On se racontera
nos brûlures d’encens
nos sommeils éclatés sous la lune
et nos pères si lointains
On se racontera les brises de mer
les après-midis d’ennui de l’enfance
et cette attente sourde
On se racontera
les fées sur les lacs d’huile
les grenades mangées à pleine bouche
les airs d’harmonica
et ces oreillers de solitude
qu’on étreint mouillés
d’une nuit de pleurs
On se racontera encore et encore
les bagarres de rue
les coqs dans les poulaillers
et notre terreur de l’ombre
les étés de cour d’école sous les platanes
les bonbons acidulés
et le papier qui poisse aux doigts
On se racontera
les cerises dans l’arbre et les jeux d’osselets
les cristaux de gel sur les vitres
et cette attente
On se racontera
Les fleurs du pommier
Et le premier baiser
on se le donnera
encore et encore
pour se raconter le jour
Merci Hermano.
Ce poème suscite tant d’émotion. J’ai le cœur empoigné à le lire, il en émane tant de vibrante sincérité. Les formules sont plus belles les unes que les autres et les citer reviendrait à mettre ce texte en exergue.La nuit, l’ennui, l’attente lancinante, la solitude comme sourdent battements de cœur…
L’enfance, le seuil de l’adolescence, à attendre quoi, une vie adulte?
The fighting et “notre terreur de l’ombre”
Et puis le jour, les brises de mer, les grenades mangées à pleine bouche, les airs d’harmonica, les cerises dans l’arbre, le premier baiser, les vastes paradis perdus
Oui, tu t’es raconté, Hermano…
Merci Hermano pour ce poème sensible aux images magnifiques et souvent originales : fées sur lac d’huile, sommeils éclatés, oreillers de pleurs….
Il raconte à merveille les débuts d’un amour.
Comme il se doit dans un poème d’amour les cinq sens sont sollicités : la vue bien sûr avec toutes ces images, le toucher (les bonbons qui collent), le goût (des grenades), l’odorat (l’encens), l’ouïe (l’harmonica),
Scandé par “on se racontera” ce texte serait le pendant “aval” de celui de Nougaro “Tu verras, tu verras”.
Il a choisi le rythme de bossanova. Et toi verrais-tu une musique dessus ?
Tes textes sont toujours beaux et bien écrits mais celui-ci est particulièrement réussi et touchant.
J’aime beaucoup cette projection dans le futur dans un texte qui traite surtout du souvenir : “On se racontera”. C’est donc qu’on exclut de se raconter maintenant ! Un pauvre récit est ici à proscrire, remettons le à plus tard ! Reste la voie poétique, si joliment empruntée, si évocatrice.
J’ai connu cet oreiller, je me suis vu sous le cerisier et j’ai gratté les cristaux de gel sur les vitres.
Et ce premier baiser à garder dans nos mémoires et dans nos coeurs comme un diamant unique, peut-être vaut-il mieux ne pas trop en parler, il y a longtemps qu’il est sorti du domaine du réel. Gardons l’illusion de le revivre un jour … On se racontera.
Magnifique !
Merci à vous trois pour ces commentaires “Deluxe” !
Oui, Tanagra, tu m’as démasqué, c’est vrai que je me suis pas mal raconté ici ! Merci beaucoup de m’avoir exprimé cette émotion, pour ce cœur “empoigné”.
Line, tu me révèles des choses que j’ignorais avoir mises… oui, oui ! Tous les sens. Je me demande tout de même si “les fées sur des lacs d’huile” ne sont pas de la poésie au kilomètre, seulement de jolis mots alignés qui glissent bien…? Mais bon, on va faire avec !
Quant à la chanson de Nougaro, chanson que j’aime beaucoup pour ses tuiles bleues et ses croisées d’hortensias, merci de la rappeler. Je l’adopte en toute modestie envers ce maître. Parfaite.
Oui, Chamans, le premier baiser, c’est comme la madeleine (!) de Proust, il ne faut pas la tremper trop souvent car elle peut perdre son goût, une petite visite de temps temps, juste pour ne pas oublier. Heureux d’avoir produit chez toi ces échos.
C’est vrai que c’est un récit au futur pour parler du passé, mais peut-être s’adresse-t-il à quelqu’un qu’on ne connaît pas encore, ou à quelqu’un pour qui on garde toutes ces histoires qu’on ne peut évoquer que les yeux dans les yeux ?
Heureux les poètes le royaume des cieux leur appartient.
Tous ces souvenirs je les avais aussi… Mon père aujourd’hui dont le souvenir d’efface inexorablement, les jeux d’osselets dans la cour de l’école primaire, les bonbons acidulés non terminés que l’on collait sous sa table pour le lendemain, le souffle de la mer dans les cheveux à la fenêtre du train me menant pour la première fois au bord de l’océan, le bruit du coq le matin, le chant du rossignol sous une tente la nuit, le visage de la maitresse de maternelle dont j’étais amoureux…
Mais à l’image l’escargot qui regarde impuissant l’hirondelle qui plane tout la haut dans l’azur, je suis contraint de lire les mots des autres et de me réjouir parfois de ressentir les sentiments qu’un poète a voulu insuffler dans ses vers.
Tu vois, Loki, ça vient, ça vient !
et je ne t’ai même pas parlé de la craie dans les encriers ! Rires !
Si tu es nostalgique, tu peux aussi lire celui-là que tu avais raté ! https://www.oasisdepoesie.org/textes-dauteurs/poemes/hermano/en-cabine/
Eh oui ! J’ai oublié la craie que j’ai connue en tant qu’élève puis en tant que prof… Et le passage de la plume que l’on trempait dans l’encrier de porcelaine inséré dans le pupitre au crayon à bille BIC.
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