Résumé, Monde Parallèle, Apparence

 

 

 

Dieu avait beau planter son regard vers l’infini, les mondes parallèles qu’il avait créés à son image ne se rejoignaient toujours pas.

Quoi de plus semblable que des parallèles, quoi de plus identique… Les mondes parallèles se ressemblaient tellement. Et pourtant ils ne fraternisaient pas, ils continuaient de s’ignorer, de tracer leur chemin jusqu’au fond des galaxies. Une infinité de parallèles bien sages qui plongeaient toujours plus loin dans l’infini, des parallèles à la tête bien haute, au menton dressé, et dont le regard franc pointait sur une même cible à jamais inaccessible.

 

Finalement, cela ne plaisait plus à Dieu. Il aurait voulu que chacune puisse ralentir sa course, regarder sa voisine, la rencontrer, l’aimer, se reconnaître en elle.

Dieu s’ennuyait de tant de perfection géométrique. Alors, il se mit à réfléchir à la façon de changer cela.

Jamais satisfait, c’était le défaut de Dieu. Toujours insatiable. Et perfectionniste. Il se demandait maintenant si la perfection n’était pas justement autre chose que le lisse, le poli, le brillant, le parallèle, le net, le sans tâche, le toujours pareil.

Il regrettait un peu d’avoir négligé le système optique des parallèles au moment de leur conception. Et vous le savez bien, s’il ne coûte presque rien de corriger une erreur à cette phase-là, cela coûte dix fois plus lors des premiers essais et mille fois plus quand la chose conçue est diffusée, généralisée. C’est d’ailleurs une des premières lois que Dieu avait découvertes.

Toutes les parallèles se déplaçaient de front, et leur angle de vision restant très faible, elles ne pouvaient voir leurs consœurs avancer à leurs côtés, et c’est pourquoi elles s’ignoraient.

Pour vous résumer l’affaire, Dieu ne savait que faire. Il regrettait amèrement sa négligence du début. Le système optique fonctionnait parfaitement, mais c’était plutôt du bas de gamme et les parallèles ne verraient jamais sur les côtés, comme s’il leur avait installé des œillères. Jamais elles ne se reconnaîtraient vraiment. Et pourtant, elles étaient si semblables, tout aurait dû les pousser à se reconnaître, à fraterniser, plutôt qu’à foncer droit vers le néant. Malheureusement, toute intervention était maintenant devenue impossible.

 

Que faire ? se demandait ainsi Dieu, en fumant le cigare dans son bureau d’études. Non, cette tranquillité, ces itinéraires imperturbables, cette monotonie, ce n’était décidément pas la perfection. Bien sûr, c’est ce qu’il avait voulu au début ; il rêvait alors d’ordre, de méthode, de limpidité. C’est ainsi qu’il s’imaginait la grandeur, la vérité. Et puis un jour, la philosophie lui était venue, on ne sait pas d’où… Il ne savait d’ailleurs plus s’il avait conçu la philosophie lui-même ou si c’était la philosophie qui l’avait engendré.

Bref, depuis la philosophie, les choses n’étaient plus si simples. Vous ne le croirez pas, mais Dieu doutait. Dieu doutait ! Cela était devenu pour lui un véritable débat intérieur.

C’est normal me direz-vous : n’ayant personne à qui se confier, Dieu ne pouvait que privilégier le débat intérieur. Normal, normal ! Voilà bien un mot qui l’agaçait de plus en plus !

Plus tard, ne dirait-on pas d’ailleurs, dans une intuition post-monitoire, que “L’ennui naquit un jour de l’uniformité”. Ce jour-là était arrivé pour Dieu ! Il fallait briser cela, contrarier cette immuable monotonie.

Alors, comme il ne pouvait plus modifier les composantes internes des parallèles, car il était trop tard, maintenant qu’elles étaient diffusées partout et lancées à une vitesse qui ne cessait d’augmenter, Dieu imagina de modifier leur trajectoire, de distiller quelques aléas.

