écrit par Nima pour “Décors à trous“.

 

 

La Seine coule sous la passerelle des Arts, entre le Louvre et l’Institut de France. Dans les eaux calmes du petit matin se reflètent les arbres florissants de ce matin de juin et la coupole dorée de l’Académie Française. De part et d’autre des berges, des siècles d’histoire et de culture nous contemplent.

Assis sur un banc, Gaspard contemple les reflets de l’eau.

Il aime venir ici regarder les légers mouvements du fleuve, les arbres, le ciel, les oiseaux.

Il observe volontiers les gens qui passent.

Il a quatre-vingt-quatre ans ; il porte une barbe grise et blanche ; une casquette protège son crâne de la pluie, du vent ou du soleil ; son visage est ridé ; ses yeux vert amande et son sourire expriment douceur et sérénité.

Il marche avec une canne, lentement, prudemment.

La passerelle des Arts est son lieu de prédilection.

 

Les parents de Gaspard, venus d’Espagne, sont arrivés à Paris en 1930. Ils avaient fui leur petit village de La Colilla.

Son père avait trouvé du travail dans un atelier de menuiserie.

Gaspard est né le 6 mai 1936.

Tout petit, il venait sur le pont des Arts avec sa mère ; elle lui chantait des complaintes de son pays natal et lui racontait des histoires d’Espagne, de France et d’ailleurs.

 

En ce jour encore jeune, la ville ne bruisse pas encore de l’agitation vibrionnante de l’heure de pointe. La circulation est fluide, peu de péniches viennent troubler la surface du fleuve et comme dit la chanson, les balayeurs sont plein de balais, les cafés nettoient leurs glaces et les amoureux sont fatigués.

Gaspard revoit des bribes de sa vie, comme de petits films : son enfance, ses frères, sa sœur, ses études pour devenir instituteur, ses années passées à l’école, entouré de nombreux petits d’hommes, son épouse, ses enfants, ses petits-enfants.
La proximité de la nature, le calme de ce début de journée lui apportent une sorte d’apaisement.

 

Ah, les amoureux, ils sont passés nombreux sur cette passerelle. Les rambardes sont si chargées de cadenas d’amour qu’elles ressemblent à ces maharadjahs aux lourds colliers.

Il se rappelle ses amours de jeunesse : la jolie Cathy, la grande Sabine, la mignonne Élise.

C’est avec Gabrielle qu’il a créé une petite famille. Ils s’étaient rencontrés à un petit concert organisé par un ami de Gaspard.

Un courant de sympathie s’était vite établi entre eux ; Gaspard était tombé très amoureux ; elle, petit à petit, s’était mise à l’aimer ; elle jouait du piano avec beaucoup de délicatesse.

Ils avaient mené une vie simple, très active, assez heureuse.

 

Sous cette passerelle chargée d’Histoire et d’histoires, coule la Seine, et nos amours, faut-il qu’il m’en souvienne, la joie venait toujours après la peine.

 

Gabrielle joue toujours du piano ; leurs 3 enfants sont devenus adultes ; Gabrielle et Gaspard ont 5 petits-enfants.

Pour rien au monde, Gaspard ne se priverait de ses promenades à la passerelle des Arts.

Dans les mouvements du fleuve, il revoit, comme dans un livre, les moments de sa vie.

À côté de lui, il entend chanter leur mélodie préférée à tous les deux : Greensleeves