En observant les étoiles, Thierry arrivait à tout oublier : la fatigue, les couloirs du métro, ses collègues de travail qui l’épuisaient. Rentré chez lui, il aimait s’allonger et regarder le ciel nocturne, il branchait alors la sono pour écouter Jésus que ma joie demeure et plongeait dans une sorte d’extase. Il était comme transporté dans un Jardin des délices dans lequel, enfin, il pouvait laisser éclater un rire sonore en révérence à la galaxie. C’est ainsi que souvent, le soir, il aimait se ressourcer.

 

Vers vingt heures ce jour-là, sa femme Juliette rentra comme d’habitude de son travail à la RATP, fatiguée d’avoir conduit son autobus toute l’après-midi, et comme d’habitude elle jeta bruyamment par terre son sac à dos, ce qui sortit Thierry de sa torpeur.

  • Oh ! Tu m’as encore fait peur, fit Thierry en s’étirant comme un chat.
  • Mais… t’en a pas un peu marre d’écouter Jésus que ma joie demeure comme ça, tous les soirs ? demanda Juliette.
  • Ben, tu préfèrerais quoi ? La Madelon, peut-être ?
  • Arrête, arrête ! ne te fâches pas mais moi, les grandes orgues, ça finit par me sortir par les pores !
  • Tiens, fit Thierry, à propos de sortir, si on sortait plutôt ce soir, au lieu de ronchonner ?

 

Et ils décidèrent de se rendre à pied jusqu’au Champ de Mars où se trouvait la foire aux plaisirs. Une des attractions leur plaisait particulièrement : elle portait le nom de “Rasta Rocket” et consistait à s’installer dans un wagon de forme oblongue pour dévaler un mur vertigineux d’une trentaine de mètres avant d’enchaîner sur trois loopings.

En arrivant là, ils rencontrèrent un couple de leurs amis, Marc Antoine et Adélaïde. Juliette n’aimait pas trop Adélaïde, mais bon, ils décidèrent malgré tout de cohabiter dans le même wagon pour se griser des accélérations fulgurantes du “Rasta Rocket”. Thierry, en fermant les yeux, revoyait ses chères étoiles, Juliette avait le sentiment de dévaler les montagnes qu’elle aimait tant, quant à Adélaïde et Marc Antoine, bien collés l’un contre l’autre dans une sorte d’effroi, peut-être ne pensaient-ils qu’à serrer les dents.

 

Tout à coup, une panne d’électricité plongea la moitié du Champ de Mars dans l’obscurité. Les quatre avaient pu descendre de leur wagon mais comme ils restaient étourdis et un peu perdus dans le noir, ils allèrent s’allonger juste à côté sur la pelouse, en attendant le retour de la lumière. Thierry ferma les yeux et, aussitôt, la rêverie interrompue deux heures plus tôt par Juliette le reprit. Il était là, sur le sol, dans un état d’abandon qui rappelait celui du Dormeur du val, et il voyageait. Les yeux fermés, il voyait tourner le globe terrestre, comme quand il jouait avec Google Earth.

Alors, il arrêta la rotation et plongea, plongea, plongea vers le sol, vers cet endroit dont il avait toujours rêvé, cet endroit où les étoiles sont différentes et si belles. Thierry se trouvait en Patagonie dans un voyage inouï, une découverte merveilleuse, l’immensité des plaines, les fabuleux glaciers qui tombaient dans l’océan. Et… la Croix du Sud !

 

Quand il rouvrit enfin les yeux, la lumière était revenue. Les trois autres étaient lancés dans une discussion qui ne l’intéressait pas. Il continuait à rêver éveillé, à voyager ébloui en remontant vers le nord au-dessus des Andes et, pendant tout le chemin du retour, on put l’entendre fredonner El condor pasa. L’oiseau resta perché jusqu’au matin dans sa tête.

 

Texte écrit lors de l’atelier du 29 septembre 2021 à Villenave d’Ornon : “En chansons