Certains personnages apparaissant dans cette nouvelle existent ou ont existé, mais l’histoire est entièrement fictive.

Le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus remet son téléphone portable dans sa poche. Il n’a pas eu une demi-journée aussi éprouvante depuis qu’il a été élu Directeur général de l’OMS.

Pourtant le Dr Tedros est un battant. Avant d’être élu à ce poste, il a été ministre de la Santé de l’Éthiopie de 2005 à 2012. Pendant cette période il a mené une réforme complète du système de santé de son pays.

Au-delà de l’Éthiopie, il a été à la pointe en matière de lutte contre le paludisme et le VIH/sida.

Né dans la ville d’Asmara (Érythrée), le Dr Tedros est titulaire d’un doctorat en santé communautaire de l’Université de Nottingham et d’un master en sciences en immunologie des maladies infectieuses, obtenu à l’Université de Londres. Le Dr Tedros est un expert de la santé, un chercheur et un diplomate mondialement reconnu. Il possède une expérience directe dans les interventions d’urgence aux épidémies.

Tout au long de sa carrière, le Dr Tedros a publié de nombreux articles dans des publications scientifiques de premier plan et a reçu des prix et marques de reconnaissance du monde entier.

Aussi il sait de quoi il parle…

Il vient d’avoir des conversations avec les plus grands dirigeants de la planète, au cours desquelles il a averti les chefs d’État, qu’une souche de virus de la grippe espagnole, prélevée sur des cadavres gelés de personnes mortes de cette maladie lors de l’épidémie mondiale et gardée dans un laboratoire secret a été volée. Les auteurs de ce vol n’ont pas été identifiés.

Les responsables du laboratoire sont inquiets, car ce virus en liberté est capable d’évoluer, de muter vers une nouvelle forme.

Le Dr Tedros est déçu de ses entretiens téléphoniques. Donald Trump qui manifestement ne comprenait rien aux explications du directeur de l’OMS a ri en entendant son interlocuteur parler de grippe espagnole. Une grippe ! Trois jours de lit et on est remis… en plus si elle est espagnole elle ne doit pas être sérieuse… Poutine a carrément écourté l’entretien, il avait à s’occuper de choses plus sérieuses qu’une grippette…

Xi Jinping l’a écouté poliment, mais que cachait cette politesse ? Seuls le président Macron et la chancelière allemande Angel Merkel ont manifesté de l’intérêt à son avertissement et promis de le répercuter sur les autorités médicales de leurs pays.

Madame Tedros a tout de suite remarqué le soir que son mari n’était pas dans son état normal. Il lui a avoué l’indigence des chefs d’État.

Nyala Tedros est une jeune femme que Tedros Adhanom Ghebreyesus a rencontrée lors de ses études à Addis-Abeba. Elle y a fait des études musicales puis est devenue une pianiste de renommée mondiale. Malgré les années, Nyala est restée d’une beauté racée comme le sont certaines Éthiopiennes. Elle fait la fierté de son mari. Il la surnomme ma petite chèvre, car la signification de Nyala est « chèvre de montagne ».

Curieuse de tout, elle lui demanda des explications sur la grippe espagnole. Elle connaît la grippe A et a entendu parler de la grippe aviaire. Pour satisfaire sa curiosité, son mari se lance dans une explication rapide.

L’épidémie de grippe espagnole, responsable de 25 à 50 millions de morts à la fin de la Première Guerre mondiale, a marqué l’inconscient collectif au point d’incarner l’essence du fléau épidémique, au même titre que la peste.

Paradoxalement contrairement à d’autres formes de grippes ce sont les jeunes adultes qui ont été les plus touchés, une population habituellement épargnée par cette maladie (les victimes traditionnelles de la grippe étant les bébés et les personnes âgées).

Nyala s’en étonne. Son mari développe un peu plus l’historique de l’épidémie.

La vulnérabilité inattendue des jeunes adultes s’explique non pas par les caractéristiques du virus, mais par les antécédents des victimes. Les individus qui avaient entre 20 et 40 ans à la fin de la Première Guerre mondiale sont nés dans les années 1880 et 1890. Or, à cette époque, la grippe saisonnière en circulation était de type H3N8. Cette génération n’a donc pas été immunisée contre les virus de type « H1 ».

