Ils viennent de déposer le bloc de marbre sur le sol de son atelier.
Tandis que les hommes s’escriment à faire rouler la pierre, pour la descendre du chariot, il voit leurs bouches se crisper, leurs langues s’allonger sous l’effort, leurs muscles saillir pour retenir le poids du marbre et leurs fronts ruisseler d’une sueur qui trempe déjà leurs chemises.
Le sculpteur et l’homme sont subjugués par cette lutte entre la pierre et les humains, le sculpteur y voit la promesse d’un combat contre la matière, l’homme la concrétisation de ses fantasmes. La vue de ces corps arc-boutés et l’odeur de la sueur éveillent ses sens à des pensées érotiques.
Il a toujours été amoureux du beau, amoureux du corps masculin et amoureux de nombreux garçons. Ses sculptures, ses peintures et ses dessins tout comme ses poèmes scandent avec une puissance divine la force du désir.
C’est avec regret qu’il voit les ouvriers quitter son atelier.
***
Il se retrouve seul face à la pierre. Il sait déjà ce qu’il va extraire de ce marbre inviolé. Son esprit est rempli de l’image du jeune Tommaso de Cavalieri, un jeune noble Romain d’une infinie beauté. Dès leur première rencontre, il en est tombé éperdument amoureux. Lui, l’homme mûr de 57 ans a retrouvé ses ardeurs de jeunesse à la vue de Tommaso.
Ce nouvel « amour » a occulté tous les autres. Et il y en a de nombreux !
Parmi eux, un de ses modèles et élèves, Gherardo Perini qui pose pour lui. Un autre Febo Di Poggio, Michel-Ange l’a surnommé “le petit maître chanteur “ car le jeune homme lui demande de l’argent, des vêtements et des cadeaux. Il l’appelle même mon “père d’honneur ”. Il supporte difficilement ses infidélités.
Il s’était attaché à Cecchino De Bracci, un de ses élèves, décédé à 16 ans. Michel-Ange dévasté par le chagrin a dessiné sa tombe dans la Basilique de Sainte-Marie in Aracoeli à Rome.
Ce bloc de marbre blanc de Carrare a été laissé à l’abandon après l’échec d’autres sculpteurs.
Dans la carrière Michel-Ange a vu immédiatement le parti qu’il va tirer de l’étroitesse du bloc, comment il va contourner un de ses défauts : une brèche dans la pierre…
***
Il veut être seul pour sculpter ce qui sera son chef d’œuvre.
Rien ne doit troubler la vision du jeune Tommaso de Cavalieri.
Il sent bien que Gherardo Perini est jaloux, mais c’est la vie, un amour chasse l’autre…
Il prend son burin et son marteau et commence à entailler la pierre.
Les éclats de marbre tombent au sol.
Il a demandé que personne ne vienne troubler son labeur. Il dort sur place sur une couche placée au fond de l’atelier. Seule Luciana une servante lui apporte un repas qu’elle dépose devant la porte. Elle frappe puis s’éloigne. Personne ne doit voir le colosse se matérialiser sous les coups experts du sculpteur.
Au fil des jours le corps de Tommaso apparaît. Mais seul Michel Ange peut distinguer ce torse déjeté cuirassé de chair orpheline sur une hanche qui s’affirme. Des pectoraux de dieu grec et des abdominaux fermes et découpés qui saillent comme ceux d’un guerrier Sparte à la bataille des Thermopiles.
Dans la brèche le maître a creusé l’espace entre le bras droit et le torse.
Tout en déplaçant l’escabeau autour du colosse de marbre de 4,34 mètres de hauteur, Michel-Ange a trouvé son nom : David.
Il ne peut lui donner le nom de Tommaso de Cavalieri, le scandale serait trop grand, il a besoin du pape.
Il représente David, une fronde à la main, juste avant son combat contre le géant Goliath.
Michel-Ange est bien fatigué, mais l’image de Tommaso est trop prégnante dans son esprit, l’amour trop fort dans son cœur et le désir si intense pour qu’il se repose.
Sous le tronc des jambes apparaissent puissantes et musclées, les tendons du mollet, de la cuisse…cette finesse à dompter.
Il s’applique avec son burin. Et là…un détail infime entre les deux cuisses, mais si important.
Mais il faut que Tommaso soit complet. La tête…
La bouche petite… charnue. Un nez grec… divin
Et ses yeux…immenses, clairs, enfoncés sous l’arcade.
Des sourcils souverains couvrant un regard qu’agite la peur, le défi, le chagrin.
Il avale sa salive, la tâche a été immense, mais il est jeune encore. Ce sera … son œuvre majeure.
Cet éphèbe, au respir ténu…vibre… sur son socle.
***
Aujourd’hui le maître passe devant son « David » à la palazzo Vecchio.
Une larme coule sur son visage…
Tommaso de Cavalieri a été poignardé par Gherardo Perini. Les spadassins ont empêché la justice des hommes de passer…
Une nouvelle librement inspirée de la vie de Michel-Ange et de la poésie de Tanagra Opus magnificat.
