Non, on ne saura jamais ce qui se passe sous les tepees.

 

Docteur Hyde à la ville Mr Jekill à la maison, ou le contraire, on rentrera dans sa chaumière se recroqueviller pour mieux bouffer sa honte d’individu qui ne sait pas vivre ce que le citoyen a clamé bien clair au dehors, sa honte d’être un pauvre d’esprit, un pauvre d’actes, au discours brillant et si vain. Et alors on écartera un peu le rideau pour voir s’il reste au dehors des bribes de nous, si nos paroles ont fait sens, résonnent encore un peu, si quelqu’un parle encore un peu de nous, si on a fait référence.

Et l’on replongera nu dans le remugle des pensées sans issue, qui ne servent à rien, sauf peut-être à faire le miel des thérapeutes. Non, on ne suicidera pas car on ne sait pas si, après, on pourra les compter, ces amis qui pleureront, on ne sait pas. On a peur qu’ils restent sans larmes, sans regrets éternels, ou sans assez de mains qui se tordent, sans assez de rimmel sur les joues, sans assez de rouge aux yeux. Pas la peine, si on n’est pas sûr de voir jaillir les pleurs.

 

Et ce rideau qu’on voudrait peut-être franchir, ce miroir dont on lorgne l’autre côté, on ne les traversera pas. On va renifler un peu, se donner un coup de peigne et revenir devant son clavier, ou même peut-être oser sortir dans la rue, plein d’angoisse, le sourire aux lèvres pour donner le change, se redresser, parler, faire comme si, et de nouveau finir par y croire jusqu’au soir, où passé le seuil on éclatera en sanglots sans comprendre pourquoi.

 

Et un lendemain viendra encore avec ses pathétiques tentatives d’exorcisme, son prêt-à-porter, ses comment-ça-va-très-bien, ses rires gras, ses proclamations d’intention, ses professions de foi qui nous écorcheront un sourire, ses mentons bien hauts, ses valeurs proclamées, ou distillées comme un venin patient, les je-vous-rappelle, les allez-bisous, pour nous sortir de l’eau sale des nuits sans sommeil à remâcher la vanité, et tenter de nous stériliser une fois pour toutes en nous immergeant dans la soupe consensuelle de chaque jour.

 

Mais où est l’air ? Ils l’ont mis en bonbonne, rien que pour eux, dit-on. Mais qui sont-ils et qui est “on” ? Et, est-ce bien vrai qu’il existe encore de l’air quelque part ? Encore du travail pour cette nuit.

 

Sans synthétiseur d’odeurs, sans prothèse tactile, derrière ce rideau de pixels, la pulpe des doigts frémit sur le clavier. Tu me manques, tu me manques atrocement. Amoureux ? Peut-être.
Il me manque ta peau. C’est tout.