On se pense insubmersible et éternel ! C’est ce que pensait Jacques, un père de famille âgé de 40 ans qui menait une vie tranquille entre sa femme et ses deux enfants.

Il n’avait jamais eu de problèmes de santé, il pratiquait des activités physiques régulières. Il ne faisait pas d’excès de table et buvait très peu.

Pourtant, un jour en pleine rue, il s’écroula ! Il ne dut sa vie qu’à l’intervention d’un passant qui lui pratiqua un massage cardiaque et aux pompiers qui le transportèrent rapidement dans l’hôpital le plus proche.

Victime d’un infarctus ! Pourtant rien ne présageait cet accident cardiaque.

Il fut alors suivi périodiquement et pris régulièrement une série de médicaments destinés à éviter une récidive.

Malgré ce traitement, les médecins constatèrent que son cœur se détériorait peu à peu et qu’il mourrait bientôt, s’il ne

subissait pas une transplantation cardiaque.

Il s’affaiblissait chaque jour et l’angoisse croissait avec l’attente d’un cœur à greffer.

 Il faut dire qu’ils étaient nombreux sur la liste. Les greffons étaient rares et il fallait en plus que ceux-ci soient compatibles avec le receveur.

Bientôt Jacques ne fut plus que l’ombre de lui-même. Il s’affaiblissait un peu plus chaque jour !

L’espoir s’amenuisait, sa femme et sa famille se préparaient à une fin inéluctable…

Ils vivaient évidemment cela comme une injustice !

Jacques était de caractère égal, tout le monde reconnaissait qu’il était sympathique, très calme et très attentionné.

Sa femme ne cessait de répéter, sans doute injustement : quand je vois tous ces malfaisants que la maladie épargne et mon Jacques va mourir ! 

Mais un miracle se produisit. En pleine nuit, un appel téléphonique retentit, c’était l’hôpital, où il était suivi régulièrement qui avertissait qu’un greffon compatible était disponible. On envoyait une ambulance le chercher.

Quand il arriva à l’hôpital, les chirurgiens dans le bloc opératoire étaient déjà opérationnels.

Sa femme qui l’avait accompagné le vit partir, anxieuse, mais pleine d’espoir sur un brancard.

On l’endormit rapidement. Le chirurgien pratiqua une incision au niveau du thorax puis procéda à la découpe du sternum pour accéder au cœur.

Les vaisseaux sanguins du cœur furent reliés à un appareil de circulation extracorporelle, qui fera circuler le sang dans l’organisme pendant l’opération.

Une fois l’appareil en marche, on retira le cœur de la poitrine de Jacques.

En parallèle dans un autre département français une course de vitesse débuta.

Le cœur d’un donneur, après accord de la famille, était prélevé rapidement, car si le greffon n’est plus perfusé il se détériore inexorablement. Pour prévenir les lésions, le cœur est arrêté, refroidi et conservé dans un liquide à 4°C pour son transport.

Dans la cour de l’hôpital, une moto, le moteur en marche, attendait.

Un médecin muni d’une boîte hermétique et réfrigérée enfila un casque et monta derrière le conducteur. L’engin démarra et se rendit à vive allure à la sortie de la ville où un hélicoptère attendait.
Il décolla immédiatement.

Après une vingtaine de minutes, il arriva à destination et se posa dans la cour de l’hôpital où Jacques était hospitalisé.

 Le médecin muni de son précieux chargement se précipita vers la salle d’opération.

Pas une minute ne fut perdue, l’équipe connaissait les démarches à suivre et l’opération de la greffe du cœur débuta.

Les chirurgiens relièrent alors le cœur du donneur aux principaux vaisseaux et aux tissus cardiaques restants du patient.

Comme le nouveau cœur ne se remettait pas à battre automatiquement, les chirurgiens appliquèrent une petite impulsion électrique pour le mettre en marche.

Toutes les incisions furent ensuite refermées.

Dans la salle d’attente, la femme de Jacques qui avait attendu de longues heures se leva précipitamment quand un chirurgien arriva.

  • Madame, l’opération est terminée, et tout s’est parfaitement passé, votre mari est sauvé ! Mais il demeurera à l’unité de soins intensifs jusqu’à ce que son état permette de le transférer dans une chambre de soins ordinaires.
  • Merci docteur, je ne sais comment vous remercier ?
  • Nous n’avons pas besoin de remerciement, madame, nous ne faisons que notre métier… Mais tout n’est pas encore terminé ! Après l’opération et pour le reste de sa vie, votre mari devra prendre des médicaments antirejet. Ils ont pour but de prévenir le rejet du greffon par le système immunitaire de votre mari.
  • Vous lui avez sauvé la vie, docteur, je connais la volonté de Jacques, il est prêt à tous les sacrifices, la mort a été trop proche !
  • Madame, je ne veux pas vous décourager, mais la vie d’un greffé n’est pas un long fleuve tranquille ! Il aura bien besoin de courage et de volonté, car le traitement est long et parfois douloureux ! Car de nombreuses complications peuvent se produire. 

