Pol ne semblait jamais ni joyeux ni heureux, toujours tendu comme la corde d’un arc.

Il désirait être aimé ; il adorait le jazz et le cinéma.

Il écrivait des poèmes et des chansons ; il dessinait.

Il rêvait d’être admiré et de devenir célèbre.

Il habitait une petite maison dans laquelle on ne pouvait plus circuler tant il y avait accumulé de livres et de disques.

Il n’avait aucune idée de l’entretien ménager.

Il mangeait très peu, buvait du café fort toute la journée et fumait des cigarillos.

Ses tentatives artistiques le décourageaient ; ses relations sentimentales étaient difficiles.

Il fréquentait des prostituées ; il trouvait chez certaines d’entre elles un accueil plaisant, une compréhension, des conversations

délicieuses et une certaine tendresse. Il nouait avec ces dames des relations gratifiantes.

Un jour, il reçut une lettre ; l’écriture au bic bleu, était fine.

Surpris, ému, il tint le courrier dans ses mains moites sans oser l’ouvrir.

Après quelques instants, il déchira prudemment l’enveloppe, s’assit sur un coin de chaise et lut.

Cette lettre l’intimidait. Lui qui analysait tout avec son intellect, ne comprenait pas le sens de ces mots. Il était étonné qu’on lui écrive

à lui, le solitaire, le marginal.

Il rougit en lisant le mot « bisou ». C’était comme s’il venait de recevoir un colis de friandises.

Il avait l’impression d’ouvrir les portes d’un monde mystérieux qu’il n’imaginait pas, monde qui l’attirait et l’effrayait en même temps.

Il s’assit dans un fauteuil, la tête baissée ; ses mains tenaient le billet ; elles tremblaient.

Il le relut plusieurs fois, son long corps plus crispé que jamais.

La signature était de Clémentine. L’image de la charmante dame passa devant ses yeux, une femme jolie, originale, rencontrée lors

d’une soirée de jazz.

Il se souvint des longs tête-à tête au sujet de la musique, de la peinture, de la sculpture ; de l’expression des sentiments…

Clémentine avait envie de le revoir.

Débordé par le flot de ses sentiments contradictoires, il se prépara un café serré, alluma un cigarillo et médita.

Il rangea la lettre entre deux livres de sa bibliothèque.