Un conte de Noël…

Rhezousse, t’es toujours pas allé chercher les cigarettes !

Oui, oui, j’vais y aller ! Elle me gave avec ses cigarettes, celle-là ! Depuis qu’elle termine sa thèse sur la métempsycose, elle fait plus rien d’autre, elle oublie tout ! Y a plus rien qu’existe !

Elle c’est Mado, elle fait chier, mais je l’aime !

D’ailleurs, j’aime tout le monde, moi. C’est ce qui te perdra ! elle me dit toujours, ma mère. Tu finiras mal, tu verras ! Mais ça fait rien, je changerai pas mon cœur d’artichaut, parce que, quand on les aime, les gens, ils vous aiment aussi j’ai remarqué, et moi j’aime ça qu’on m’aime ! Enfin, chuis pas fou quand même, j’sais que c’est pas toujours comme ça, aussi beau, aussi lisse, mais ça fait rien j’y crois ! Et puis, j’sais pas faire autrement ! Tu vas finir paillasson ! elle me dit, ma mère, tu vois pas qu’elle profite de toi ! Ça fait rien, elle m’aime, Mado, et quand elle aura fini sa thèse, elle m’aimera encore plus !

T’es sourd ou quoi, Rhezousse, on n’a plus d’cigarettes !

Putain, oui, j’y vais aux cigarettes ! J’lui dis pas comme ça, mais je le pense. Faut toujours faire attention à ce qu’on dit, j’lui dit pardon, je pensais à autre chose, j’y vais tout de suite !

Je mets mon blouson et je descends. Merde, il est presque minuit ! Tout est fermé ! Ça fait rien, je vais prendre mon scoot et aller jusqu’à la gare, et puis ça me promènera. Mado, elle est tellement dans son truc qu’elle va même pas s’en apercevoir !

Allez ! À fond les manettes ! Hum, c’est bon, ça détend… J’aurais dû prendre le casque, mais tant pis, pourvu qu’il n’y ait pas de flic  ! Je fonce dans l’avenue, tout droit vers la gare, tous les feux au vert, un coup de pot ! Mais qu’est ce qu’il me fait çui-là, il me grille le feu ! Je peux pas m’arrêter, le scoot glisse sur les feuilles mouillées, je tombe sous le camion. Je suis mort. Je le sens, je suis mort.

Alors, ça commence. Vous savez l’histoire du couloir avec la grande lumière au fond, ben c’est vrai ! Je me sens flotter, glisser jusqu’à la lumière, j’arrive de l’autre côté. Bon, c’est pas la grande lumière, juste une bougie, on se croirait chez le Caravage ! Mado, elle m’a traîné à l’expo l’an dernier, très beau le Caravage ! C’est pas le nirvana non plus, ici, j’ai mal partout, j’arrive plus à parler, mes bras et mes jambes font des gestes désordonnés, atteinte de la moelle épinière, je pense. C’est quoi, cet’ arnaque !? J’arrive juste à crier, je braille comme un veau, j’ai peur ! Je crois que Mado, elle va les attendre longtemps, ses clopes !

Une femme voilée, pas la burka quand même, mais voilée avec un joli foulard blanc se penche sur moi. Une infirmière ? J’suis déjà à l’hosto ? Elle me serre contre elle, très fort. Mais qu’est-ce qu’elle a à me serrer comme ça !? Veut faire de la réanimation ou quoi ? Elle est douce, très douce, j’arrive à me calmer.

Et puis, y a trois types aussi. Encore des immigrés, sont super basanés ! Ça, c’est de l’Afgan au moins, ou même de l’Indien, et çui là, je me trompe pas, de l’Ethiopien, comme moi ! Un juif éthiopien, je parie ! Putain, mais ils ont de la tune on dirait ! Comme ils sont sapés ! Ils sont là, ils attendent, ils me regardent, ils me badent même. Ben quoi, tu veux ma photo !?

La porte s’ouvre, dehors c’est encore la nuit, je vois juste une étoile qui clignote, ou alors c’est encore le gyrophare de l’ambulance ? Il y a un type qui rentre. Il finit de remonter son pantalon, il a dû sortir pour aller pisser. Putain, ces mains qu’il a, des vraies mains de travailleur ! Doit enfoncer les clous rien qu’avec ses pognes, celui-là !

Le type vient faire une bise à la femme, très tendrement. Je suis ému, ça m’a toujours ému la tendresse, je me sens fondre, je pense à Mado. Je vais finir par la retrouver par là, c’est sûr !

Tiens, Giuseppe, fait la femme, prend Rhezousse un moment, y m’fatigue !

Quoi, on se connaît !?