L’impact des gouttes sur le métal de la carrosserie de sa voiture l’arrêta dans son effort. Les gouttes de sueur brillaient sous le soleil ardent du Sahara. Il y en aurait pleuré de désespoir, mais il était tellement déshydraté que rien ne pouvait sortir de ses orbites. Sa soif était inextinguible et pourtant il avait trouvé le moyen d’extirper de son corps un peu de l’eau qui pourtant lui manquait tant…

Cela faisait plus d’une demi-heure qu’il s’escrimait en vain à ouvrir le capot de sa voiture à l’aide d’une pierre plate. Il s’affaissa doucement sur le sol brûlant. De tout côté l’horizon s’étendait vide de toute vie.

 

En vacances au fin fond du Maroc dans un village il logeait chez l’habitant. Lui le brillant ingénieur se sentait invincible. C’est seulement maintenant qu’il était immobilisé à une centaine de kilomètres de l’oasis qu’il prenait conscience de l’absurdité de son aventure. Il avait demandé à l’un des habitants du douar de lui louer sa voiture. Explorer une partie du Sahara marocain est une chance qui ne se rate pas. Le villageois ne s’était pas fait prier. Quelques dirhams ne se refusent pas !

Le moins qu’on peut dire, c’est que « la pijot » n’était pas de première jeunesse. Mais le propriétaire l’avait assuré, malgré son aspect vétuste, le véhicule avait, encore, un moteur solide et qu’il le soignait comme un bijou.

Le vieil homme qui le logeait l’avait averti que la région n’était pas sûre. Mais l’envie était trop forte…

Le jeune homme était donc parti dès la première lueur de l’aube. Certes la voiture était en mauvais état, mais il savait que les Marocains ont le génie du bricolage. Une voiture qui en France aurait terminé à la casse retrouvait au Maghreb une seconde jeunesse. De plus il était confiant : dans le coffre il avait une bouteille thermos pleine d’eau fraîche et des gâteaux secs en quantité suffisante pour assouvir sa soif et sa faim. Il ne pensait pas faire plus de quatre cents kilomètres. Avec le GPS de son téléphone portable, il ne risquait pas de se perdre. Un bidon d’essence complétait le chargement.

Dans le rétroviseur le village s’éloignait. Pas de route ! De tout côté l’immensité et la platitude du désert. La voiture trépidait sur les cailloux noirs jonchant le sol. Laurent eut une pensée émue pour sa Clio dormant sagement dans un garage en France.  La conduite, ici, n’était pas la même que sur les routes goudronnées de la métropole. Il voulait de l’aventure, il en avait. Le volant tremblait entre ses mains, son dos ressentait douloureusement les tressautements du véhicule. Il avait beau surveiller constamment la piste, il ne pouvait pas toujours éviter les nids de poule et les galets. Les passages dans les parties sablonneuses nécessitaient une conduite précautionneuse pour éviter l’ensablement. Les rayons du soleil haut dans le ciel transformaient la cabine en une véritable étuve. Pas question d’utiliser la climatisation, il avait bien longtemps qu’elle avait rendu l’âme. Comme le compteur de vitesse, d’ailleurs, bloqué sur 578 000 km. En France la voiture aurait déjà été à la casse. Mais en Afrique le kilométrage est une variable sans grande importance, des pièces détachées arrivent d’Europe sans qu’on en sache vraiment la provenance. Si on n’en trouve pas, on bricole des pièces d’autres véhicules pour les adapter.

Laurent commençait à se lasser de la monotonie du paysage. La température l’oppressait. De temps à autre il jetait un coup d’œil sur le GPS de son téléphone portable. Ici pas question de compter sur les panneaux routiers ou les caractéristiques du paysage pour se guider.

Brusquement le moteur se mit à hoqueter et une fumée s’éleva au-dessus du capot. Après avoir bringuebalé sur une centaine de mètres, la voiture s’arrêta. La fumée continuait à s’échapper du moteur. Le jeune homme se pencha pour essayer de trouver la manette permettant d’ouvrir le capot. À l’emplacement où se trouve habituellement ce genre d’accessoire, il n’avait qu’un trou béant.   

Il regardait, impuissant, la fumée sortir. Il ne craignait qu’une chose : que le moteur s’enflamme.

La dernière fois qu’il avait fait le point sur sa progression, il se trouvait à 150 km de son point de départ.

Certes cette panne était désagréable, mais il avait son téléphone portable, assis sur le sol, il reprit espoir. Il allait faire le point avec le GPS, puis appeler les secours. Il activa l’appareil. L’écran s’alluma, puis s’éteint aussitôt. En même temps un liquide chaud lui coula sur le poignet provenant du téléphone brûlant. La température caniculaire avait eu raison de la batterie ! Un sentiment d’angoisse étreignit le jeune homme… La technologie moderne ne lui serait d’aucun secours ! Il ne pouvait plus que compter que sur d’éventuelles caravanes ou le passage d’avions. Pas question de regagner l’oasis à pied sous ce soleil brûlant. Combien de temps pourrait-il tenir avec ses provisions ? Il fouilla l’arrière du véhicule.  Il crut défaillir ! La bouteille thermos était presque vide… Les trépidations de la voiture avaient endommagé la double paroi. Il but goulûment les quelques gouttes restantes.

Il voulut se restaurer en mangeant quelques gâteaux secs. Il comprit trop tard son erreur. Au deuxième gâteau sa bouche fut encore plus sèche…

Une idée lui vint : de l’eau il y en avait dans le lave-glace et dans le radiateur. La manette du capot était cassée, mais s’il prenait une pierre il pourrait en forcer l’ouverture ?

 

Il était maintenant allongé sur le sol, il essayait de se protéger des rayons du soleil en se glissant sous la voiture.

Il avait perdu tout espoir, il allait crever tout seul dans le désert ! Puis un bruit de moteur le sortit de sa torpeur. Péniblement il s’extirpa de sa cachette, un avion ! Un aéroplane passait au-dessus de lui, il agita les bras, cria. Mais l’engin continua son chemin vers l’ouest…

Tout était fini… L’effort avait été trop important, il s’évanouit. Combien de temps resta-t-il inanimé ? Il n’avait plus la notion du temps. Quand il rouvrit les yeux, il lui fallut plusieurs minutes pour réaliser où il était. Il tenta de se lever, en vain. Était-ce la réaction de son corps, en fin de vie ? Un grand calme l’envahissait. Ses yeux se fermèrent, il n’était plus dans le désert : il courait dans le jardin de ses parents, l’air marin emplissait ses poumons, un crachin imprégnait ses vêtements.

Le freinage brutal d’un véhicule le sortit de son rêve. À quelques mètres de lui, un pick-up était arrêté, des hommes s’avancèrent. Sauvé ! Il était sauvé !

L’un d’eux lui souleva la tête, glissa l’embouchure d’une gourde entre ses lèvres. L’eau fraîche qui coulait dans sa gorge était à la fois une douceur et une torture pour son larynx trop longtemps déshydraté. Il cligna les yeux en signe de remerciement. L’effort avait été trop intense, il s’évanouit à nouveau.

Une violente douleur le réveilla. Il était attaché derrière le pick-up par une corde liée à ses chevilles et son corps balayait le sol. Sur la plate-forme du véhicule, les hommes riaient…