Les garçons peuvent jouer aux billes, grimper aux arbres, sans difficultés, avoir un ballon…

Je veux être un garçon.

Alors, dans la cour de l’école, timidement, je m’immisce près de leur terrain de jeux, juste à côté du bac à sable, qu’ils ont réquisitionné, chassant les petits.

J’observe les coups. Roulent les agates, le boulet, l’œuf tant convoité, bulle d’eau, équinoxes et cyclones.

L’œil de chat poursuit frénétiquement le poisson clown.

Éclatent les couleurs, lorsque l’ozone tinte la mer bleue, percute l’océan.

 

Je ne fais que regarder :

      « Non, toi tu ne joues pas, les filles ça ne jouent pas aux billes, et puis tu ne sais pas jouer ! »

Parfois, je sers de mascotte à Hugo.

      « Si, reste là, si tu restes là, tu vas voir, je vais gagner… »

Hugo, le plus baraqué de la bande, le cancre, la forte tête qui a su m’imposer.

Et je reste là, accroupie, mal en équilibre, tirant sur ma jupe plissée, parce que sinon, j’ai droit à :

« J’ai vu ta culotte ! »

Je vous jure ces stupides habits de fille…

 

Parce que les filles… parfois, elles me gonflent. Les rondes, ça va un temps…

La marelle, je ne sais pas tellement y jouer, je ne tiens pas en équilibre sur un pied, une pierre plate dans une main. 

Pourtant, dieu sait si je vise le ciel…ce paradis perdu…

 

La corde à sauter, il ne faut pas m’en parler, je m’embringue dans la corde, menace de tomber, pourtant, j’ai essayé : « Regarde, c’est facile, tu écartes la corde, les deux quilles dans chaque main … et tu sautes, à pieds joints. »

Non, non, pas pour moi, ça fait trop d’enchaînements, tout se mélange, je fais tout de travers et en plus j’ai l’air d’une andouille.

Elles me fatiguent avec leurs stupides messes basses et que « Je suis plus ta copine, va jouer avec quelqu’ un d’autre ! »

Pour Noël … je me suis mis en tête d’avoir une voiture, comme les gars, non mais !

Habituellement, je ne demande rien, mais là … si.

« Tu es sûre, tu ne préfères pas une poupée ?? »

Oui, je suis sûre, je la veux mon auto !

 

Et je l’ai ! Je caresse le plastique nacré de ma quatre-chevaux. Toute laiteuse de peinture vert eau.

« Mais attention, tu ne l’emportes pas à l’école … »

A quoi ça va servir, si je ne peux pas la montrer aux copains ?

 

Evidemment je me fais charrier par quelque adulte rigolard et pas très finaud.

« Tu joues aux petites voitures, mais c’est un jeu de garçons, mais voyons …, tu n’es pas un garçon ! »

Evidemment, je ne suis pas un garçon, je le sais, ils sont suants avec leurs à priori.

Je lui lance un coup d’œil assassin et rebaisse la tête, m’absorbant dans mon jeu, parce que :

« On ne répond pas aux grandes personnes ! » 

Que peut-il comprendre celui-là…

 

Bon, cela n’est pas dit … crûment, mais, comme j’ai surpris certaines conversations … j’en ai déduit, que… : mon père veut absolument un fils

Je me sens délaissée ou impuissante à retenir son attention.

Et comme maman a le gros ventre…

 

Je demande à me faire couper les cheveux courts. Devant la glace, j’ai une drôle de bouille, on ne voit que mes yeux et merde, on voit mes oreilles, qui en rougissent de désolation.

Pas manqué, dans la cour de l’école, le lendemain c’est :

« Napoléon, Napoléon », ben oui, dans la glace, je ressemblais à Napo lorsque il ne s’appelait encore que Bonaparte.

 

Hugo me rassure :

      « Arrête de faire ta tête de Caliméro, mais non t’es mignonne… »

Et main dans la main nous faisons le tour de la cour, et évidemment je suis fière.

Et à fin, il me fait un bisou.

 

Les jours suivants, à la récré, nous nous tenons par la main et s’entonnent les railleries :

      « Hou, les amoureux ! Les amoureux !! »

 

Et, un jour, Hugo me lâche la main :

« Va jouer avec les filles, moi, je vais jouer au foot… et arrête de pleurer, c’est chiant les filles, ça n’arrête pas de chialer. »

 

Donc là, je vis mon premier chagrin d’amour.

Il est trop bête ce garçon, tout ça parce qu’il a honte devant les autres.

 

Qu’est-ce qu’il me reste ?

Eh bien… les filles, puisque je suis une fille après tout ! Et là, je rejoins, Sylvie, la plus balèze et Françoise, la plus sensible et ensemble on décide, pour l’instant, de les ignorer, les garçons.

 

Et les petits ! Les petits adorent que je leurs racontent des histoires.

 

La cloche sonne, et joyeuse, je m’élance et vole vers mes chers livres d’histoires.

 

Tous ces gens qui, au loin, écrivent…..

Il me reste tellement à apprendre…tant de gens à tenter de comprendre…