apprécier mon physique. La visite terminée, elle nous serra la main et quand ce fût mon tour je sentis une pression particulière…

Nous rentrâmes à « La faisanderie ». Le pavillon de notre hôtesse semblait inhabité, pas de trace des chiens … Mais nous étions déjà  habitués aux bizarreries Laurine de Sévignac. Elle était sans doute en promenade ! Conformément à nos objectifs, la journée se finit par une partie de bridge qui dura jusqu’à  23 H. Georges, ankylosé, décida de faire un tour dans le parc afin de mieux digérer. Je l’accompagnai. La nuit était claire, car la lune bien ronde avait fait son apparition. Nous marchâmes en direction du fond du parc. Nous avions repéré l’existence d’un portail métallique donnant sur un bois. Notre hôtesse nous avait précisé qu’une partie de ce bois lui appartenait. La grille franchie nous progressâmes dans une allée tapissée de feuilles mortes. La nuit était silencieuse, troublée uniquement par le bruit des feuilles craquant sous nos pas. Les silhouettes des arbres se détachaient sur un ciel argenté. Nous n’osions parler comme si nos paroles auraient pu troubler la féerie de ce paysage. Un bruit de galop retentit. Nous nous arrêtâmes pour mieux l’entendre. Il devenait de plus en plus fort. Notre allée croisait un chemin. Un cheval et son cavalier surgirent brusquement de la droite. Le clair de lune nous permit de distinguer que le cavalier n’était autre que notre hôtesse. Elle portait une robe du Moyen âge et montait en amazone. Quand nous arrivâmes au croisement, elle avait déjà disparu. Si nous n’avions pas été deux, nous aurions pu penser que nous avions rêvé…. Je ne sais si cette promenade nocturne avait permis à mon ami de digérer et de passer une bonne nuit, mais la mienne fut tourmentée !

Je me levai le matin pas vraiment reposé. Il faisait jour. En regardant par la fenêtre, je pouvais voir le pavillon de chasse. Je repensai à la cavalière de cette nuit. De jour, les choses me semblaient moins irréelles. Après tout cette dame nous avait dit qu’elle pratiquait l’équitation. Elle était chez elle et rien de l’empêchait de faire du cheval la nuit. La fatigue du bridge pouvait expliquer certaines choses. Je me concentrai sur le paysage. Laurine de Sévignac nous avait confié qu’après son divorce elle avait quitté Paris et avait acquis sa propriété à un prix qu’elle considérait comme raisonnable (la raison des uns n’est pas forcément celle des autres !). Ce qui faisait le charme du parc c’était le mélange d’arbres anciens avec des essences plus récentes disposés artistiquement. Je ne sais qui était le jardinier de notre hôtesse, mais on ne pouvait nier qu’il dominait l’art topiaire : il avait taillé les arbres et arbustes du parc pour former des haies, des massifs et des sujets de formes très variées, géométriques, personnages, animaux, etc.  Des armatures métalliques guidaient la croissance de nombreuses plantes sempervirentes : lauriers, cyprès, lierre, ifs et buis.

Nous fûmes accueillis par notre hôtesse entourée par tous ses chiens, sur le pas de la porte de la cuisine qui ouvrait sur l’arrière du relais de chasse. Elle avait revêtu une nouvelle robe… Georges et moi nous regardâmes. Nous n’avions pas besoin de parler, nous pensions à la même chose… Le petit-déjeuner se déroula comme le premier avec une convivialité artificielle. Malgré ses sourires, ses nombreuses questions nous sentions Laurine de Sévignac était absente. Pour expliquer son attitude, nous avions pensé qu’elle était, peut-être, sous anxiolytique. Le repas terminé je m’empressai de sortir le premier ne souhaitant pas rester seul avec notre hôtesse. Sur le perron, nous attendions Georges qui s’était attardé pour caresser le gros chien. Quand il sortit, nous regagnâmes notre pavillon, précédés par nos femmes. Il me glissa discrètement dans l’oreille. :

  • Cette dame n’est vraiment pas nette, elle m’a dit : « Charles je vous préférais sans la barbe, mais vous avez bien fait de vous séparer de Marie, elle avait un visage à faire peur, même aux Anglais ».

