Certains ont des chansons fétiches. Le morceau que jouait la radio quand leurs regards se sont croisés pour la première fois. C’est la BO du Grand Bleu qui passe dans le casque ceignant les boucles châtain clair de Johanna. Il y a plus de trois décennies que j’ai plongé dans ses yeux bleu majorelle et je me sens en apnée, à chaque fois que je m’y perds.

 Quand elle entre dans le salon, ma femme est intriguée par mon installation : sous quelques coussins, une chambre à air de tracteur surmonte notre canapé en palette sur roulettes. Elle sait que mes mises en scène sont parsemées de symboles et je sais que cette bouée lui évoquera immanquablement la mer, les vacances, les nôtres et celles de nos enfants…Lui donnant la main, je l’y installe. Elle s’allonge en soupirant d’aise. Elle a toujours besoin de buller un peu en rentrant de l’hôpital. L’aile du désir me frôle quand elle m’adresse un sourire enjôleur, un peu narquois, comme je lui pose un masque sur les yeux. J’ai envie de baiser ces lèvres qui ont su insuffler cet élan vital en moi, cette joie de vivre qui a soudé notre couple.

Je suis certain que ce voyage l’enchantera. J’espère juste que la pandémie qui ravage le monde sera sous contrôle et ne nous empêchera pas de décoller. Je joue sur du velours et l’expression me fait sourire. Même si elle pouvait me voir, elle ne devinerait sans doute pas la raison de ce sourire : c’est la matière associée à notre anniversaire de mariage, 29 ans. Mais je ne dois pas la sous-estimer. Il me semble même qu’elle m’avait posé des questions, sans avoir l’air d’y toucher, sur la veste en velours seventies qui me plait.

–              J’en ai pour vingt minutes, quelques petits réglages…lui dis-je en lui offrant une caïpirinha, enserrant ses doigts pour assurer sa prise.

La laissant savourer sa boisson, je pénètre dans notre chambre à coucher. Je suis assez satisfait de l’ambiance que j’y ai créée.

Elle aura fière allure, Johanna, quand je l’y emmènerai, telle une déesse ultramarine sur son trône ! J’ai tenté de reproduire l’intérieur du bungalow du prospectus. Dans une lumière bleue tamisée, ses yeux s’ouvriront sur le ciel vaporeux de la moustiquaire agitée des doux alizés générés par des sèche-cheveux, disposés de part et d’autre du lit. Une douce fragrance aux senteurs marines sortira de l’humidificateur d’air.

J’ai sérieusement étudié le vocabulaire éolien pour composer le texte qui accompagne les deux billets d’avion pour les Iles Sous-le-Vent, accrochés à la moustiquaire avec une pince à linge. Les sirocco, foehn, mistral et autres aquilons n’ont plus de secrets pour moi.

La voix de Garou s’élève quand j’entraîne mon amour dans la chambre…Sous le vent. Je ne peux pas mieux faire, j’suis au max !