Maximilien Robinet regarda le calendrier. Il sursauta ! Plus que trois mois et il allait fêter ses 60 ans : le 27 mars 2021.

C’est ce jour-là qu’il ressentit la discrimination qui le frappait.

On venait de l’obliger à remplir un dossier pour faire valoir ses droits à la retraite.

Il s’estimait vexé de pouvoir en bénéficier, alors qu’il se sentait en pleine forme comme s’il avait 40 ans. D’ailleurs il était coach en développement personnel. Si une personne s’y connaissait en développement personnel, c’était bien lui.

Il menait une vie exemplaire soignant sa forme physique, son alimentation et son cerveau par des activités intellectuelles.

En plus il venait de se mettre en ménage avec une jeune fille de 19 ans.

 

Aujourd’hui il était déterminé, il allait demander à la justice de lui modifier sa date de naissance :  transformer « 27 mars 1961 » en « 27 mars 1981 ».

Il prit immédiatement conscience qu’il ne pouvait pas être seul dans ce combat. Il lui fallait un avocat !

Il pensa à un jeune avocat, maître Antoine Robillard qui venait de s’établir à deux rues de chez lui.

D’abord étonné par la demande de son client maître Robillard fut sur le point de refuser un tel dossier.

Mais fraichement sorti des bancs de la faculté, il lui fallait se constituer une clientèle et il subodora qu’une telle affaire pouvait le mettre en lumière dans les médias. Il accepta donc de s’occuper de l’affaire de Maximilien Robinet.

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La demande de son client ne pouvait aboutir que s’il avait un dossier en béton.

Première chose à faire : Maximilien devait réaliser un check-up pour authentifier médicalement sa bonne forme.

 Une semaine plus tard, Maximilien Robinet rapporta un épais dossier indiquant une qualité exceptionnelle de ses paramètres organiques. Un médecin avait même déterminé, après plusieurs observations, que l’âge biologique de la personne qu’il avait examinée se situait aux alentours de 40-45 ans.

 Maître Robillard était satisfait, il avait maintenant entre les mains un document certifié par la faculté prouvant que Maximilien n’avait pas biologiquement l’âge indiqué sur l’État civil.

Il lui restait à consolider ce dossier par l’adjonction de jugements rendus dans des affaires bouleversant les habitudes sociétales. Juriste compétent, il était ravi de prendre en main cette affaire. Il allait s’éclater à extraire dans la jurisprudence les jugements permettant de conforter la demande de son client.

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Un procès eut lieu.

 

Tous les médias étaient là ! Le caractère hors norme de la demande de Maximilien avait alerté les correspondants des principaux journaux, radios et télévisions. Ils se pressaient devant le palais de justice de Toulouse. Ils tendirent leurs micros quand Maximilien Robinet et maître Robillard arrivèrent au palais.

Maximilien déclara : je me sens jeune, je suis affuté, et je veux que ceci soit reconnu légalement, car je me sens abusé, lésé et discriminé par mon âge.

 

Maître Robillard affirma que la demande de son client était « tout à fait légitime », au même titre que des personnes unisexes, qui peuvent être inscrites en tant que telles sur leur passeport comme aux Pays-Bas. Nous pouvons aujourd’hui choisir notre travail, notre genre, nos orientations politique et sexuelle. Nous avons même le droit de changer nom. Alors, pourquoi ne pas avoir le droit de changer d’âge ?

 

Le procès commença.

 

 Les places étant limitées dans la salle d’audience nous n’avons pu assister au procès.

Nous sommes donc contraints de rapporter la synthèse rédigée par le journaliste bien connu spécialiste des affaires judiciaires René Max Pol Boucher.

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Toulouse février 2021.

La carrière de ce jeune avocat est prometteuse.

On sent qu’il a préparé méticuleusement et profondément son dossier.

Plus tard il figurera certainement à côté des grands maîtres du barreau comme Jacques Vergès, Paul Lombard, Olivier Metzner, Gisèle Halimi, Éric-Dupont Moretti et Robert Badinter.

