Ce fut aussi bizarre qu’inattendu, mais ce jour-là, Ernest Pernet ressentit les premiers troubles.
Ayant enfilé ses chaussettes, il s’aperçut avec horreur qu’au pied droit il y avait un trou.
Ce n’était pas la première fois qu’une telle mésaventure lui arrivait, habituellement il était contrarié et jetait les chaussettes à la poubelle. Mais cette fois-ci un mal étrange le gagna.
La sueur perlait à son front, comme si une fièvre s’était emparée de son corps. Quand il se regarda dans une glace, il constata que son visage était couvert de plaques rouges.
Pas de doute il avait la grippe ! Il se précipita sur son armoire à pharmacie : le médicament miracle appelé paracétamol allait tout arranger…
Il s’allongea quelques instants. Il se sentait déjà mieux et sa peau avait repris son aspect habituel.
Il aurait oublié cet épisode, si le lendemain il n’avait pas été victime des mêmes symptômes. Penché sur son parquet, il avait aperçu un magnifique trou dans une des lattes.
Décidément le mal de la veille persistait. Ces plaques rouges sur tout le corps l’intriguaient beaucoup. La désignation de « grippe » est bien pratique pour caractériser tous les petits maux quotidiens, mais qu’est-ce que ces rougeurs pouvaient cacher ? Il pensa donc à la varicelle, la rubéole, la rougeole ou la scarlatine. Les deux premières sont plutôt associées à des boutons, quant à la scarlatine il l’avait eue à 7 ans et en principe il était vacciné contre la rougeole.
Alors que jusqu’à maintenant il avait bénéficié d’une santé insolente, le nombre de crises se multiplia : il en eut une, en mangeant un morceau de gruyère, une autre en introduisant sa clé dans la serrure, une autre en ajoutant des feuilles dans un classeur.
Il se bourrait d’antihistaminiques et d’antipyrétiques, les symptômes disparaissaient, puis d’une façon aléatoire réapparaissaient à l’occasion d’une nouvelle crise.
Il décida d’aller consulter son médecin.
Celui-ci l’écouta dubitatif.
Son diagnostic fut que son patient souffrait d’une allergie. Il en était d’autant plus persuadé que l’allergie est la maladie du siècle. Les allergènes sont partout : dans l’air, dans les aliments, dans les objets, les animaux, les plantes qui nous entourent.
Il ne cacha pas à son client que la recherche de l’allergène en cause serait longue et difficile d’autant que souvent c’est la conjonction de deux allergènes qui produit des troubles.
Ernest Pernet alla donc consulter un service spécialisé d’un hôpital de la ville.
Commença pour lui une longue batterie de tests. On lui colla sur le bras ou la poitrine des patchs contenant des substances connues comme allergisantes. Une liste impressionnante où figuraient, entre autres : poils de chat, cacahuète, pollens, lait, etc.
Au bout de plusieurs mois, aucun de ces allergènes n’avait réagi et pourtant les crises continuaient sans raison précise.
Il fut donc reçu par le médecin responsable du service, le professeur Jacques Emmanuel Vigier de la Rosanderie, spécialiste mondialement reconnu des allergies.
En se grattant la tête, tout en feuilletant le dossier d’Ernest Pernet, le professeur était à la fois ennuyé par cet échec des tests et émoustillé par un cas aussi particulier qui pourrait faire progresser la médecine, et par la même, lui permettre de publier dans la presse médicale.
Il conseilla donc à son patient de noter dans quelles conditions se produisait chacune de ses crises. Peut-être arriverait-on à trouver les points communs et à identifier l’allergène en cause ?
Ainsi pendant plus de deux mois Ernest Pernet nota soigneusement à quel moment de la journée la crise avait lieu et ce qu’il faisait. Il avait hâte de trouver la cause de cette fièvre et de ces rougeurs, car sa vie était devenue un véritable calvaire. Pour ne citer que les événements les plus caractéristiques, il lui était devenu impossible de boutonner ses chemises, son pantalon ou ses vestes. Il devait demander l’aide de sa femme. Il ne pouvait ouvrir une porte avec sa clé. Quand il passait des pâtes à travers une passoire, il devait s’arrêter au plus vite. Et la liste était impressionnante et diverse.
C’est donc en possession d’un épais dossier qu’il retourna à l’hôpital.