Voyant le visage de la femme de Jacques se décomposer, le chirurgien lui prit le bras.

  • Mais madame, rassurez-vous, avec les progrès de la médecine, dans les techniques de la greffe du cœur, les complications sont de plus en plus rares, mais en tant que médecin c’est de mon devoir de vous prévenir…

***

Après être sorti de réanimation, Jacques resta encore 2 à 3 semaines en hospitalisation dans le service de chirurgie cardiaque avant d’aller en maison de convalescence. Ce n’est environ que 2 mois après la transplantation qu’il put regagner son domicile.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, malgré le traitement contraignant qu’il était obligé de suivre. Jacques avait retrouvé l’espoir. Certes il ne pourrait sans doute pas reprendre son travail avant longtemps, mais il appréciait mieux qu’avant les petits plaisirs de la vie.

Apparemment, Jacques était redevenu tel qu’il était avant d’avoir ses problèmes cardiaques.

Mais ce n’était qu’en apparence !

Son entourage s’aperçut de petits changements dans son comportement.

Jacques, qui avait été toujours d’humeur égale devint irritable. Sa femme mit ce changement de caractère comme une conséquence de son traitement vraiment contraignant.

D’autres signes, apparemment imperceptibles, l’intriguèrent.

Ainsi un jour, sa femme lui servit une soupe au potiron pour lui faire plaisir, car elle savait qu’il l’adorait.

Ayant porté sa première cuillère dans la bouche, Jacques s’exclama : mais c’est dégueulasse !

  • Mais Jacques, tu adores la soupe au potiron d’habitude !

Grognon il répondit :

  • Dorénavant, tu sauras que je déteste la soupe au potiron !

Jacques était un grand amateur de musique classique. Sa femme fut étonnée quand un jour il s’enferma dans son bureau et passa l’après-midi à écouter du rap.

Lui, qui avait toujours été attentionné et délicat avec sa femme devint brutal. Elle appréhendait maintenant les câlins au lit, qui n’avait plus rien de câlin…

Le « Jacques » qu’elle connaissait avant l’opération n’était plus le même homme. Il se mettait en colère pour un rien. La situation empirait.

Un jour il leva, sa main sur elle. Elle fut soufflée, elle n’aurait jamais imaginé que son mari puisse le faire.

Mais devant les épreuves que Jacques avait subies, et qu’il subissait encore, elle pardonna ce geste malheureux.

Elle était prête à tout pardonner, en pensant, qu’avec le temps les effets du traitement, s’estomperaient.

Un drame mit fin à ses espoirs.

Jacques qui pourtant ne buvait pas avant son opération avait bu un soir plusieurs verres de whisky. L’alcool était pourtant interdit avec son traitement. Alors une dispute démarra pour des choses futiles. Hors de lui, il se précipita sur sa femme et voulut l’étrangler.

Elle réussit à se dégager, ouvrit la porte de l’appartement et alla frapper à la porte des voisins. Elle se réfugia chez eux.

La police intervint et Jacques complètement déchaîné fut appréhendé et arrêté.

Le médecin qui l’examina dans les locaux de la Police, diagnostiqua un phénomène de démence et demanda qu’il soit emmené dans un service psychiatrique.

***

Le professeur Ackerman, chef de l’équipe qui avait opéré Jacques, demanda à sa femme de venir dans son bureau.

  • Madame, j’ai appris ce qui était arrivé à votre mari ! Je suis désolé pour vous, mais ce sont des choses qui arrivent. Ce cas est extrêmement rare. Mais les effets d’une greffe ne sont pas seulement physiologiques, des études ont montré qu’elle pouvait avoir des effets psychologiques inattendus. Ces effets ne sont pas la résultante des médicaments antirejet pris par le malade, mais des effets cellulaires imprévisibles.
  • Des chercheurs ont émis l’hypothèse que ces changements pourraient être en rapport avec un transfert cellulaire au niveau de la mémoire organique depuis les donneurs jusqu’aux receveurs. Les personnes greffées du cœur ne sembleraient pas être les seules sujettes à des changements au niveau de leur personnalité, ce phénomène a été observé sur la greffe d’autres organes…
  • Mais qui était le donneur de mon mari ?
  • Madame, en France, l’identité du donneur est cachée pour des raisons éthiques, mais devant la gravité de l’état de votre mari, j’ai pris initiative de trouver, par des moyens que je ne vous indiquerai pas, l’identité du donneur.
  • Qui est-il ?
  • Le donneur est un terroriste violent, multirécidiviste qui a été abattu par la police alors qu’il tentait de commettre un attentat !