Héva, la première, avait découvert les grandes eaux.

La première, elle les avait alertés, lorsque, fouillant la boue de la berge de la grande étendue, elle arracha, d’un flot sale quelques minuscules coquillages, dont les enfants furent friands et de ces minces coquilles plates, dont le gris, moirant, à la lumière, se paraient d’une fleur orange, au corail pareil.

Au début, elle ne s’était avancée que de quelques centimètres.

Puis le temps passant, elle avait été contrainte de s’aventurer plus avant, en vain, l’eau reculait.

Depuis, ils regardaient descendre les eaux.

Depuis des jours, ils regardaient descendre les eaux.

L’eau n’affleurant plus le bord, leur dévoila peu à peu une fente dans la terre, inédite à leurs yeux.

A la surface, un long ruban dentelé d’un vert tendre attira l’œil d’ Héva. Elle fit un geste et aussitôt les jeunes, agrippés à la roche mère plongèrent, non sans peine, dans l’eau grisâtre lui ramenant l’herbe en trophée.

Héva la renifla à plusieurs reprises, mâcha et après réflexion, la mit de côté.

Le soir, elle en réserva la moitié, l’enfouit dans sa bouche, en appréciant la douce acidité, la faisant saliver.

Pendant ce temps, entre deux galets elle pila l’autre part. Elle le mouilla d’un peu d’eau dans un bol de terre grise, son bien le plus précieux, celui qu’elle avait façonnée encore enfant y ajoutant une anse de son invention.

Elle le posa sur le feu, y jeta une poignée de racines, rondes, grosses d’un ongle, attendit, et, assise dégusta le tout, le fondant et le fumet de l’algue se mêlant à la douceur noisette des minuscules tubercules.

Satisfaite, elle se leva, les grandes eaux avaient du bon.

Jour après jour, ensuite, avant que ne se couche le soleil, elle inspectait dubitativement la falaise que les eaux découvraient.

Elle en admirait les moindres couches, qu’était ce que cela ? Les strates s’étageaient de curieuse manière.

Héva reconnaissait la roche mère, , composée de lourdes dalles anthracite, mais sous elle , une boue plus blanchâtre s’étalait, puis des pierres mêlées de terre jaune, plus collante.

Elle s’enhardissait et les dalles, au fil du reflux, formant des marches, elle put s’ériger le long de ce mur de quatre mètres en toucher le lisse, le rugueux, le sablé, le friable, jusque au mince liseré rouge sang qui l’intrigua.

Un jour, le sable fut là, tendre à ses pieds. Elle y plongea les orteils avec délice, faisant naître, des ventouses de vase mêlée. Elle y retourna explorant ce que révélaient les marées. Elle put de nouveau nourrir ses enfants de coquillages.

Un matin, les vagues découvrirent des rochers d’ocre sombre, dont, de la paume, elle souligna le bombé, le lisse, le tranchant.

A ses pieds, se dressait un animal caparaçonné, équipé de deux pinces… redoutables … Du bout de son bâton, Héva s’en saisit, faisant piège de l’arme du curieux animal, le poussa dans un creux de la roche. 

Le creux dessinait la marque d’une patte de cette sorte d’oiseau, lent lourd au vol, qui leur avait servi tant de fois de guide, dans leur long périple. Celui-ci devait être énorme, trois doigts, chacun long d’une main et puis là un autre, plus profond … comme un pas de géant. Cela lui sembla un signe, elle tata la pierre de la main .Elle ne comprenait plus rien, évalua du regard la direction qu’avait emprunté… cet oiseau…

Et l’eau, devant ses yeux, peu à peu se fendait, recelant un passage à gué, vers l’île au loin…