La grippe espagnole, baptisée ainsi parce que l’Espagne, non concernée par le secret militaire, fut la première à la mentionner publiquement. Elle fut dévastatrice et touchant quasiment tout le globe. 

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Cette nuit-là le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus eut du mal à dormir. Il ne cessait de penser à la souche de virus dérobée. Quel pouvait être l’intérêt des voleurs à s’emparer de virus vieux de plus de quatre-vingt-dix ans ? Ils étaient stockés depuis plus de 16 ans dans un laboratoire enfoui sous le sol groenlandais. Le docteur en sait assez sur cette « marchandise » pour comprendre que cet intérêt n’est pas financier. L’éprouvette contenant ces microorganismes n’est pas monnayable, par contre le potentiel de dangerosité peut intéresser une puissance ou un groupe malfaisant.

En cas d’une nouvelle épidémie, la population ne comprendrait pas pourquoi des scientifiques sont allés chercher ces virus dans une lointaine contrée.

Le Dr Tedros connaît toutes les étapes de cette épopée scientifique.

En 1993 une équipe internationale, soutenue par la compagnie pharmaceutique Roche à Bâle, avait été ouvrir au Spitzberg, les tombes de mineurs foudroyés par la grippe espagnole voilà 80 ans. À sa tête Kirsty Duncan, une Canadienne de 31 ans, diplômée en anthropologie et psychologie, docteur en géographie. C’est l’aboutissement d’un travail préparatoire de cinq ans.

À l’époque elle n’est pas la seule scientifique à avoir eu l’idée de traquer le tueur. Le docteur Jeffrey Taubenberger, un biologiste de l’armée américaine, a retrouvé des fragments viraux dans les tissus pulmonaires de deux soldats morts en 1918. L’analyse permet de cartographier l’un des gènes producteurs de protéines. À la même époque, le docteur Johan Hultin, un pathologiste à la retraite de San Francisco, déterre en Alaska le cadavre congelé d’un Esquimau mort de la grippe en 1918. Il envoie des échantillons de tissus à son collègue Taubenberger, qui isole ainsi quelques traces virales supplémentaires.

Kirsty Duncan respire : le séquençage génétique de la souche virale effectué par l’armée américaine reste incomplet. D’ailleurs, à Atlanta, le Centre fédéral pour le contrôle des maladies presse la jeune scientifique à aller de l’avant. Il importe de retrouver un virus complet pour le comparer aux virus grippaux actuels. Il faut examiner sa composition, sa structure génétique et sa forme extérieure, lui qui se cramponnait si aisément à l’appareil respiratoire de ses victimes. Les données recueillies pourront servir aux développements de nouveaux vaccins et améliorer les actuels traitements antiviraux. À Bâle, Hoffman-LaRoche, qui travaille sur un vaccin inédit contre la grippe, décide de financer l’expédition.

Sur place, l’équipe de Kirsty Duncan craignait de tomber sur un virus encore actif. Toutefois, même minime, le risque existe, d’où les exceptionnelles précautions des scientifiques pour éviter une contamination.

Par la suite différents échantillons ont été expédiés dans des laboratoires en Norvège, au Canada, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, dans le centre de recherche médicale de l’armée américaine, à Fort Detrick. Le reste du prélèvement est stocké depuis cette époque dans un laboratoire enfoui sous le sol groenlandais.

Le Dr Tedros finit par s’endormir en se rassurant : après tout il a fait son devoir de directeur de l’OMS en avertissant les principaux chefs d’État, la balle est maintenant dans leur camp. Et puis rien ne prouve que le virus mutera en une forme dangereuse…

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Quelque part à la frontière entre la Syrie et l’Irak.

L’homme vient de pénétrer dans la pièce où Abou Bakr al-Baghdadi  est en train de déguster un thé à la menthe.

Il penche la tête rapidement en signe d’allégeance.

Il sort d’un sac une éprouvette qu’il brandit fièrement.

