I –
Tablier gris
Pas lents dans la cour
Ma grand-mère
Pense au repas de midi
La poussière murmure sous ses pas
Doucement, elle pousse le grillage de la porte
Et sans un mot, entre dans le pigeonnier
Affolement ! Battement d’ailes !
Au creux de sa main
Déjà l’oiseau palpite
Elle le met dans sa poche
Comme sans y penser
Hume un peu l’air du matin
Sort de la volière
Et ouvre la main
L’oiseau ne bouge plus
Sa petite tête tombe, sur le côté
II –
L’après-midi d’été
Étire mon ennui
Sur le sol de la cour
Le silence frappe comme un marteau
J’aligne les bobines de fil vides
Mes petits soldats défilent, s’accordent
Ordonnés, silencieux
Je suis leur maître
La main qui commande
Jusqu’au soir
Dans un rythme immuable
Ils dessinent des arabesques
En attendant les étoiles
Puis je les range
Dans leur boîte
Jusqu’à demain
III –
Mon oncle,
Assis sur sa table depuis des heures
S’est levé
Il a posé ses ciseaux
C’est le soir
Nous sortons
Entre les grands murs arabes
Les grands murs blancs et chauds
Rongés de salpêtre
Sa main est douce
Comme les tissus de soie
Comme un accord parfait
Il fume en regardant les étoiles
Nous rentrons
IV –
Fin de journée
Un bar minuscule
Comme un alexandrin coupé en quatre
Visages tannés
Des ouvriers fatigués
L’heure de la prière est passée
Crible obligatoire
On boit je ne sais quoi
Du thé, de l’orgeat
Du vin, peut-être
Humble mendiant
Je quête un pourboire
Pour remplir
Ma boîte en fer blanc
Pour moi, ce texte est une nouvelle magnifique dont la forme et le fond sont merveilleusement poétiques.
L’auteur nous offre les petits détails souvent oubliés par les romanciers. Cela donne la touche nécessaire pour nous livrer un poème unique émanant d’un quotidien banal de ce “quelqu’un”, là-bas.
L’acteur principal ne domine pas la scène. Il en va de même pour chaque objet ou personnage dans cette histoire. Ils sont là au bon moment ; ils jouent leur rôle puis remontent sur la pointe des pieds derrière le rideau. Quoique présents simultanément.
Voici l’image ainsi créée : une histoire incroyablement panoramique, un flash-back inoubliable dont parlent tant ceux qui ont vécu une expérience de mort imminente.
Très beau conte effectivement.
Une madeleine de Proust mais avec la finesse des parfums de là-bas…
Je te salue pour ton talent de poète conteur.
Je suis vraiment impressionnée.
Purana a raison, tu es un poète conteur. Avec ton sens du rythme fluide, tu tresses les heures de la journée et le déroulement de la vie.
Des voiles, des étoiles, que des choses pas commerciales, qui nous font rêver… (cf Alain Souchon Foule sentimentale).
Ton texte est plein d’images et de lumière qui s’accordent avec le tableau orientaliste que tu a choisi.
La simplicité des mots et des tournures est de mise pour décrire la vie de gens humbles mais ta plume reste élégante.
J’ai particulièrement aimé “le bar minuscule comme un alexandrin plié en quatre” : la poésie reste la mesure de ce récit.
Merci.
PS: je n’ai pas compris le sens du mot crible ?
Quatre instantanés à peine flétris par le temps.
Merci d’avoir bien voulu soulever le voile, le film diaphane qui recouvrait l’album aux souvenirs, sur comme des clichés qui n’en sont pas mais plutôt des trésors de pudeur.
J’ai été touchée par l’aspect personnel de ce texte, de ses évocations servies par une langue douce et bienveillante, soucieuse du passé, distillée par un passeur d’émotions.