Je ne sus quoi répondre…

Dans la matinée nous visitâmes le château d’Ainay-le-vieil. Il est surnommé “la petite Carcassonne”. C’est vrai qu’il y a une certaine ressemblance entre la cité fortifiée de l’Aude et cette forteresse octogonale du XIVe siècle, très bien conservée. Entièrement entourée de douves, protégée par sept tours de défense et de hautes murailles, elle semble, comme sa grande sœur du midi, imprenable. Sa visite nous entraîna à travers l’histoire du royaume de France, au temps de Louis XII et Anne de Bretagne, de Colbert et de Marie-Antoinette qui séjournèrent à Ainay. Acheté en 1467 par Charles de Chevenon de Bigny, Ainay-le-Vieil demeure depuis lors dans la famille. Nous fûmes accueillis par une vigoureuse femme qui cumulait les fonctions de caissière et de guide (était-elle de noble extraction malgré ses allures « populaires » ?). Elle nous invita à patienter jusqu’à l’heure officielle de la visite en parcourant le parc du château. Ce n’était pas la meilleure saison pour la floraison. Nous vîmes malgré tout quelques variétés d’arbres très rares, tel un catalpa bicentenaire, originaire d’Amérique du Nord communément nommé ” arbre aux mouchoirs (car ses larges fleurs blanches ressemblent à des mouchoirs dépliés),  de magnifiques cèdres bleus du Liban, des cyprès chauves aux racines résurgentes et dont le aiguilles jaunies, en ce mois de novembre, expliquaient le nom, des bambous, révélant une note d’exotisme. Au fond du parc après avoir traversé un pont en bois enjambant un ruisseau nous arrivâmes aux Chartreuses, ensemble de jardins à thèmes. Le jardin bouquetier, longue plate-bande rectangulaire composée de plantes vivaces. Le verger sculpté formé  d’une allée centrale surmontée d’arceaux de poiriers, ponctuée de colonnes de fruitiers, ornée de roses et d’un bassin d’hamamélis entouré de deux massifs bordés de pommiers. Il présente des techniques mises au point au XVIIe siècle, par le Roi à Versailles. Le jardin de méditation : un enclos d’osier vivant tressé entoure une maison en if et son jardin constitué de parterres de buis et de germandrées. Sur le mur, une jolie fresque inspirée de celle de Giotto, représentant le bon St François d’Assise conversant avec oiseaux. Cette fresque rend hommage à quatre personnages qui ont joué chacun leur rôle dans l’histoire récente d’Ainay, “Georges-Henri l’ami des oiseaux, Géraud le poète, Jeanne l’âme des lieux et Georges l’amoureux de la nature. Notre ami Georges y vit un hommage à sa propre passion ! Le cloître de simples qui recèlent des collections de simples (plantes utilisées par l’herboristerie, plantes médicinales, pharmacopée) ou condimentaires, tinctoriales, mellifères. Les parterres de broderies, fresque végétale au somptueux décor dessinant ses volutes, représentant des fleurs de lys. L’art topiaire s’y exprime ici dans toute sa beauté.

La visite commença au pas de charge sous la conduite de notre guide  qui manifestait des ressources physiques insoupçonnées. Elle s’arrêta devant l’entrée du château pour dresser un bref historique. Elle nous fit remarquer que contrairement à l’abbaye de Noirsac que nous avions déjà visitée, les murs de la forteresse étaient recouverts d’un crépi. La pierre utilisée était gélive et faute de cette protection elle se serait désagrégée avec l’humidité et le gel.  Nous eûmes droit à la montée sur les murailles avec un parcours accéléré du chemin de ronde, de forme octogonale reliant les neuf tours.  Echappant à la vigilance de notre cerbère, je réussis à poser une fesse sur un des rares coussièges. La visite s’acheva par une traversée des appartements des propriétaires habitant  encore le château…et une déception notre guide n’était pas de noble extraction ! En sortant nous fûmes happés par un homme d’un certain âge qui nous invita à visiter une partie des bâtiments  non ouverts au public. En fait c’était un membre de la famille de Bigny en peine de conversation. Il nous apprit entre autres  que son « château » était situé sur La Route Jacques-Cœur. Dans une pièce qu’il nous fit visiter était accroché un portrait d’Agnès Sorel. Nous fûmes tous fascinés par le visage : c’était celui de Laurine de Sévignac… !

De retour à « La faisanderie », je me plongeai dans la lecture d’un guide sur la région de Bourges. Le roi Charles VII rencontre Agnès Sorel en 1443, elle est alors dame d’honneur d’Isabelle de Lorraine, épouse de René d’Anjou. Rapidement elle conquit les faveurs du roi Charles VII. Elle était toujours présente auprès de lui, de nuit comme de jour. Le roi ne pouvait plus se passer d’elle. C’est alors que Jacques Cœur rentra dans sa vie. Ont-ils été amants ? Nul ne peut l’affirmer…Mais dès la mort d’Agnès Sorel, des rumeurs circulèrent, la Dame de Beauté aurait été empoisonnée, et la main du coupable était celle de Jacques Cœur. Nul ne peut l’affirmer, mais le crime lui est sûr : la science vient d’ailleurs de le confirmer elle aurait été empoisonnée au mercure…

Je refermai le livre, songeur… Brusquement je le rouvris, tournant les pages fébrilement, je retrouvai un portait de Jacques Cœur. Une évidence jaillit dans  mon esprit : notre ressemblance était frappante ! Et plus loin Charles VII, à côté de Marie d’Anjou, avec une barbe et quelques années supplémentaires, ressemblait à Georges…

Le lendemain, dernier jour de notre « stage » je regardai notre hôtesse d’un autre œil. J’avais en tête, tout ce j’avais lu, son comportement bizarre, les coïncidences troublantes. Ma rationalité était mise à rude épreuve. De temps à autre son regard croisait le mien accentuant mon trouble. Mais comme le dit le dicton : il n’est de galante compagnie qui ne se quitte… Les formalités matérielles étant réglées  nous sortîmes une dernière fois de la cuisine.  J’eus sa main, froide, dans la mienne. Était-ce un regard de haine ou  de regret ? En tout cas en regagnant le pavillon je le sentais terriblement présent sur mes épaules.