L’odeur du mazout
Comme celle de la sueur
Ce n’est pas une odeur
C’est un monde
Une valse lente qui chavire
Un port de commerce
Aux quais noirs
Souillés d’ennui
Les chaînes lourdes
Qui frappent les coques
Comme des marteaux
Un port la nuit
Dans l’attente d’un vent perpendiculaire
D’un vent très doux qui caresse
La taille souple des filles
Fait danser les pâles lampions
L’odeur revient crescendo
Du bout du monde
Comme un tango sur les vagues
Depuis derrière l’horizon
Jusque dans la petite rue
Derrière
Où j’essaie d’aimer
Merci pour ce poème que je trouve très cinématographique avec ses plans de nuit de plus en plus rapprochés: le large, le port, les rues, la chambre d’amour. La bande son est là aussi: valse des vagues, chaînes qui tambourinent, musique du vent, tango sensuel.
Valparaiso, Rotterdam, Hong-Kong ?
Qui est dans cette chambre ?
Tout est possible…
Merci, Line, pour ce prompt commentaire, et merci d’avoir aimé ce poème portuaire.
Puisqu’il faut tout dire sur le port qui m’a inspiré, ce n’est ni Hong-Kong que je n’ai jamais vu qu’en transit, ni même New-York, Amsterdam ou Cadix, c’est le port de Rijeka (Fiume) qui, autant en italien qu’en croate, signifie “le fleuve”. Un grand port, tout de même, mais plus confidentiel, c’est vrai !
Quant à la chambre d’amour qui, je le vois, te fait bien fantasmer (c’est fait pour ça, les poèmes !) – je n’ai jamais parlé de chambre ! – c’est, je dois le dire, un pur fantasme probablement dû à une fille du port qui s’approchait un peu trop, mais surtout à un poème de Fabio, un ami colombien ; encore un de perdu… de vue.
J’avais déjà publié cela ailleurs et ça avait déclenché des débats, oui ! Je te laisse imaginer sur quel mot…
Quel beau poème Hermano !
Et quelle excellente idée de partir de l’odeur du mazout et non du parfum des embruns et du chant des mouettes, pour nous faire rêver !
J’entends le battement des chaînes, le grincement des grues, le ronronnement des pompes. Le vent perpendiculaire et doux qui dévoilera les jambes des filles se fait attendre. Pour le moment, c’est le quai noir et l’odeur prégnante du mazout envahissant l’univers, une valse lente qui chavire et la ruelle par derrière où peut se loger l’amour …
C’est fort, c’est beau. L’odeur du mazout m’a emporté.
Je sais, ce n’est pas un commentaire, plutôt un ressenti librement exprimé.
Déjà, à la lecture de la première strophe, j’ai été transportée au port d’Abadan lors des chaudes soirées d’été.
En marchant sur le Quai, l’air humide était gonflé de l’odeur de “Raffinerie, poisson boueux, ma rivière, acacia”.
… Là, chaque couleur avait sa propre odeur et vice versa.
Parfois, “un vent très doux”, le Shamal, arrivait pour jouer avec les jupes légères des filles de la ville. On savait que cela rendrait les marins britanniques fous.
Oui, pour moi, ce poème pourrait être mon Abadan révisé, à l’exception du “vent perpendiculaire” que je n’ai rencontré qu’en naviguant à proximité immédiate d’une falaise. Contrairement au Shamal, le “vent perpendiculaire”, descend toujours de façon inattendue. Avant d’avoir le temps de baisser les voiles, les dernières sont sous l’eau.
Un jour, nous avons perdu l’ancre dans le port de Cabrera au milieu de la nuit par un tel “vent perpendiculaire”.
Je trouve la dernière strophe, en particulier les deux derniers vers, extrêmement mélancolique et touchante.
Merci pour ce poème que j’ai vraiment adoré lire.
Qui eût cru qu’on pourrait faire une poésie autour du mazout ?
Et pourtant Hermano l’a fait, assimilant ce liquide visqueux, extrait du sang de la terre au liquide plus volatil émanant de chaque homme et de chaque femme.
Il aurait pu approfondir cette assimilation en évoquant en parallèle des souvenirs qui sont attachés à chaque odeur. Odeur d’une femme ou d’un homme aimé.
Mais il a préféré retenir l’odeur prégnante de ce combustible qui fait vivre notre société industrielle et tue aussi notre environnement.
Un port de commerce c’est tout cela, une fourmilière qui grouille jour et nuit, où l’homme est étranger et minuscule parmi le gigantisme des grues, de containers, des tankers.
Même la nuit où semble régner un calme relatif l’odeur du mazout est partout, toujours, rappelant cette mer asservie et polluée. Elle se manifeste en faisant danser lentement les navires, monstres assoiffés du sang de la terre et même le vent a oublié son odeur iodée pour prendre celle des hydrocarbures.
L’amour a-t-il encore sa place dans cet univers bâti par l’orgueil de l’homme ?
Chamans et Loki, je suis heureux de vous avoir transportés ailleurs et je vous remercie de vos commentaires qui me touchent.
Heureux, Loki, que tu sois sensible à la poésie du mazout, et quant à ta question existentielle : “L’amour a-t-il encore sa place dans cet univers bâti par l’orgueil de l’homme ?“, je dois répondre “Encore davantage ! Au contraire, une nécessité ! un must !”.
Et enfin, j’ajouterai que TOUT est poétique. Une question de regard, non ?
Purana, heureux aussi de t’avoir fait revisiter autant de souvenirs…
Je dois tout de même t’expliquer mon “vent perpendiculaire” : non pas de haut en bas comme tu sembles le comprendre, mais tout simplement du large vers la côte, et perpendiculaire au quai !!!
C’est tout de même tout simple, et je suis sûr que les éminents mathématiciens qui précèdent l’avaient envisagé dans leur géométrie. Rires !
Intéressant, mais ( justement par rapport aux odeurs du port ), le texte semble finir “en queue de poisson “….