I-
“Tablier gris”, cotonnade assouplie par les lessives où il faisait bon se réfugier, échappant aux peines d’autrefois…
“Ma grand-mère”
“La poussière murmure sous ses pas”
On sent le vécu lorsque
“L’oiseau ne bouge plus
Sa petite tête tombe, sur le côté”
II-
“L’après-midi d’été
Étire mon ennui
Sur le sol de la cour
Le silence frappe comme un marteau”
L’ombre s’étire sur le sol de la cour comme l’ennui, le silence frappe comme un marteau, comme le soleil qui entête.
III-L’instant est impalpable, doux, fragile :
L’oncle, tailleur, “a posé ses ciseaux
C’est le soir
sa main est douce
Comme les tissus de soie
Comme un accord parfait
Il fume en regardant les étoiles ”
IV-Un estaminet.
“Un bar minuscule
Comme un alexandrin coupé en quatre”
L’instant de l’examen de conscience est oblitéré
“L’heure de la prière est passée
Crible obligatoire”
“On boit je ne sais quoi
Du thé, de l’orgeat
Du vin, peut-être” …
Merci beaucoup à vous trois pour vos commentaires sensibles.
J’ai voulu évoquer la modestie, la légèreté, le temps qui passe différemment pour un enfant, l’affection des proches, le dépouillement.
Oui, Purana, tu as tout à fait raison : cela pourrait tout a fait être l’évocation d’une NDE (Near Death Experience). Je suis toujours étonné des images subliminales que le lecteur peut trouver dans un texte, des choses que je n’ai pas voulues mais qui sont pourtant là, patentes, et que je suis bien obligé de reconnaître. C’est comme quand le psychanalyste nous décrypte un discours et lève une sorte de voile. Merci pour cela Purana.
“des choses pas commerciales“, c’est cela, Line. Par contre, je ne saurais pas vraiment expliquer les mots “crible obligataire” qui me sont venus spontanément ! (comme l’alexandrin coupé en quatre !) Peut-être pour donner de la prière l’image d’une chose par laquelle tout le monde doit passer obligatoirement et qui, à la fois, uniformise et rend solidaire, apaise avant de passer à une autre activité.
Merci, Tanagra, d’avoir été sensible à l’atmosphère “pudique” de mon texte. Oui, c’est une sorte de pudeur que j’ai voulu aussi distiller ici. De plus, ton commentaire m’a permis d’en apprendre davantage sur ce vieux mot délicieusement désuet : “l’estaminet” qui viendrait du flamand “Sta Menheer” (Restez, Monsieur) affiché sur la porte pour inviter les hommes à s’arrêter boire un coup ! 😉
La lecture de ce poème m’emmène dans un pays du sud; j’ assiste au déroulement calme et lent d’une journée.
La chaleur lourde me rappelle les poèmes et les belles photos de mon premier livre d’espagnol…
( la campagne andalouse, les oliviers, le sable, ….)
La vie y semble réglée comme du papier à musique;
j’entends au loin ” le boléro de Ravel”.
J’aime beaucoup l’évocation des jeux de l’enfant, organisés, répétitifs;
cela me renvoie aux jolies pages de Jean-Christophe où Romain Rolland
décrit les divertissements du gamin.
Je trouve que c’est très beau.
Ravi, Nima, d’avoir suscité pout toi ces évocations. Très intéressant pour moi de voir, et d’essayer de comprendre tous ces ressentis différents.
Merci d’avoir évoqué les tiens.
Ah ! les livres d’espagnol avec la photo des Infantes de Velasquez, l’incroyable mosquée de Cordoue et cette Andalousie qui est parfois beaucoup plus verte qu’on ne l’imagine.
D’habitude, le pays évoqué dans ce texte est plutôt considéré comme un pays du Nord (bizarre non ? mais après tout, on est toujours au nord de quelqu’un d’autre !) et on y entendait plutôt le muezzin que le boléro.
Oui, les jeux de l’enfant, les jeux de l’enfance, seul dans le silence. Merci Nima !