  • Mission accomplie mon frère !
  • Bravo, Rachid, tu as bien mérité de notre cause qu’Allah soit loué !
  • Allah akbar ! Que le prophète veuille bien m’accueillir auprès de lui !
  • Sans aucun doute il t’accueillera mon frère ! Maintenant les mécréants n’ont qu’à bien se tenir. Dieu, qu’il soit béni, n’a pas voulu anéantir tous ces impies, il y a quatre-vingts ans, aujourd’hui il met entre nos mains une arme aussi impitoyable que silencieuse. Leurs armes, leurs avions, leurs drones ne leur serviront à rien.
  • Allah akbar ! Puisse la main Dieu, qu’il soit béni, rayer de la surface de la Terre tous les infidèles.
  • Il le fera, il le fera grâce à nous ! En attendant, tu vas porter ton précieux chargement au frère Mohamed Sayed Tantawi. Il sait quelle est sa mission…

Mohamed Sayed Tantawi, docteur en biologie moléculaire, a été formé dans les meilleures universités américaines. Sa foi islamique l’a incité à rejoindre le front des combattants et à mettre ses compétences au service d’Allah.

Sa mission est fondamentale : il doit étudier les caractéristiques du virus de la grippe espagnole, le modifier génétiquement pour en faire une forme encore plus dangereuse et élaborer parallèlement un vaccin.

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Mohamed Sayed Tantawi a installé son laboratoire, dans les ruines d’un immeuble, à la frontière syrienne. Celui-ci n’a rien à envier à ceux qu’il fréquentait à l’Université de Stanford.

Les installations et le matériel adéquat ont été largement subventionnés par de riches mécènes arabes qui tout en critiquant publiquement Daesh, le financent discrètement.

Le docteur à l’aide de plusieurs autres biologistes égyptiens, va exécuter la mission. 

Cela fait plusieurs jours que les quatre hommes munis de leurs scaphandres étanches cartographient les éléments du virus.

Mohamed Sayed Tantawi est subjugué. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut visualiser et manipuler un germe aussi dangereux qui a tué tant d’hommes. Il est bouleversé et fier d’être le chevalier d’Allah qui va réaliser l’arme « arabe » permettant d’anéantir les infidèles et aux croyants de dominer le monde. Mais il est aussi conscient en tant que scientifique de la difficulté de la tâche : manipuler ce virus pour en faire un tueur encore plus agressif, le conditionner pour que des combattants puissent le répandre sur la planète, concevoir un vaccin afin que les fils d’Allah puissent y résister. Il en est certain avec l’aide de Dieu, il réussira.

Une fois de plus des grondements se font entendre au loin. Pas de doute, ce sont les avions de la coalition qui viennent pilonner les poches de Daesh. Mais l’équipe est tranquille, autour d’eux, il n’y a pas de repères de combattants. Quel intérêt auraient les forces de la coalition à bombarder des ruines ?

Les biologistes reprennent leurs activités.

Une heure après, cette fois-ci, aucun grondement dans le ciel syrien, tout au plus un léger sifflement qu’on entend à peine, tant souffle déjà le vent du désert. Un drone a surgi de l’horizon, manifestement cette flèche métallique « sait », elle suit une trajectoire qui se termine dans l’immeuble de Mohamed Sayed Tantawi. L’explosion a dû s’entendre très loin compte tenu de la quantité d’explosif que contenait le drone. Il ne reste rien du splendide laboratoire, l’ensemble est pulvérisé, une immense colonne de poussière s’élève dans le ciel, que le vent va peu à peu disperser sur région aux alentours.

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Dans le camp de réfugiés au camp d’Essalame, en Turquie près de la frontière avec la Syrie le docteur Jeroen Abbink est fortement préoccupé.

De nombreux réfugiés ont eu des symptômes de la grippe : de la fièvre, de la toux, parfois une angine, des écoulements nasaux, des maux de tête, des douleurs musculaires et une asthénie fréquente. Normalement, le rétablissement est complet en moins de deux semaines. Or dans leurs cas, leur état de santé s’est rapidement aggravé, la fièvre a dépassé les 40 °C, les poumons ont été profondément atteints, les toux sont devenues violentes et les malades ont craché du sang. Les antibiotiques n’ont pas pu enrayer l’évolution de la maladie et de nombreux réfugiés sont morts en quelques jours.

Le Dr Tedros a été averti de l’épidémie détectée en Turquie.

