• Alors Monsieur Tirapic, qu’avez-vous à me dire sur votre dernier livre et sur votre façon d’écrire, d’astiquer vos personnages, de les approfondir avec une force presque virile ?
  • Il manque l’essentiel, chère amie. Le génie, voyez-vous, n’est pas toujours l’ami des muses. Il reste à transcender l’ennuyeux débat entre le fond et la forme. Vous me suivez ?
  • Je suis un peu étonnée, venant de votre part : vous parlez d’une femme, et vous l’appréciez donc ? !
  • Ce n’est pas très courageux de votre part de tirer ainsi sur l’ambulance. La littérature de gare a plus fait pour l’humanité que les caniches-philosophes dont la postérité cessa aux portes des salons littéraires.
  • Un peu comme celui qui vient de sortir son dernier livre intitulé : « Du bout du sein, tu ne perds rien ».
  • Ne me parlez pas de ce Tartuffe. Ah ! il y en a qui trouvent les bons créneaux, avec les petits fours et le champagne. Les philosophes ne peuvent pas être des écrivains.
  • C’est exact, la semaine dernière je l’ai rencontré à trois reprises dans trois lieux différents : au salon de Garande, à celui d’Angoulême et celui de Cognac. Entre nous, je me suis demandé si c’était bien sa place à Cognac ! Peut-être le nom de la ville l’a-t-il inspiré ? En tous les cas, avec son franc-parler, sa démarche de cow-boy et ses allusions politiques, il n’est pas passé inaperçu !
  • Vous vous croyez en train de parler au Pr Didier Raoult ?! La littérature n’est pas une question de culture, c’est un sujet de santé publique.
  • Oui mais, d’après sa biographie, avant de prendre le stylo Bic, il faisait dans le « plutôt louche ». Un peu « mac », un peu « crau » … un peu maquereau, vous voyez ?
  • Et voilà ! nous sommes repartis dans la caricature politique du comptoir PMU. Ça vous dérangerait qu’on élève le débat ? Les journalistes sont pires que les communistes, eux-mêmes pires que les philosophes.
  • Et il tire toujours aussi vite et bien, paraît-il. Ça, ça reste entre nous, bien sûr.
  • Ah ! Vous voyez-bien que vous n’estimez pas les philosophes ! Au moins nous sommes d’accord sur ce point, Madame Mousse.
  • Il vaut mieux être précoce en toute chose et même un peu calculateur, parfois.
  • Rien n’en sortira indemne. Tout est lié. Tout se perd et rien ne se crée. Tout se vend et mon temps est précieux. Pour résumer, vous prenez les philosophes pour ce qu’ils disent, vous gobez leurs illusions.
  • Et de toute façon, il faut bander fort pour que ça marche !
  • Écoutez, j’essaie de me mettre à votre portée et celle de vos auditeurs mais il y a quand même deux ou trois vérités à rétablir, n’est-ce pas?
  •  

écrit à partir d’un texte original d’Amélie Nothomb :

Chaque participant détenait les répliques paires ou les répliques impaires du dialogue ci-dessous.
Celui qui détenait les répliques impaires devait inventer les répliques paires et vice versa.

Le texte qui précède est l’association des répliques impaires inventées par Marie-Paule et des répliques paires inventées par Charles.
Cela donne un texte un peu étrange, qui semble parfois tourner au dialogue de sourds, mais cohérent dans l’ensemble.

Voir le scénario de l’atelier : https://www.oasisdepoesie.org/forums/topic/dialogues-a-trous-et-apres-les-destinees/

  1. Ah non ? et que faut-il d’autre, alors ?
  2. Beaucoup de choses. D’abord, il faut des couilles. Et les couilles dont je parle se situent au-delà des sexes ; la preuve, c’est que certaines femmes en ont. Je pense à Patricia Highsmith.
  3. C’est étonnant qu’un grand écrivain comme vous aime les œuvres de Patricia Highsmith.
  4. Pourquoi ? Ça n’a rien d’étonnant. Mine de rien en voilà une qui doit haïr les gens autant que moi, et les femmes en particulier. On sent qu’elle n’écrit pas dans le but d’être accueillie dans les salons.
  5. Et Sartre, il écrivait dans le but d’être accueilli dans les salons ?
  6. Et comment ! Je n’ai jamais rencontré ce monsieur, mais rien qu’à le lire j’ai compris combien il aimait les salons.
  7. Difficile à avaler, de la part d’un gauchiste.
  8. Et alors ? Vous croyez que les gauchistes n’aiment pas les salons ? Je crois au contraire qu’ils les aiment plus que n’importe qui. C’est bien normal d’ailleurs : si j’avais été ouvrier toute ma vie, il me semble que je rêverais de fréquenter les salons.
  9. Vous simplifiez extraordinairement la situation : tous les gauchistes ne sont pas ouvriers, certains gauchistes sont issus d’excellentes familles.
  10. Vraiment ? Ceux-là n’ont pas d’excuse, alors.
  11. Seriez-vous anti-communiste primaire, monsieur Tach ?
  12. Seriez-vous éjaculateur précoce, monsieur le journaliste ?
  13. Mais enfin, cela n’a rien à voir !
  14. Je suis bien de cet avis ! Alors, revenons à nos couilles. C’est l’organe le plus important de l’écrivain. Sans couilles, un écrivain met sa plume au service de la mauvaise foi. Prenons un écrivain qui a une bonne plume ; avec des couilles, ça donnera “Mort à crédit”. Sans les couilles, ça donnera “La nausée”.
  15. Vous ne trouvez pas que vous simplifiez un peu ?
  16. C’est vous, journaliste, qui me dites ça ? Et moi qui essayais, avec mon exquise bonhomie, de me mettre à votre niveau.

Amélie Nothomb – Hygiène de l’assassin