Le poète est l’artisan du mot. Il puise à la source de ses souvenirs, ou dans les méandres obscurs d’un paysage intérieur, les figures ciselées de sa langue secrète. Écrire en poésie, c’est d’abord se dire dans ce que l’on a de plus intime, laisser trace de soi dans un jeu de lumière et d’ombre. Faire d’une émotion furtive une matière à lire ou à dé-lire… Car le langage poétique joue d’une nécessaire déraison et se moque des conventions. Il est par essence ambigu, parfois provocateur. Il révèle autant qu’il tait, suggère plus qu’il n’explicite. Il offre souvent plusieurs voies d’interprétation possibles. Au lecteur de faire son choix, sans trop y réfléchir, en fonction de sa propre sensibilité, de ce qu’il cherche et surtout de ce qui résonne en lui.

Écrire de la poésie, c’est aussi dire le monde, son monde, c’est-à-dire un monde perçu à sa façon, un monde désiré ou un monde rejeté. En ce sens, le poète cherche en vérité à être le témoin de son propre rapport vécu au monde. Il donne à voir plus qu’il ne décrit les choses. De ses mots jaillissent des intuitions de sens insoupçonnées. Je me surprends souvent à écrire ce que j’écris, comme si quelqu’un d’autre que moi parlait à ma place, la part la plus obscure de moi-même, et sans doute aussi la plus clairvoyante. Le sujet du poème n’est pas toujours celui qu’on croit. « Je est un autre » écrivait Rimbaud…

On entend dire aujourd’hui que la poésie est un art dépassé, ou un mode littéraire réservé à une élite, à un cercle fermé où l’on ne peut se faire comprendre que de ses congénères. Je crois au contraire qu’elle est l’expression la plus partagée, de tout temps et en tout lieu, à condition de pouvoir se mettre à l’écoute de soi-même (ce qui dans notre monde actuel est parfois tâche difficile…), de prendre plaisir à l’exercice des mots comme le peintre à celui des couleurs, de vouloir au fond, d’une manière particulière, faire vibrer la corde du désir… Comme le déclarait Pierre Seghers (et je fais mienne cette déclaration) : « Si la poésie ne vous aide pas à vivre, faites autre chose. Je la tiens pour essentielle à l’homme autant que les battements de son cœur ».

Jean-Pierre Gaté