Il n’y a pas de hasard. Il n’y a que ce qui doit arriver et qui, à cause de nous, arrive ou n’arrive pas.

De Michel Chevrier / Un bleu éblouissant

Auteur québécois

François habitait Brest, Claire aussi.

Ils avaient déjà cela en commun.

François avait un an de plus que Claire. Ils avaient quasiment le même âge.

Ils avaient été élèves au lycée Harteloire. Claire était en seconde quand François était en première.

Leurs goûts, leurs préoccupations tout était susceptible de les réunir.

D’aucuns auraient dit quel beau couple !

Ils avaient dû se croiser dans les couloirs. Ils auraient pu faire connaissance et pourtant rien ne s’était produit.

Le hasard n’était pas intervenu, bien que manifestement le destin les prédestinait l’un à l’autre.

La vie dans sa malignité avait fait qu’à l’issue de leurs études ils trouvent un emploi dans la même banque, la Société Générale. François travaillait au service de la gestion des titres et Claire au contrôle des flux financiers.

Vous êtes sans doute comme moi, vous pensez que c’était un signe du destin ! Avec cette unité de lieu et de temps, une union était inévitable. Eh bien non !

Pourtant Claire était une jeune fille blonde au visage régulier, aux yeux bleus, aux formes harmonieuses et pleine de joie. Elle était plus que belle, ravissante…

François aux origines espagnoles était un grand garçon athlétique, les cheveux couleur jais, les yeux noirs, le visage viril. Tout l’aspect d’un hidalgo à même de faire craquer la gent féminine.

Il faut laisser le temps au temps.

 Un premier été, Claire décida de passer un week-end à Nice.

Est-ce vraiment une coïncidence ?

François eut la même idée, le même week-end…

Ils ne retinrent pas une chambre dans le même hôtel, mais ceux-ci donnaient tous deux sur la promenade des Anglais.

Le temps était très beau.

Le samedi à 11h32 Claire décida de se promener le long de la mer.

À 11h45, François sortit de son hôtel.

Que la mer était belle !

À 11h50, François croisa Claire.

Ce fut le coup de foudre !

Cette expression n’est pas qu’une image.

Le jeune homme se sentit comme traversé par une vague de feu.

Ce n’était pas une impression passagère, il eut la certitude que sa vie venait de basculer, cette jeune femme était celle qu’il attendait depuis longtemps, sans le savoir.

Le destin est malicieux ! Il l’avait croisée de nombreuses fois sans que rien se passe. Aujourd’hui quelque chose de fort se produisait.

Claire avait-elle eu la même réaction ? François se retourna et vit que la jeune fille elle aussi s’était retournée.

Elle s’appuya sur la rambarde en faisant semblant de regarder la mer. Lui, ayant perdu toute timidité, revint sur ses pas.

Il prononça alors une de ces phrases stupides que l’on dit dans ces cas-là.

  • La mer est belle aujourd’hui, ne trouvez-vous pas mademoiselle ?

Claire visiblement troublée répondit par une phrase aussi stupide.

  • Oui ! Mais la brise est encore froide !

On sentait bien qu’une chose aller se nouer, trop de temps s’était écoulé, l’instant était venu…

Et pourtant non !

Derrière le couple retentit un grand choc, suivi d’un grand cri. Une voiture venait de renverser un cycliste qui gisait sur la chaussée.

Déjà les passants s’attroupaient.

François qui avait passé un brevet de secourisme se précipita sur l’homme affalé et inanimé sur la chaussée. Il commença à lui pratiquer des massages cardiaques avec ses deux poings.

Au loin les sirènes des pompiers et de la police retentirent ! Malgré les massages le cycliste ne revenait pas à lui.

Les secours furent rapidement sur place et François fut remplacé par les sauveteurs qui appliquèrent sur la bouche de la victime un masque à oxygène. Elle fut embarquée rapidement dans une ambulance.

François hébété chercha du regard Claire et ne la vit pas au milieu des badauds agglutinés …

Puis la vie continua.

Claire épousa un marin avec qui elle eut trois enfants. La vie de femme de marin est bien perturbée, rythmée par les séjours en mer de son mari. Malheureusement une tempête ayant fait couler son bateau, il ne revint pas d’un de ses voyages.

François, après de nombreuses conquêtes, épousa la fille du notaire. Beau-papa fit entrer son gendre dans l’étude. Ils n’eurent pas d’enfants, car François était stérile. Le couple mena une vie bourgeoise qui fut abrégée par une leucémie fulgurante de la femme de François. Tout aurait pu se terminer pour ces vies somme toute ordinaires comme des millions d’autres.

***

Le temps était magnifique.

Contrairement à la réputation qu’on lui a faite, il peut y avoir des journées superbes à Brest.

Claire âgée de 78 ans marchait encore beaucoup malgré ses douleurs persistantes dues à l’arthrose.

Elle remplissait ses journées pleines de solitude en se promenant dans les différents quartiers de Brest. Ce jour-là, elle décida d’aller s’asseoir au square de Bazeilles. Assise sur un banc, elle aimait regarder les enfants jouer dans les aires de jeu.

François âgé de 79 ans menait une retraite paisible, regardant beaucoup la télévision.

Il habitait non loin du square de Bazeilles et ce jour-là l’idée lui vint d’aller faire un tour pour se dégourdir les jambes.

Il traversa le square pour aller en direction du pont de la Recouvrance.

Il décida de faire une étape et de s’asseoir quelques minutes.

Nous étions un mercredi et en cette heure de la journée le square était plein, remplit des cris joyeux des enfants.

Pas un banc de libre !

Malgré tout, il repéra un banc où seulement une femme était assise. Il lui demanda poliment l’autorisation de s’asseoir à côté d’elle.

Cela avait été long, très long…

Il n’y a pas de hasard. Il n’y a que ce qui doit arriver et qui, à cause de nous, arrive ou n’arrive pas.

Ce jour-là, le moment était arrivé…