Le professeur Jacques Emmanuel Vigier de la Rosanderie passa son week-end à dépouiller les documents, en vain.
Il décida donc de consulter d’autres spécialistes de l’allergie.
Grâce à Internet il put recueillir les avis de médecins des quatre continents.
Ils émirent de nombreuses hypothèses : une action des rayons cosmiques ou de la radioactivité qui ne cessait pas de croître depuis ces dernières années, une maladie induite par un nouveau germe non encore identifié un prion par exemple, un effet du réchauffement climatique, des turbulences solaires, la pollution, etc.
Un grand découragement s’empara de l’éminent professeur. Mais en bon scientifique qu’il était, il se mit au travail.
Il avait déjà fait une série d’expériences, hélas toutes négatives quand il reçut un mail d’un collègue de l’Université de Pékin plus précisément de la BUCM (Beijing University of Chinese Medecine). Ce collègue, le professeur Xing Yi Quan émettait une hypothèse qui lui parut a priori absurde : l’allergie d’Ernest Pernet serait due à des trous.
Comme le professeur Jacques Emmanuel Vigier de la Rosanderie n’était pas un chercheur borné, mais plutôt un savant ouvert à toute nouvelle situation, il décida de la vérifier cette hypothèse.
Ernest Pernet fut hospitalisé dans son service. Pendant plusieurs jours on lui administra des antihistaminiques et des antipyrétiques. Il fut isolé dans une chambre stérile.
Le test que lui proposa le professeur était d’une simplicité enfantine. Une simple feuille de papier percé d’un trou de un centimètre fut proposée au regard du patient.
Alors il se passa la chose incroyable suivante : le visage de l’homme se couvrit progressivement de plaques rouges, la sueur coulait de son front indiqua : il débutait une crise.
Ernest Pernet s’étant allongé et ses symptômes traités, le professeur décida cinq heures après de procéder à une nouvelle expérience. Ainsi, si les réactions étaient les mêmes on ne pourrait pas parler de coïncidence.
Cette fois-ci une raquette de tennis fut présentée au malade. La même crise se déclara. Les choses étaient probantes : le professeur Jacques Emmanuel Vigier de la Rosanderie venait de découvrir la cause de l’allergie d’Ernest Pernet !
Il en fit part immédiatement au professeur Xing Yi Quan. Et les deux hommes décidèrent de publier ensemble un article sur cette nouvelle et mystérieuse maladie. Elle fut baptisée la maladie de RosandrieQuan venant ainsi étoffer la liste de ces maladies orphelines découvertes qui assaillent le genre humain.
Mais pour les deux médecins, ainsi que pour les autres spécialistes mondiaux se posaient de nouvelles questions. Certes les trous étaient responsables de l’allergie d’Ernest Pernet, mais ils restaient à déterminer comment cet « allergène » déclenchait les crises, puis comment traiter et guérir la maladie de RosandrieQuan. En outre pourquoi d’autres cas n’ont pas été détectés ?
Ernest Pernet fut content d’apprendre que la cause de sa maladie avait été découverte, mais son martyre n’était pas terminé pour autant ! Les trous sont partout dans notre environnement. Paradoxalement le professeur Jacques Emmanuel Vigier de la Rosanderie avait découvert que la taille intervenait dans le déclenchement, au-delà de 2 cm ils ne produisaient aucun effet.
Les plus éminents microbiologistes furent consultés, ils ne découvrirent aucun germe même infiniment petit dans les ponctions du corps d’Ernest Pernet. Il fallut se tourner vers d’autres pistes. On dut se résoudre à explorer la piste psychosomatique. Le professeur fut un peu déçu de ne pas avoir trouvé une cause plus matérielle aux troubles de son patient. Il se tourna donc vers un grand ponte de la médecine psychiatrique le professeur Herbert Von Ebenstreit, officiant à la Faculté de médecine, Jean Calvin, de Genève.
Ce dernier fut enthousiasmé par ce cas qu’on lui soumettait. Cela le changerait de sa routine : les anorexiques, les boulimiques, les dépressifs, les tocs, les pervers, les serials killers, etc. Un sujet victime de troubles psychosomatiques à la vue de trous, voilà une étude digne d’un homme de sa qualité.
