TEMPS ETRANGE
J’ai ouvert la porte pour toi
l’air printanier s’est engouffré.
Quelle précipitation
comme l’enfant qui ne saurait attendre son tour !
Il est entré
avec le bruit des grues sur leur chemin de migration,
avec une grappe de soleil sur une branche de mimosa,
avec ton insouciance, ce jour d’hiver.
Il a traversé nos regards, notre baiser.
Rempli les orbites du masque de bronze.
Un instant, il s’est arrêté aux tic-tacs de la montre à gousset.
Avec son doigt, il a vérifié la poussière des livres
avant de courir goûter le repas, sur la cuisinière.
Il a roulé dans notre lit, palpé nos oreillers.
De là, vite, il a pénétré dans la salle de bain,
volé la lavande d’un savon,
sauté par l’étroite lucarne sur ailes d’un moineau.
-Tu vois ?
-Quoi ?
-L’air du printemps sur les ailes du moineau.
Nous regardions le même endroit,
nous ne voyions pas la même chose.
Aytekin KARACOBAN
Merci, Aytekin, pour ce texte annonciateur si léger.
Je sens vraiment ce vent indiscret et impertinent se faufiler partout, rien ne lui échappera, je le sens.
Il vient même aérer mes neurones !
En première lecture, j’étais un peu confuse. L’auteur semble s’adresser à l’être aimé, puis, décrire le vent suivi d’une question posée à un “tu” non identifié.
Puis j’ai recommencé à lire le poème, cette fois avec des yeux orientaux comme si je lisais Rumi ou Omar Khayyam.
Voici ce que j’ai perçu. Ce n’est peut-être pas ce que tu voulais exprimer, mais c’est ainsi que je l’ai déchiffré en finissant de le considérer exceptionnellement beau.
Une délicieuse description d’un monde nouveau !
Un poème écrit en mots légers et aériens.
Très beau poème, inspiré, inspirant, avec ce vent de désir et de liberté !
La première strophe annonce le printemps alors que ce “toi” entre.
Est-ce que la bien-aimée entre accompagné de l’air du printemps ?
Est-ce que la bien-aimée est lui-même l’air du printemps qui entre ?
Le poème continue avec la deuxième strophe d’une manière évidente.
Le narrateur décrit cet air plutôt que la bien-aimée.
La bien-aimée n’est pas celle que l’amant voit, mais celle qu’il aperçoit !
La strophe semble délibérément longue. Suffisamment longue pour décrire aussi méticuleusement que possible cet air printanier sans oublier aucun aspect.
C’est comme si la perception avait pris le pas sur le regard ; comme si la bien-aimée était devenue l’air printanier.
Alors, il ne s’agit plus d’une “elle” mais d’un “il”.
Je trouve ce soudain changement de perception magnifique !
Dans le dialogue qui suit, le “tu” n’a pas d’identité claire ; il me semble avoir été employé à la manière des poésies orientales.
Ce “tu” n’est pas moi.
Peut-être le narrateur s’adresse-t-il à lui-même.
Peut-être qu’il pose une question à la singularité divine qui connaît toujours les réponses.
La chute, la morale du poème est la simple vérité universelle : “Nous ne voyons pas la même chose”.
C’est un texte très original, délicat, presque philosophique.
Ce poème est beau car il suggère la sensualité, mais n’est pas déplacé, voire libidineux. Seuls les esprits mal placés pourrait voir dans “le doigt mis sur la cuisinière” (soit le meuble de cuisine, soit la femme qui fait la cuisine) et la suite du poème un acte d’amour.
Oui, il s’agit d’un temps merveilleusement étrange ! Sourire.
Je m’interroge sur le fait du rendu dans ta langue originale, est-ce aussi une lecture à deux niveaux ?
Bref, je publie mon commentaire sinon je vais mettre la semaine à commenter ce poème tant il soulève des questions.
Merci à toi Aytekin !
À te lire,
Purana
Aytek ,
je viens de lire ton texte, et je suis sous le charme,
le quotidien est là, aux multiples facettes, marqué par ta lecture et le décalage avec l’autre
il ne semble pas du tout habituel
j’aime cet aller retour entre connu et inattendu
ce vent comme un troisième personnage
la vie qui effleure
suggérée
très beau moment à te lire
ska