Comment j’ai appris à lire?

Ce dont je me souviens : un jour de pluie, avec interdiction de sortir. Nous sautions, à qui mieux, avec ma sœur, chacune sur notre lit.

Bon, on avait dû se faire attraper, parce que :

_Qui va refaire les lits, après?

 

Notre mère pour nous calmer, nous avait fait assoir toutes les deux sur le même lit et s’était assise entre nous, une chacune de son côté, Camille à droite et moi à gauche et elle a commencé à lire, je me souviens c’était “Le lièvre et la tortue”, je revois encore la couverture.

Bon à l’école, j’y allais déjà, je suis entrée à trois ans et demi.

Faut dire qu’avant, ma mère, je la tannais pour y aller, parce que c’était des pleurs quand Camille partait le midi, le matin, je dormais.

Je vous raconte le jour de la rentrée des classes?

Bon, je n’étais pas fiérote, parce qu’à part ma sœur, je ne connaissais personne.

On m’avait refilé le cartable de Camille, couleur tartan ciré, noir et rouge, avec le petit morceau de chatterton noir qui va bien :

  • Mais non, tu vois bien, on ne voit rien, il est tout neuf ton cartable.

 

Maman nous avait accompagnées jusqu’à mi-chemin, parce que Camille qui entrait en CP avait décrété :

  • Mais, je sais y aller à l’école et toute seule encore.

 

Dans mon cartable, il y avait entre autres ” un rechange” parce que la maîtresse avait précisé, “Vous comprenez, en cas d’accident.” Je me demandais bien quels pouvaient être ces accidents, mais passons.

Pendant l’autre moitié du parcours, ça avait été une autre chanson :

  • J’espère que tu ne vas pas me faire honte, hein, tu ne pleures pas, il n’y a que les bébés qui pleurent, et pendant la récréation tu ne me colles pas, je suis grande, je vais avec mes copines.

J’étais parmi les plus jeunes, et donc, on m’avait dit de ne pas pleurer, je n’ai pas pleuré, il suffit d’écarquiller les yeux sans ciller, d’avaler sa salive, se mettre de côté et attendre que ça passe.

Les accidents, j’avais compris ce que c’était, il fallait demander la permission pour aller aux cabinets et vite, vite se dépêcher.

En fin de matinée, je n’avais pas pleuré, je n’avais pas eu d’accident, j’avais dû avoir une image, j’étais bonne pour le service.

 

Ma mère lisait à haute voix, en suivant la ligne pour Camille, qui elle apprenait à lire dans une autre classe à l’école et ainsi déchiffrait mieux les mots, mentalement.

Et penchée aux côtés de Maman, je regardais les images.

Ma mère prit l’habitude, le soir de venir me lire des livres, avant que je m’endorme et je l’écoutais me raconter des histoires et par habitude tout en me montrant les images, d’un doigt sûr elle suivait le fil des lignes.

Les livres n’étaient pas si nombreux, peut-être, ou alors je lui réclamais toujours les mêmes, aussi, le paragraphe terminé me laissait-elle le livre entre les mains, avant que de venir éteindre la lumière ou pendant que ma sœur, qui désormais, elle, savait, lisait de son côté.

 

Le jeudi, je m’emparais d’un livre et filais sous le figuier, faisais-je semblant? Au début sûrement, je connaissais les histoires par cœur aussi, suivais-je du doigt la ligne que je récitais.

 

Et un beau jour, Maman dit en confidence :

-Je crois que la petite sait lire…

 

Mon père qui lisait le journal, le replia et allait me le tendre quand je lui dis

_Ben, ce n’est pas la peine, parce que je sais lire aussi à l’envers… et lui lut quelques lignes.

_Comment tu as fait?

_Ben, c’est quand maman me lisait, parfois le livre était à l’envers.

 

C’est après que ça n’a pas été coton, parce que en grande section, pendant que les autres ânonnaient, les sons en labiales, conservant, un doigt sur la page concernée, je tournais les pages et m’instruisait par avance.

Parfois, je me faisais gronder, mais parfois, la maîtresse, qui n’étais pas si bête me donnait  la permission de lire seule à une table.

 

Bon, après je prononçais : chat qu’expire pour Shakespeare…

 

Pour écrire, ça a été une autre histoire, faire des lignes de bâtons et prononcer “meuh”, un signe que ma mère proclamait “aime”. Je n’en voyais pas l’intérêt et ne comprenais pas la signification, et oui, pour moi les mots étaient des entités à part entière, pas question de les dissocier. L’institutrice, pourtant c’est obstinée et par associations de caractères en plastiques de modèles d’imprimerie, j’ai enfin compris qu’en recopiant ces lettres en jouant avec, je pouvais écrire… c’était donc ça… écrire.  

 

Après, il  y a eu l’épisode de l’accent grave, période où je m’obstinais à ne pas mettre d’accent.

  • Mais pourquoi, tu ne mets pas les accents?

  • Ben, ça ne sert à rien…

  • Comment ça, ça ne sert à rien

  • Ben, oui, tout le monde comprend…

Et, pourquoi le chapeau de la cime est tombé dans l’abîme, je pensais à la cime des arbres, à la forêt , il le conserve son chapeau là?

  • Par ce que c’est comme ça! Et ça, ça m’énervait.

 

L’orthographe, donc, j’ai compris de mémoire, sauf éléphant, là je m’y reprends pour ne pas mettre héléphant, la mémoire, ça trompe. Alors parfois, l’ortho, c’est grave.

 

Après, il y a eu la grammaire, je détestais la grammaire, en fait j’écrivais, les compléments des auxiliaires qui ne nous viennent jamais en aide, sauf que la différence entre être et avoir, ça m’est resté, mais je n’apprenais pas la grammaire.

C’était rébarbatif au possible, je faisais semblant. Comment on fait, on attend, sagement que quelqu’un aille au tableau et on l’écoute réciter sa leçon, si c’est bon, c’est coton, tu as tout retenu et après tu l’a sais ta leçon.

 

La concordance des temps, ça c’était intéressant, il m’en reste peu, sauf dans la bouche de ma grand-mère qui parlait en patois et me disait ” Il va falloir qu’iange encore le cri” et je traduisais et m’émerveillais qu’elle dise : il va falloir que j’aille le quérir.

 

Et puis un jour, un homme tout de noir vêtu, cape flottante et chapeau à larges bords s’est assis dans la classe et prenant son temps il nous a dit en marquant les silences :

” Le hareng saur”, les mots, choisis par Charles Cros “pour les enfants, petits, petits, petits”…