Il comprend immédiatement la situation, les symptômes des malades sont ceux de la grippe espagnole et d’après le rapport du docteur Jeroen Abbink, la virulence des germes a atteint une dangerosité inattendue. « Inattendue » n’est pas le mot approprié, car le directeur de l’OMS a toujours été conscient que libérer le virus de la grippe espagnole quatre-vingts ans après était une folie. Trop de paramètres ont changé. L’immunité des populations de 2019 n’est plus la même qu’au moment de l’épidémie, les conditions climatiques ont varié, la pollution de l’atmosphère peut entrer en jeu, tous les autres virus ont évolué et le docteur Tedros sait qu’ils sont en relation permanente et sont capables d’échanger leur matériel génétique.

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Il y a quatre-vingts ans, la guerre a permis à l’épidémie de grippe espagnole de se répandre dans le monde entier par l’intermédiaire des militaires contaminés. Mais cette progression n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui, profitant des moyens de transport modernes plus rapides et plus nombreux, le virus a gagné les quatre coins du globe terrestre. Les six continents sont touchés. Les malades se comptent par millions. Bien entendu ce sont les pays développés qui sont les plus touchés. Il ne fait pas bon de vivre dans les zones urbaines surpeuplées. Seuls sont relativement épargnés les peuples qui vivent en autarcie et ceux coupés de la civilisation au milieu de la jungle, du désert ou dans des îles isolées.

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À New York le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus a réuni toutes les sommités scientifiques de la planète. Devant les proportions que prend l’épidémie, les grands chefs d’État ont enfin pris la mesure de la gravité de la situation. Le Directeur général de l’OMS ne leur a pas rappelé les avertissements qu’il leur avait envoyés en son temps. Cela ne servirait à rien, l’urgence est de trouver maintenant un moyen d’arrêter la pandémie et de soigner les malades.

Celle-ci est différente de celles qui l’ont précédé : la vache folle, le SIDA, l’Ebola, la grippe aviaire, etc. 

Les mesures classiques en cas d’épidémie sont mises en œuvre : isolément des malades, désinfection des locaux, mais devant le nombre des contaminations elles sont bien insuffisantes. Les vaccins élaborés lors des précédentes grippes se révèlent inefficaces.

Les laboratoires des grands pays ont procédé à l’analyse génétique du nouveau virus qui a été baptisé virus GEV (grippe espagnole virulent). Comme le virus du SIDA, il est en mutation constante et contourne l’immunité que peut acquérir l’organisme humain.

Devant l’ampleur de la catastrophe, des crédits exceptionnels sont dégagés, les meilleurs spécialistes sont mobilisés. Mais chaque jour la situation empire. Les hôpitaux, les médecins, les services sanitaires sont débordés. L’armée est appelée en renfort pour suppléer les entreprises de pompes funèbres. Plus question d’enterrer les milliers de morts, il faut incinérer les cadavres dans les installations réservées aux ordures. Cette épidémie rappelle celle de la peste noire. Apparue à Marseille en 1347 venant de Crimée, cette pandémie se répandra à travers l’Europe et fera mourir au moins un tiers de la population européenne en 5 ans, faisant 25 millions de victimes humaines sur une population européenne totale d’environ 75 millions d’habitants. Mais cette fois-ci le phénomène est mondial et peut toucher potentiellement environ 8 milliards d’individus.

Les autorités ont bien essayé de minimiser les événements, mais dans une société hypermédiatisée c’est quasiment une mission impossible ! Les sectes qui annonçaient depuis longtemps la fin du monde prospèrent sur la panique qui a gagné le monde entier. Les églises, les temples, les mosquées se remplissent de fidèles qui voient dans la religion et la prière le seul remède à la catastrophe.

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Les principaux chefs d’état de la planète se sont réunis discrètement dans l’île Kolioutchine dans la mer de Sibérie Orientale. António Guterres, Secrétaire général de l’ONU, préside l’assemblée. Tous les membres ont conscience de la gravité de la situation. Mais le contexte est nouveau. Il ne s‘agit pas de résoudre un conflit entre pays, mais de s’attaquer à un ennemi minuscule certes, mais plus insidieux et plus dangereux. La diplomatie est impuissante…

Bien entendu le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus est présent à cette réunion.

