Mokolo, Maroua, Yagoua, Kaélé Ces noms chantants Camerounais de petits villages perdus dans les collines rocheuses du nord, évoquent encore pour moi, quarante ans après, des paysages grandioses couverts d’un ciel voilé de vapeur diaphane. Terre rouge arride à perte de vue le long de la piste gondolée, éventrée, par le passage de lourds véhicules remplaçant les longues caravanes chamelières d’antan, petits hameaux égarés au milieu d’arbustes épineux, secs, servant de pauvre nourriture aux chèvres faméliques.

Dans ce paysage lunaire, orné d’immenses colonnes de pierre sanguine, dressées comme des chandelles écorchées, égarées là par la main de géants distraits, je croise un fier cavalier habillé de haillons, monté sur un petit cheval épuisé marchant au pas, tête basse. Ils reviennent d’une destination lointaine, trésors cachés dans un baluchon coloré à l’arrière de sa selle.

Mon véhicule de brousse aux teintes agressives croise une file de femmes au port de reine, vêtues de « boubou », aux couleurs chatoyantes, cheminant dans la savane en riant. Turban rouge vif, calebasse jaune pleine d’on ne sait quoi, équilibre instable, mais jamais rompu, balancement gracieux de leurs belles têtes. Elles marchent sans fin, pagnes enroulés autour des hanches, poitrines généreuses et, lové contre leur dos luisant, un jeune enfant endormi.

Du haut d’une colline paille, une plaine magnifique s’étend à perte de vue ponctuée de quelques épineux biscornus. Dans le lointain, on devine quelques montagnes brunes se découpant sur le ciel embrumé. Plus près de moi des troupeaux d’animaux sauvages paissent l’herbe rare, desséchée par le soleil implacable. Gazelles bondissantes, impalas majestueux parés de longues cornes en forme de lyre, buffles lourds et

trapus au pelage sombre, cohabitent en toute quiétude. Les lions ne sont pas là ! Ils attendent en sommeillant, tapis dans les broussailles à côté des

points d’eau où chantent les crapauds panthères .

Comme évadés d’un mirage, peu à peu surgissent ici et là des aborigènes aux grands sourires amicaux. Vêtus d’une simple toge pour les plus grands, petit caleçon de couleur indéfinissable pour les enfants. Arrivés de nulle part, ils disparaissent quelques minutes après, sans un mot. Au loin je perçois parmi mille bruissements d’insectes, le battement cadencé d’un tam-tam .

La tête chargée d’émotion , tout petit devant cette nature qui déploie ses merveilles, je reprends ma longue route qui me ramènera à la civilisation des matérialistes impénitents !

Ginette et Francis TRELET