Texte inspiré par l’atelier en ligne du 27 janvier 2021

Le petit pompon rouge gambadait sur le chemin. il s’immobilisa soudain devant l’immense arbre jaune qui flamboyait contre le ciel gris.
François rejoignit la petite. Ses yeux noisette brillaient au-dessus de ses joues rosies par le froid. « Regarde Papa, c’est beau ! »
Il se pencha vers elle: « Tu veux qu’on rapporte un bouquet à Maman ? »
La petite battit des mains : « Oh, oui ! »
François sortit de sa poche un bout de ficelle et le couteau qu’il avait toujours sur lui et entreprit de composer un gros bouquet rustique. La petite tendit les bras pour accueillir l’éclatante brassée de petits pompons jaunes. Elle y enfouit son visage: « Ça sent bon ! ».
François sourit. il replia son couteau et le remit dans sa poche. « Viens chérie, il faut finir notre promenade avant la nuit ».
Ils arrivèrent bientôt dans une forêt de pins. Au bout d’un chemin balisé, ils atteignirent une clairière où était aménagée une aire de jeux pour les enfants.
La petite confia le bouquet à son père et courut vers le toboggan. François s’installa sur un banc et prit quelques minutes pour consulter son téléphone. Lorsqu’il leva les yeux le petit pompon rouge avait disparu. Il se leva précipitamment…

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Sous le sapin, papiers cadeau en boules, rubans dorés et pochettes pailletées étaient amoncelés. Assise au centre de ce parterre, Karen tomba en arrêt devant la dernière boîte qu’elle venait d’ouvrir. Nichées au cœur d’une feuille de papier de soie, elle découvrit de merveilleuses chaussures de roller. Leur teinte amarante, leur odeur de cuir neuf, la brillance des parties chromées, l’élégant contraste des ganses et des lacets blancs, tout la ravissait.
Karen aimait tellement ses rollers qu’elle ne mettait pas d’autres chaussures pour sortir. Lorsque les vacances furent terminées, elle fit semblant de mettre d’autres chaussures pour partir à l’école, mais au bout du chemin, elle les troqua contre les rollers qu’elle avait cachés dans son sac.
Elle eut son moment de gloire dans la cour avant que le professeur ne se rende compte qu’elle était entrée avec en salle de classe. Elle refusa de les ôter même lorsque le professeur et le surveillant l’emmenèrent dans le bureau de la directrice. Elle finit par obtempérer, mais dès le lendemain, elle ne put s’empêcher de recommencer.
Au bout de trois jours, le Conseil de discipline la renvoya chez elle pour quelques jours de réflexion avec de nombreux devoirs à faire.
Parmi ceux-ci, le professeur de français avait glissé une rédaction sur « Les chaussons rouges » d’Andersen, une triste histoire de souliers maudits qui avaient entraîné leur obstinée propriétaire dans une danse sans fin. La morale était claire: Vanité et plaisir effréné menaient à la déroute, à l’exclusion et en définitive à la mort…
Par la fenêtre, la jeune Karen regarda d’un autre œil ses rollers abandonnés sur la terrasse.

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Lorsque Karen eut terminé sa punition, elle fut autorisée à utiliser ses rollers rouges, mais seulement le dimanche. Ce dimanche-là, elle déambulait le long de la promenade des Anglais. Les baraques des plages privées s’étaient frileusement réfugiées derrière leurs volets blancs et bleus, bercées par les vaguelettes qui s’écrasaient sur les galets de granit. En cet après-midi de janvier, le ciel niçois avait troqué sa robe d’azur contre un costume gris que seuls les mimosas éclairaient.
Elle leva les yeux pour contempler leur éblouissante couronne. À cet instant, une vague de souvenirs déferla sur elle. Elle se revit enfant, tenant un gigantesque  bouquet de douces boules jaunes. Elle marchait entre des rangées serrées de pins et un vent salé soufflait. Plus elle avançait, plus elle se sentait oppressée. Au bout du chemin assombri par les arbres immenses, elle fut soulagée d’apercevoir des balançoires et des toboggans. Elle se retourna vers son père pour lui confier son bouquet. Mais le visage qui surgit de ce souvenir ne ressemblait en rien à celui de l’homme qu’elle appelait Papa.
En rentrant chez elle, elle se précipita vers sa mère. « Maman, j’aimerais bien voir des photos de quand j’étais petite… »
Sa mère fronça les sourcils. « Mais chérie, tu sais bien que nous avons perdu tout ce que nous avions lorsque notre première maison a brûlé ! »
Quelques années plus tard, à la mort de ses parents, Karen retrouva un article de « Sud Ouest », soigneusement dissimulé dans un faux tiroir.
Pessac, 28 janvier 2004 : Toujours aucune nouvelle de la petite disparue de la forêt du Bourghail. Malgré les nombreuses battues la petite Marie Cazenave n’a pas été retrouvée. La gendarmerie explore également la piste de l’enlèvement…