Il est catégorique. Devant lui, un dossier regroupant les conclusions de tous les experts mondiaux ayant étudié la nouvelle grippe espagnole virulente. Dans l’état des connaissances actuelles, il n’existe aucun vaccin ni aucun médicament capable de juguler la progression de l’épidémie. Comme dans les autres épidémies des siècles passés, le seul espoir est que certains malades développent une immunité spontanée contre le virus. Mais même si celle-ci se produit, le nombre de morts sera très important, car la population mondiale dans les années 1357 était estimée à environ 400 millions alors qu’aujourd’hui elle atteint 8 milliards. Dans les années 1357, l’Amérique n’avait pas été découverte et les communications, entre les continents, étaient pratiquement inexistantes ou très lentes. Actuellement la peste noire ferait certainement plus de dégâts qu’à l’époque…

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La conférence de Kolioutchine a été un échec. Seul dans son bureau dans une tour de New York le Dr Tedros médite. Nyala a essayé de lui remonter le moral, mais bien qu’il soit un battant il se sent comme au fond d’un trou. Cette image un instant le fait sourire, mais l’anxiété reprend le dessus. Impuissant il ne peut que gérer cette catastrophe, en attendant une hypothétique solution. Comme un homme entraîné par le courant d’un torrent il essaie de se raccrocher à la moindre branche qui dépasse de la berge. Cette branche est peut-être Alain Fournier.

Alain Fournier est un ancien camarade de promotion. En même temps que lui, il suivait un master en sciences en immunologie des maladies infectieuses à l’Université de Londres. Alain Fournier est aujourd’hui directeur de l’Institut Pasteur à Paris.

Au téléphone Alain Fournier se montre aussi atterré que son condisciple. La situation est dramatique et Dieu sait que toutes les équipes de l’Institut Pasteur sont engagées sur le nouveau virus, mais il reste insaisissable. Pour l’instant il ne peut être d’aucune aide à son ami. Au moment de raccrocher, il lui suggère un nom : Paul Picard…

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Le Dr Tedros raccroche rêveur… Paul Picard…

Il le connaît. C’est un être exceptionnel. Autiste Aspergé, il a eu un parcours universitaire hors normes, il a mené parallèlement des études de mathématiques, de physique et de biologie. Ce qui fait qu’il est titulaire de trois doctorats dans ces disciplines.

Paul Ricard fait partie comme Bill Gates, Woody Allen, Albert Einstein, Bob Dylan, Vincent Van Gogh, Mark Zuckerberg des autistes de Haut Niveau avec l’absence d’une déficience intellectuelle. Ces personnes, sur le plan cognitif, ont un fonctionnement intellectuel se situant dans la moyenne ou même dans la tranche supérieure de la population, une capacité mnésique excellente ainsi qu’une capacité à développer des passions ainsi que des talents remarquables.

Les côtés négatifs de l’Autisme Asperger sont les difficultés de communication et de socialisation. Ce sont les raisons pour lesquelles Paul Picard, malgré ses qualités exceptionnelles a eu des difficultés à s’intégrer dans les institutions scientifiques traditionnelles. Il a mené des recherches et fait des découvertes dans ses trois domaines de prédilection en dehors des équipes auxquelles il était censé appartenir.

Devant la gravité de la situation, le Dr Tedros se décide à contrecœur à rencontrer Paul Picard et à lui exposer la situation…

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Quinze jours se passent. L’épidémie continue à faire inexorablement un nombre croissant de victimes.

Quelques lueurs d’espoir dans cette catastrophe sanitaire. Un groupe de biologistes de l’université de Belgrade affirme avoir trouvé un sérum contre la maladie. Des résultats probants ont été observés sur un lot de souris. Mais il faut vite déchanter, le sérum ne fonctionne pas sur les malades.

Comme toujours les charlatans profitent de la crédulité humaine. Ils mettent en vente des médicaments miracles censés guérir de la grippe espagnole. Les autorités essaient bien de repérer ces escrocs, de les arrêter et de les juger, mais elles sont débordées.

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Cela fait plus d’une semaine que le Dr Tedros a rencontré Paul Picard.