 

Il considéra les rails sur lesquels les parallèles se déplaçaient toujours de front à une vitesse folle, et pensa qu’il pourrait y installer des petits cailloux, quelquefois des grains de sable minuscules, comme ça, pour voir.

Je vous parle de cailloux et de grains de sable pour que vous compreniez l’image. Il s’agit en fait de concepts qui nous restent inaccessibles. Vous imaginez par contre aisément l’effet de ces cailloux, de ces grains de sable sur la trajectoire de nos  parallèles.

 

Oui, vous l’imaginez… Dois-je vous en dire davantage sur ce qu’il advint ?

Allez-y ! Faites-lui un peu concurrence, imaginez ! Imaginez !

 

Vous le savez, Dieu est équitable, il l’était déjà à cette époque. C’était son credo – si je puis-dire – et cela depuis le début, s’il y avait eu un début. Mais depuis que Dieu avait commencé à philosopher, il se disait que l’équité devait peut-être tenir compte des circonstances, des particularités de chacune des parallèles, de leur singularité.

Mais, malheureusement, il s’était appliqué à les créer toutes parfaitement identiques, et c’était bien cela qui l’ennuyait, et dans tous les sens du terme. Un vrai dilemme.

Tant pis, il avait décidé de créer l’aléa, le hasard. Cela lui était apparu comme une nécessité ! On doit mesurer ici toute l’importance de ce choix. C’est à ce moment que tout avait basculé ! Plus rien ne serait jamais pareil.

Ainsi, mit-il en œuvre sa nouvelle idée, et sema ses grains de sable, jeta ses quelques cailloux au hasard. On verrait bien ce qu’il adviendrait.

Si Dieu les voyait toutes identiques, les parallèles se sentaient quant à elles toutes singulières. Et puis, en distillant ses aléas, Dieu ne les avait-il pas maintenant installées sur des trajectoires différentes, que même lui ne maîtrisait plus ?

Ces modifications amenèrent enfin les parallèles à se rencontrer de temps en temps, à se frôler, à se toucher, parfois aussi à se heurter. Elles se mirent à créer des accointances ou des inimitiés et certaines commencèrent même à se haïr ! C’était tout le contraire de ce que Dieu avait voulu. Alors, pendant quelque temps, il avait vraiment baissé les bras et s’était lâchement détourné de ses créatures. Il faut dire que “quelque temps”, à l’échelle de Dieu, on ne savait pas combien cela pouvait durer… et les parallèles pouvaient bien avancer de quelques années lumières en quelque temps.

C’est à la faveur de ces distorsions que Dieu avait voulues que les parallèles se mirent à soupçonner son existence. Et ce fut quand elles surent que Dieu existait que tout bascula une seconde fois. Chacune voulut être la plus belle devant Dieu, chacune voulut épater le créateur, puis chacune voulut le dépasser…

Alors, les parallèles profitèrent du break que Dieu s’était accordé pendant “quelque temps” pour devenir autonomes. Certaines le devinrent davantage et plus rapidement. Ces dernières finirent par être tellement dominantes qu’elles tâchèrent de mettre les autres à leur service. Ce fut l’ère de la “Captation”, qui persista jusqu’à nos jours et que vous connaissez bien.

La suite de l’histoire, vous la savez, et la fin aussi : “Quand ils sont venus me chercher, il ne restait personne pour protester.”

 

Ce fut la fin d’un monde, mais l’éternité ne s’arrête pourtant pas là. Il restait encore deux parallèles au fond de cette immense boîte de Pandore. Ignorantes de toutes ces perversions, encore parées de l’innocence originelle, elles avaient chacune continué leur course en formant deux spirales qui se mêlaient, se rapprochaient chaque jour un peu plus. Elles s’étaient apprivoisées, s’étaient reconnues, et elles s’étaient aimées, tellement que désormais elles ne faisaient plus qu’une. Alors, elles ralentirent… pour se poser enfin dans le premier matin du monde.

Et pour créer la diversité.