D’ailleurs avant même ce procès il avait été remarqué par ses enseignants et termina premier à l’épreuve du grand oral qui couronne les études d’avocat. Sur un sujet tiré au sort, le candidat doit disserter pendant un quart d’heure. Il est impératif qu’il maîtrise toute l’actualité de l’année écoulée. Ensuite le jury lui pose une série de questions à la fois sur l’exposé et sur des thèmes satellites.

Pour étayer le dossier médical de son client, maître Robillard demande l’audition de plusieurs témoins.

Tout d’abord « Loulou » surnom de mademoiselle Ginette Dupont, qui rapporte la qualité de ses relations sexuelles avec Maximilien.

Ensuite, un ami, André, moniteur au bataillon de Joinville, qui tous les dimanches, court un marathon avec son « vieillard » comme il aime à le surnommer.

Avec l’habilité qui caractérise un bon avocat maître Robillard essaie de séduire les juges.

 Il a remarqué que la présidente est une femme. D’emblée il débute son plaidoyer en rappelant que le vote des femmes n’a été obtenu que le 21 avril 1944, que longtemps les femmes mariées ne pouvaient avoir un compte en banque qu’avec la permission de leur mari. Ce droit leur a été accordé le 13 juillet 1965.  Tous ces rappels ne peuvent qu’influencer favorablement la présidente, Madame Rebecca Lemeur-Migeat.

Elle a déjà été ébranlée par le dossier médical de Maximilien Robinet. En professionnelle consciencieuse elle a demandé une contre-expertise. Celle-ci a été réalisée par le professeur Hubert de la Trémolières, médecin légiste qui a examiné sans le connaître Maximilien. Ses conclusions ont conforté les éléments du dossier.

 

Maître Robillard s’est documenté sur le premier assesseur, il rappelle que la République s’est honorée en reconnaissant l’homosexualité, en instituant le PAC et le mariage entre personnes de même sexe.

Il fait en plus d’une pierre, deux coups en s’attardant sur la législation permettant de changer de nom. Le premier assesseur a changé de nom à l’âge de vingt ans passant de « Corniaud » à « Cornille ».

Il rappelle rapidement les lois à mettre au crédit du président Valéry Giscard d’Estaing : la majorité à 18 ans, le droit à l’avortement.

Elles complètent toutes les réformes, qu’il a évoquées, au début de sa plaidoirie, qui ont permis à tous les citoyens français de prendre pleine possession de leurs identités physiques et morales.

Et cette évolution continue !

Pour l’illustrer, il parle ensuite d’une actualité brûlante : les personnes transgenres !

Les personnes transgenres dont l’identité de genre diffère du sexe qui leur a été assigné à la naissance se sentent victimes de nombreuses discriminations dans leur vie quotidienne.

Avec un effet de manche, il souligne :

Mon client et moi sommes victimes de la même discrimination.

Le tribunal saura prendre en compte tous nos arguments et observations et décidera d’un jugement permettant la modification de l’État civil de mon client.

Le jugement est mis en délibéré.

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Quinze jours après, le tribunal de Toulouse décida que la demande de Maximilien Robinet était recevable. En conséquence une réquisition fut envoyée au service d’État civil de la mairie du lieu de naissance du demandeur pour changement immédiat de sa date de naissance.

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Maître Robillard est aujourd’hui un avocat réputé dont les justiciables se disputent les compétences. Mais ce n’est pas un ingrat ! Il ne manque pas, à chaque fois qu’il passe par Toulouse d’aller au Cimetière de Salonique se recueillir sur la tombe de Maximilien Robinet.

L’inscription sur la plaque « Maximilien Robinet né le 27 mars 1981 mort le 26 mars 2021 » lui rappelle la fin tragique de son client. Malgré sa forme excellente, il n’a pu éviter la voiture qui a brûlé un feu tricolore au rouge tandis qu’il traversait.

Il n’a pas pu fêter ses quarante ans…