La chronologie et le déroulement des événements sont pures inventions, même si les personnages ont réellement existé. L’histoire nous apprend que le “David” a été réalisé entre 1501 et 1504. On dispose peu d’information sur l’identité du modèle qui aurait pu inspirer Michel-Ange.
Loki Michel Ange avait 26 ans quand il a commencé la sculpture du David et non pas 57 ans quand il a rencontré Tommasso del Cavalieri et Ghérardo Périni ne posa pour lui qu’en 1520.
Je n’apprécie que moyennement que tu plagies des passages entiers de mon texte, j’aurais préféré que tu trouves tes mots par toi-même, je t’y engages, tu verras tu t’en sentiras plus fier et je t’en crois capable.
Tanagra
Comme je l’écrivais :
Une nouvelle librement inspirée de la vie de Michel-Ange et de la poésie de Tanagra Opus magnificat.
Je pensais que tu serais flattée que je reprenne sous une autre forme quelques uns de tes vers que j’avais appréciés dans mes commentaires. Je vois qu’il n’en n’est rien. Je te prie de bien vouloir m’en excuser… Dans l’avenir je m’abstiendrai !
Je trouve ce texte au demeurant bien écrit, bien que je me serais volontiers passé du détail entre les deux cuisses qui, de mon point de vue change le paradigme de cette écriture et la rend moins agréable : ce n’était pas nécessaire à mon avis. A ce sujet, si les maitres de l’époque – et les Grecs – représentaient souvent des sexes sous dimensionnés, c’était parce que le naturel aurait été considéré comme obscène et je ne suis pas loin de partager cette opinion.
Il reste que j’avoue comprendre le dépit de Tanagra face à cet écho entaché de tant d’inexactitudes historiques qui nuisent au texte en entrainant le lecteur averti à penser que tout cela est une sorte de mascarade, en entrainant le lecteur non averti à mémoriser de fausses informations, et c’est dommage car comme je l’ai dit plus haut, je trouve que c’est bien écrit, mais je crois qu’on ne peut pas ainsi faire de la pure fiction à partir de faits historiques. Pardon pour cette longue phrase, je ne sais pas faire autrement !
Ceci dit, je plaide pour l’apaisement. Merci à vous deux de vous être ainsi exprimés clairement.
J’ai trouvé intéressant que le riche et beau texte de Tanagra serve d’inspiration à ce rêve de pierre fort bien écrit et agréable à lire.
Les textes se complètent au sens où le texte de Loki contextualise la création de la statue. J’ai bien aimé le début, où la lourdeur et la forme particulière de la pierre sont bien rendues et montrent le défi qu’elle représente pour l’artiste. Par contre, comme Hermano, je regrette l’inexactitude historique qui nuit à l’achèvement de la contextualisation. Je pense qu’il est important de respecter les faits historiques avérés lorsqu’on met nommément en scène un personnage connu. Dans le cas contraire, pour un lecteur averti, cela fait retomber la tension narrative, pour un lecteur non averti, ceci l’induit en erreur, comme l’a souligné Hermano.
Je trouve dommage que certains passages soient aussi proches de ceux de Tanagra, car Loki a un style personnel abouti. Il aurait été très intéressant de voir comment un auteur de nouvelles comme lui s’approprie – en la transformant – l’écriture poétique et sophistiquée de Tanagra.
Je suis étonné que ce texte déclenche tant de remarques !
Je m’étonne de la réaction de Tanagra, mais je m’incline… Ce n’est pas la première fois que sur ce site que nous nous inspirons les uns des autres. Il y a là une saine émulation et rend moins académique la vie du site. Après tout il peut avoir autre chose que les louanges ou l’indifférence.
Je ne pensais pas que le “détail” pourrait choquer, il est à mon avis beaucoup plus neutre que le détail visuel de la statue de David. Saurions-nous plus pudibonds au 21 e siècle qu’au 20 e ou 19 e siècle ? Je n’ose pas imaginer les réactions qu’auraient provoqué la publication “Des fleurs du mal” sur ce site. D’ailleurs je me souviens de quelques nouvelles et poésies publiées par le passé qui étaient plus “coquines” !
Je réfute l’affirmation : “les maitres de l’époque – et les Grecs – représentaient souvent des sexes sous dimensionnés”. En matière de “sexe” il y a une diversité de dimensions. Nous garçons cela a été dans notre adolescence une angoisse existentielle…
Je défend la liberté des auteurs et je revendique pour eux et moi le droit de privilégier la fiction par rapport à la vérité historique ou la chronologie.
Sinon il est temps de préparer un bucher pour un autodafé.
Loki, en ce qui me concerne il n’est pas tant question de la liberté des auteurs que d’embarquer – ou pas – le lecteur averti. S’il voit une grosse différence avec la vérité historique, son intérêt pour le texte retombe.Dans le cas des romans policiers, les auteurs font souvent valider par des connaisseurs les passages relatifs à des domaines qu’ils ne maîtrisent pas.
Par ailleurs, si le lecteur n’est pas averti, je trouve dommage de lui faire mémoriser des informations fausses. De nombreux auteurs de fictions historiques s’appuient sur les faits avérés et comblent les interstices avec de la fiction vraisemblable.