Dieu me parle tous les matins entre 8 heures et 10 heures. Un jour j’ai même reçu le Diable. Ce matin là …
Je rangeais quelques documents avant de quitter mon cabinet pour l’hôpital, lorsque j’entendis un bruit inhabituel là juste derrière la cloison, une sorte de puissant frôlement. Intrigué j’ouvris la porte et me trouvai nez à nez avec un ange aux immenses ailes qui manoeuvrait difficilement dans le couloir. Un ange ! N’importe qui à ma place eût été surpris, glacé de stupeur ! Mais quand on a reçu Dieu et le Diable sur son divan reconnaissez qu’il faut plus qu’une simple créature céleste pour vous étonner.
– Ah ! Docteur ! Excusez ce tapage mais nous n’avons pas été conçus pour nous mouvoir dans des espaces aussi exigües, pourriez m’accorder quelques minutes ?
– Oui Mons … Euh ! … Mada … mais j’ai très peu de temps à vous consacrer, donnez vous la peine d’entrer, que puis-je faire pour vous ?
Se donner la peine d’entrer est l’expression parfaitement adéquate tant l’ange était encombré de ses ailes et, après que je lui ai fait signe de le faire, s’allonger sur le divan releva presque du numéro de cirque.
– Dites moi
– Mon problème, c’est le sexe.
Voilà qui ne me change guère pensais-je un peu déçu alors que je l’invitais à poursuivre
– Tout à l’heure en hésitant entre monsieur et madame vous avez mis le doigt dessus … Enfin si je puis dire.
– ???
– Oui, vous le savez sans doute, nous les anges nous avons été créés sans sexe et …
– Je sais, il semble que ce soit le second concile de Nicée au VIIIº siècle qui ait tranché la question
– Trancher la question ! Vous avez de ces mots ! Imaginez que j’ai été un ange de sexe masculin !
– Il faut bien dire que c’est plus souvent comme ça que nous vous représentons, nous autres les humains
– C’est vrai, et avec des attributs souvent microscopiques.
Et là il me sembla déceler une petite rancoeur.
– Et ??
– Et bien à force de vous fréquenter ici bas nous pensons que l’on s’est drôlement fait avoir. Cette histoire de sexe ont voit bien que ça vous travaille, mais on voit bien aussi que cet irrésistible attrait entre deux personnes est une merveilleuse source de bonheur et de vie dont nous sommes privés.
– Et ??
– Nous vous connaissons bien, nous gardons vos âmes depuis la création et nous entrons dans vos consciences, et là franchement, passez moi l’expression, mais il y a des moments où vous ne vous emmerdez pas !
– Oui, mais nous sommes mortels !
– Et alors ? Si je vous disais que l’éternité est monotone et ennuyeuse
– Vous ne connaissez pas le malheur
– Exact ! Mais il en découle que nous ne connaissons pas le bonheur non plus. Nous menons une existence étale, sans le moindre relief. Tout cela serait certainement très bien si nous n’avions pas à vivre avec vous. J’ai la garde de l’âme d’un jeune homme. Quand il a un rendez vous avec sa bien aimée, Il est transporté de bonheur vous comprenez ? Mon collègue, l’ange gardien de la jeune fille, m’a raconté la même chose et lorsqu’ils se rencontrent, qu’ils s’embrassent, se disent mille choses tendres, nous sommes là suspendus en l’air comme deux ronds de flanc, témoins d’un bonheur qui nous est interdit.
– Je crois que je commence à comprendre. Mais que pensez-vous que je puisse faire pour vous ? Vous demander de quel sexe vous voulez être et vous l’attribuer d’un seul coup de baguette magique, pouf ! Comme ça ? Vous savez bien que je ne n’ai pas ce pouvoir.
– Vous non, mais vous recevez Dieu tous les matins de 8 heures à 10 heures. Vous pouvez peut-être lui en toucher un mot ? Nous, les anges gardiens de base, il ne nous écoute pas.
– Je vais voir ce que je peux faire, mais la chose est délicate, c’est Dieu quand même ! Et puis vous allez tomber dans la condition humaine, vous devriez vous méfier !
– J’ai confiance et nous ne sommes que quelques-uns à vouloir être sexués. Il y a en qui voudraient être des femmes, d’autres qui voudraient être des hommes, dont moi avec un gros zizi si possible, et j’en connais qui ne savent pas, qui changeront peut-être d’avis.
– Vous risquez quand même d’être très très déçus.
– Déçus, peut-être, mais vivants … et un jour peut-être tomberons-nous amoureux ? .
Je l’aidai à se relever et sortis du cabinet avec lui, mais avant même d’avoir atteint la rue il avait disparu.
Un ange très sympathique devant un choix bien difficile !
Et nous qui rêvons parfois d’éternité !