Malgré sa qualité et de nombreuses séances Herbert Von Ebenstreit ne put détecter la cause de la maladie d’Ernest Pernet. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir exploré toute l’enfance de son malade et même les vies de son père et sa mère. Il n’eut pas plus de succès dans sa vie d’adulte. Aucun traumatisme ne pouvait expliquer son allergie aux trous. D’ailleurs loin de modérer les réactions à ces derniers, ces séances quotidiennes ne faisaient que les renforcer. Il suffisait qu’on en parle pour qu’Ernest Pernet se sente mal. Ces proches surveillaient leur langage, des expressions telles que : « trou normand, trou de souris, trou de mémoire, trou noir, trou de la sécurité sociale, etc. » étaient proscrites. Le CD sur lequel figure « Le poinçonneur des Lilas » fut jeté à la poubelle. Sa femme avait réaménagé leur appartement de façon que son mari puisse vivre dans un univers « lisse ». Il restait l’extérieur… incontrôlable.
Devant cet échec patent, le professeur Herbert Von Ebenstreit devenait de plus en plus nerveux et stressé ce qui est un comble pour une sommité prétendant guérir les maux des autres.
Son enthousiasme du début s’étant passablement émoussé, chaque séance maintenant lui pesait. Ayant trouvé sur un buffet de son malade une pierre métallique (une météorite trouvée au sommet du Puy-de-Dôme lui avait dit Ernest Pernet), il la triturait nerveusement dans ses mains, en interrogeant et en écoutant son « cas ».
Ce fut l’effondrement total quand un jour rentrant chez lui, au moment d’introduire sa clé dans la porte, il fut pris d’une suée subite. Se précipitant devant une glace, les plaques rouges qui apparaissaient sur son visage ne laissaient aucun doute : il était atteint par la maladie de RosandrieQuan !
En examinant son éminent collègue, le professeur Jacques Emmanuel Vigier de la Rosanderie n’était pas mécontent de reprendre la main.
Deux cas n’entrainent pas une pandémie, mais les autorités commencèrent à inquiéter, d’autant qu’aucune piste sérieuse n’avait abouti.
Ces bizarreries se terminèrent aussi mystérieusement qu’elles avaient commencé.
Un jour Ernest Pernet téléphona au professeur Jacques Emmanuel Vigier de la Rosanderie.
Les trous ne lui produisaient plus aucun trouble. Il ne comprenait pas pourquoi. Peut-être est-ce la peur qu’il avait eue cette nuit ? Un bruit l’avait réveillé. Arrivé dans le salon il avait vu la fenêtre ouverte, il lui avait semblé voir dans le ciel comme un disque lumineux disparaître dans la nuit. Des cambrioleurs ? Rien n’avait disparu sauf cette pierre métallique sans aucune valeur…
Quand la réalité rejoint la fiction !
Trypophobie (phobie des trous) : traitements et origine de la peur des petits trous
https://www.medisite.fr/trypophobie-phobie-des-trous-traitements-et-origine-de-la-peur-des-petits-trous.5555019..html?xtor=ES-80-%5BMedisite_Soir%5D-20201205-%5BtestA%5D&tgu=RepxoJ
Ah ! « le trou » restera toujours aussi inspirant, mystérieux, inquiétant et toujours là.
Tellement à écrire sur le trou, le trou noir, le trou vide (c’est le pire de tous), le trou paumé dans la campagne, le trou de l’aiguille par lequel on peut faire passer un chameau, le trou de basse fosse, le trou de mémoire.
Et je ne te parle même pas des simples troubadours que nous voulons être.
Merci, Loki, pour cette autre nouvelle réjouissante pour laquelle j’aimerais bien trouver une fin plus « elliptique » que ce vieux caillou (était-il troué, d’ailleurs, ce caillou ?), mais l’idée ne me vient pas.
Cher Hermano !
C’est vrai que « le trou » peut être un vaste sujet d’inspiration qui peut aller de l’érotisme le plus hard à l’astrophysique la plus pointue.
Je souhaite que ce sujet puisse créer des émules sur ce site. Peut-être que nos « poètes » y trouveront matière à créer…
Si tu te sens en verve pour trouver une fin moins « elliptique » je suis preneur. On est plus intelligents à plusieurs…
Merci, Loki, pour cette autre nouvelle réjouissante pour laquelle j’aimerais bien trouver une fin plus “elliptique” que ce vieux caillou (était-il troué, d’ailleurs, ce caillou ?), mais l’idée ne me vient pas.
Est-ce que l’idée t’est-elle venue ?