Il garde un souvenir mitigé de ce tête-à-tête. Il ne connaissait pas le jeune homme. Il savait qu’il serait d’un abord difficile. Mais il n’avait pas le choix, la situation étant trop grave pour faire le délicat. Malgré sa formation scientifique, il reste un homme. Et un homme confronté à un problème qui dépasse ses compétences et les compétences des meilleurs savants de la planète. Et dans ces cas-là, il se rabat vers des solutions qui d’habitude lui auraient semblé irrationnelles…

Leur rencontre avait été cordiale, mais le Dr Tedros s’était senti mal à l’aise tout au long de leur entretien. Rétroactivement il en sourit, mais il avait eu la sensation de communiquer avec un extra-terrestre. Il voyait bien que Paul Picard l’écoutait exposer la situation, mais à aucun moment il n’avait pu fixer son regard. Il n’avait posé aucune question. Il avait conclu leur tête-à-tête, en disant simplement : « j’ai compris docteur, je vais réfléchir, je vous contacterai si je trouve une solution ».

Aujourd’hui sa secrétaire venait de l’avertir que Paul Picard souhaitait le rencontrer.

Le lieu de la rencontre avait été fixé rapidement et deux heures après Paul Picard était assis dans le bureau du Dr Tedros, autour d’une table, à côté du Directeur général de l’OMS. Le jeune homme sortit de sa serviette, un dossier qu’il posa religieusement sur la table comme une relique.

  • J’ai la solution !

À cette affirmation, bien que sceptique c’est comme si un étau oppressant la poitrine de médecin depuis des semaines se desserrait.

Paul Picard ouvrit le dossier et commença à exposer, d’une voix monocorde, le résultat de ses recherches. À aucun moment il ne tourna les pages, ni ne regarda son interlocuteur.

Cette « solution » laissa Dr Tedros pantois

Le remède était dans une plante !

La Psiadia schweinfurthii… 

D’après le jeune savant autiste, cette plante secrétait une molécule capable de se fixer sur un brin ADN du virus de la grippe espagnole et ainsi de le désarmer.

Le docteur Tedros voulut en savoir un peu plus sur ce végétal.

Psiadia schweinfurthii est une plante à fleurs de la famille des Asteraceae. Elle est endémique du Yémen.

Le Directeur général de l’OMS est enthousiaste : ramasser cette plante ou la cultiver, puis en extraire le principe actif, devrait ne pas poser de problème. Tous les pays mettront en œuvre des moyens exceptionnels pour cette opération.

Paul Picard hocha tristement la tête et tout en refermant son dossier dit :

  • Malheureusement cela fait plus de cinquante ans que Psiadia schweinfurthiia disparu…

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Le docteur Tedros est comme douché ! L’immense espoir qu’avait soulevé l’existence de cette plante miracle s’est écroulé…

Néanmoins une espérance ténue subsiste dans son esprit. Il interroge Paul Picard :

  • Cette molécule miracle que sécrétait la Psiadia schweinfurthiin’est-il pas possible de la synthétiser en laboratoire ?

Il n’ose pas demander à son interlocuteur comment il est arrivé à déterminer les propriétés de cette substance active et sa formule. Il sent bien qu’il est arrivé aux limites de la communication avec l’extra-terrestre qui est devant lui.

  • On le pourrait, mais cela nécessiterait de nombreuses années !

Cette affirmation suffit au directeur général de l’OMS pour comprendre que devant l’urgence de la situation cette solution est irréalisable. L’histoire montre que pour de nombreux médicaments les chimistes ont commencé à en extraire les principes actifs dans des êtres vivants tels que par exemple des plantes, des moisissures ou des bactéries avant d’en réussir la synthèse en laboratoire.

Cette succession d’espoirs et de déceptions a épuisé le médecin.

Bien qu’il ne soit pas un grand buveur, rentré chez lui, il accepta le verre de Cognac proposé par Nyala, sa « petite chèvre de montagne ».

Il lui raconta sa journée et son entrevue avec Paul Picard.

La lueur d’espoir qui s’était éteinte en lui se rallume quand Nyala dit :

  • Ta plante a disparu ? Mais il doit bien en exister des échantillons dans un herbier…

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Le docteur Tedros est à nouveau en action, la remarque de sa femme n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Un herbier ! Bien sûr. Où a-t-on le plus de chance de trouver un herbier ? Mais dans un muséum d’histoire naturelle. Nombreux sont ceux qui possèdent une section de botanique. La Grande-Bretagne en a plusieurs, mais celui qui lui vient à l’esprit est celui de Paris très réputé.

