en écho à Lunéville…

 

 

 

 

Les tricheurs

Ces trois-là jouent aux cartes en ce moment suspendu dans la nuit ; une nuit de première fois pour le jeune-homme, une nuit de rite de passage, une nuit où tous les boutons de col, comme des moutons juchés sur une poudrière, peuvent faire sauter les dentelles. Il se sent comme une pomme de terre dans un puits de mine, nu dans le tourbillon des regards qui le pressent.

L’autre en face de lui, l’enfant du bateau-lavoir, celui qui a vécu au milieu des machines à battre rouillées par l’eau des canaux dévorés par les chèvrefeuilles en fleur, l’autre qu’il sent avide de ses deniers pour qu’enfin les plus beaux seins du monde ne s’entrouvrent plus pour dire non, l’autre qui dans son dos tient la carte fatale, l’autre qui rêve de se pavaner dans des palais de micas étincelants, sans savoir que bien mal acquis ne profite jamais.

Le troisième, l’homme aux gants troués, dont les rides s’agrandissent comme une station de métro jusqu’à recouvrir son front, se tortille comme une botte de radis. Lui aussi rêve de pêches et de plumes d’autruche, de myosotis au fond des patios où reverdissent les arbres, où tourbillonnent sans cesse des mousmées, comme des bateaux à voile.

 

L’instant reste suspendu dans la nuit.

L’angoisse du jeune-homme pâle augmente comme une mer qu’on ne veut pas traverser, comme une mer Rouge qui s’ouvrira quand s’abattra la dernière carte.

Alors, le rite sera accompli, les personnages reprendront vie, la pie voleuse pourra s’envoler de nouveau, les tricheurs repartiront fouler les rêves avec les Parques dans une nuit de beurre, et le jeune-homme restera là, toute angoisse bue, à méditer jusqu’à l’aube la perte de ses trois deniers sur la place déserte et blanche.

 

 

C.G. 06/08/2017                               Merci au Caravage et à Benjamin Péret (Nébuleuse).          

https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Tricheurs_(Le_Caravage)#/media/File:The_Cardsharps.jpg

http://www.magyarulbabelben.net/works/fr/P%C3%A9ret,_Benjamin-1899/N%C3%A9buleuse

 

Ce texte, qui fleure bon l’atelier d’écriture, a été écrit en utilisant à la fois le tableau du Caravage et le poème surréaliste de Benjamin Péret. Je ne me souviens plus des consignes, mais ce devait être quelque chose du genre :

  • “Choisissez d’abord un tableau et un poème parmi les recueils à votre disposition”
  • “Décrivez ce tableau (un tableau très classique Les Tricheurs du Caravage pour moi, donc) en utilisant le plus possible les mots du poème (pour moi le poème surréaliste Nébuleuse de Benjamin Péret)”.

Un exercice qu’aurait adoré notre ami Loki !