Le pin tremble, mais ce n’est pas le vent de la mer qui fait remuer ses aiguilles.

Il tremble, car il a senti l’appui du pitey sur son écorce.

Cette peur lui vient du plus profond de ses cellules, de la pomme de pin qui a engendré le tronc magnifique sur lequel le gemmeur a posé sa jambe de bois flanquée de cale-pieds.

Il sait à quoi correspond cet appui, c’est un souvenir ancestral établi entre les hommes et la forêt.

Cette forêt n’est pas muette, les pins s’avertissent, entre eux, par leurs racines de l’imminence des dangers.

Déjà le gemmeur a grimpé sur son pitey et commence à percer avec son hapchot les canaux conducteurs de l’arbre.

La souffrance du végétal commence.

Pour réagir à l’agression, l’arbre sécrète la gemme destinée à la cicatrisation.

Il sent une partie de sa vie s’écouler.

Puis, les hommes viendront prélever, dans la care, le « sang » de la victime pour l’emporter avec d’autres saignées, dans une usine où d’autres hommes en tireront de nombreuses substances dont l’essence de térébenthine.

Une pratique reculée qui pourrait clore notre récit.

Mais cela ne sera pas le cas aujourd’hui.

L’essence de térébenthine extraite de la gemme de notre arbre aurait pu comme toutes les essences de térébenthine servir de solvant à un peintre.

Tel n’était pas son destin ! Il advint qu’une bouteille fut achetée par un de ces rares désaxés qui habitent la belle forêt des Landes.

On ne peut qu’aimer cet immense massif, fruit du travail des hommes. Tous ses habitants vénèrent ce trésor végétal, résultat du combat des Landais sur une nature rude et hostile.

Le désaxé, enfant du pays, lui aussi aimait cette forêt, mais ses pulsions étaient plus fortes. Depuis son enfance le feu le fascinait.

Pompier volontaire il était le premier, à se précipiter pour éteindre les incendies et n’hésitait pas à prendre tous les risques pour lutter contre les flammes.

Il aimait tellement le feu, qu’il décida un jour d’allumer lui-même un incendie.

Malgré l’irrationalité de ses pulsions, il savait que les auteurs d’incendie pouvaient être identifiés par la nature des combustibles qu’ils utilisaient.

Aussi quel meilleur liquide pour démarrer un feu que l’essence de térébenthine fruit des arbres de la forêt ?

La bouteille vidée sur le tapis d’aiguilles s’enflamma instantanément sous l’action de la flamme d’un briquet. Les broussailles alentour n’attendaient que cela pour propager l’incendie qui gagna les pins.

Le désaxé remonta prestement sur son vélo, il pédala rapidement. Il fallait qu’il soit au plus vite à la caserne pour éteindre l’incendie.

Les flammes arrivèrent au pied de notre pin, il avait donné son « sang » et mourait à cause de son « sang ».