Un rendez-vous a été pris avec le professeur Jacques Morin. Il a été surpris que le directeur général de l’OMS veuille le rencontrer personnellement, mais celui-ci n’a pas voulu l’informer par téléphone des raisons de sa visite.

Quand le docteur Tedros débarque d’un taxi et s’engage dans le parc du muséum des souvenirs de jeunesse lui remonte à l’esprit. Plusieurs fois il a participé à des congrès à Paris et à ces occasions il a fait du tourisme dans la capitale. Il se souvient d’une balade à pied, le long de la Seine de la Place de la Concorde jusqu‘à la Gare d’Austerlitz. Ce jour-là il avait visité le parc du muséum, son zoo, la galerie des dinosaures. Après avoir parcouru la section des vers, au quatre-vingtième vers il avait abrégé sa visite et renoncé à se rendre à la section de botanique. Aujourd’hui il en apercevait le bâtiment au fond du jardin des plantes.

La botanique ne l’avait jamais passionné et il fut fort étonné quand il rencontra le professeur Jacques Morin. Il s’attendait à un vieux monsieur, aux cheveux rares, à l’air aussi rébarbatif que sa spécialité. Au contraire son interlocuteur était un jeune homme d’une trentaine d’années, sportif, fougueux et à la poignée de main vigoureuse.

Quand le docteur Tedros lui expose l’objet de sa visite, Jacques Morin est s’enthousiasme : ce n’est pas tous les jours que le destin de l’humanité repose dans vos mains !

La Psiadia schweinfurthii ? A priori le nom de cette plante ne lui disait rien, mais il y en a tellement qui sont répertoriées, qu’il est impossible qu’un homme en retienne tous les noms ! Autrefois il aurait fallu plusieurs jours pour la retrouver dans les collections du muséum… Aujourd’hui l’informatique abrège les recherches. Pendant que les deux hommes se rendent vers la salle des ordinateurs le directeur général de l’OMS interroge le jeune professeur : pourquoi a-t-il choisi cette spécialité ?

Jacques Morin lui explique qu’il est tombé très jeune, comme on dit, dans la marmite. Il avait un grand-père passionné par la botanique qui l’a initié à six ans à cette spécialité. Ensemble ils parcouraient la campagne pour identifier et recueillir les plantes rencontrées. Il lui a appris comment conserver chaque espèce dans un herbier. Ensuite cette passion ne l’a plus quitté, après de brillantes études à la faculté, il a soutenu une thèse de doctorat sur une plante carnivore, la Cephalotus follicularis.

Le professeur passionné par son sujet se lance alors dans un exposé exhaustif sur cette plante.

Le médecin se contente d’opiner du bonnet en souriant. Il espère que le jeune professeur sera aussi compétent sur la Psiadia schweinfurthii. 

Dans la salle des ordinateurs, il présente un jeune homme chevelu et barbu.

  • Jules ! C’est notre informaticien ! Il va nous trouver notre information en deux clics !

Dit-il en riant.

  • Jules ! Où se niche la Psiadia schweinfurthii ?

Décidément la botanique n’est plus ce qu’elle était autrefois…

Trente secondes plus tard, Jules inscrit sur un bout de papier : « allée 27, section 32, casier 14, module 6 ».

  • Qu’est-ce que je vous disais : c’est un véritable jeu d’enfant !

Il se penche sur l’écran :

  • Cette belle inconnue vivait au Yémen ! Avec la guerre actuelle, il n’est pas question de s’y rendre…
  • En attendant, parcourons les dédales du muséum, suivez-moi monsieur le directeur.

En parcourant les escaliers et les couloirs, le médecin retrouve l’atmosphère antique et poussiéreuse du muséum de ses souvenirs. Le plancher en bois encaustiqué d’époque n’a pas bougé, les collections non plus.

Au bout de 10 minutes, les deux hommes arrivent : allée 27, section 32. Jacques Morin ouvre le casier 14, sort le module 6.

Voilà l’herbier de la Psiadia schweinfurthii !

Il l’ouvre religieusement.

Il est vide !

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Jacques Morin ne peut expliquer la disparition de la plante recherchée de l’herbier. Il y avait tellement longtemps qu’elle était stockée au muséum qu’on pouvait tout imaginer. Par exemple périodiquement une partie des collections était sortie des casiers et les préparateurs procédaient à un examen des herbiers pour vérifier la bonne conservation des plantes séchées et éventuellement en assurer la restauration. D’autre part certains chercheurs étaient autorisés à consulter les herbiers dans le cadre de leurs activités de recherche. Bien entendu ces sorties de collections étaient soigneusement notées. Jules, consulté, avait affirmé qu’aucune sortie de la Psiadia schweinfurthii n’avait été enregistrée dans la mémoire de l’ordinateur…

Quelle qu’en soit la cause, cette disparition, était une véritable catastrophe et le professeur Jacques Morin avait envoyé un message sur le réseau mondial des botanistes. Un musée ou un particulier pouvait peut-être détenir un échantillon de la Psiadia schweinfurthii ?

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Après les défaites de Syrie, Abou Bakr al-Baghdadi s’était réfugié en Libye. Bien que son plan initial ait été déjoué, il se réjouissait de l’épidémie qui submergeait le monde. Certes elle touche une partie des musulmans, mais ce sont les pays dits « civilisés » qui paient le plus lourd tribut. C’est la volonté d’Allah et avec l’aide de Dieu quand les infidèles auront été anéantis, il restera suffisamment de musulmans pour instaurer un califat mondial…

Abou Bakr al-Baghdadi a des hommes à lui partout sur la planète.

C’est la raison pour laquelle aujourd’hui il se réjouit, un étudiant marocain faisant un stage au muséum d’histoire naturelle de Paris lui a apporté le chargement précieux que ses indicateurs des États-Unis lui avaient signalé.

Une onde de joie traverse le calife quand le messager dépose une boîte métallique bien hermétique sur la table.

  • Mon frère, qu’Allah soit vénéré pour l’éternité, merci tu mérites de monter dans son paradis, en substituant cet herbier tu as a contribué à notre lutte contre les infidèles plus qu’en m’apportant dix mille canons !

Abou Bakr al-Baghdadi pense qu’il va reprendre le plan que ces chiens d’Américains ont fait avorter.

De nouveaux scientifiques fidèles à la cause d’Allah vont pouvoir extraire l’ADN de la Psiadia schweinfurthii, cloner la plante en de nombreux exemplaires et en extraire la substance permettant de guérir de la grippe espagnole. La race des impies sera anéantie et ne restera sur terre que les enfants d’Allah…

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Jacques Morin reposa le combiné téléphonique, cette fois- ci, son dernier espoir est anéanti. Après avoir contacté tous ses correspondants du réseau mondial des botanistes, le dernier venait de lui répondre : aucun ne possédait d’échantillon de Psiadia schweinfurthii… 

Rien ne pourrait arrêter la catastrophe sanitaire…

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Ahmed Zabana est fier de la mission que lui a confiée Abou Bakr al-Baghdadi. Chercheur algérien à l’institut Pasteur de Paris, le calife l’a fait venir en Libye.

Une fois de plus les installations et le matériel adéquat ont été largement subventionnés par de riches mécènes arabes. Le chercheur a bien compris les directives : extraire l’ADN de la Psiadia schweinfurthii, cloner la plante en de nombreux exemplaires et en extraire la substance permettant de guérir de la grippe espagnole.

C’est un travail exaltant à la gloire d’Allah qui va lui permettre, pauvre pêcheur, d’accéder au paradis. Grâce à lui et l’aide de Dieu, tous les musulmans vont résister aux ravages de la grippe espagnole.

Il est d’autant plus heureux que cela lui a permis de quitter la rue du Docteur Roux où il végète depuis trois ans, car personne ne l’apprécie à sa juste valeur.

À Ajdabiya il est à la tête d’un magnifique laboratoire souterrain et d’une équipe de biologistes qui obéissent à ses ordres.

Et cerise sur le gâteau, sur place il a fait connaissance d’une magnifique « gazelle », Fatima, une jeune Libyenne qui rend ses nuits inoubliables. C’est un avant-goût du paradis qui l’attend…

Mais il doit en profiter vite, car si la femme est l’avenir de l’homme elle est parfois aussi sa perte. Ahmed est très bavard surtout au lit avec Fatima. Et Fatima s’appelle en réalité Sarah agent en mission du Mossad.

C’est ainsi qu’un matin un agent de la CIA remit un mystérieux paquet au directeur général de l’OMS…