Le samedi 23 février 2019, Etienne Demarcel, préfet de la Corrèze, avait demandé la fermeture du tunnel routier gérant l’accès entre le village de Thiais et le village voisin de Brézac. Durant la nuit précédente, une bande de Roms avait dérobé une partie des câbles, privant ainsi le tunnel d’électricité.
On était lundi matin, la liaison n’était toujours pas rétablie et il avait neigé toute la nuit.
Bonnemazou, le directeur de l’école de Thiais, s’inquiétait pour les enfants qui ne pourraient pas rejoindre l’école depuis le hameau de Brézac, de l’autre côté de la colline.
À 8h45, il reçut un coup de fil annonçant que six enfants étaient en route. Accompagnés par Pascal Bost, un gendarme de quarante-trois ans, ils allaient tenter, malgré la neige et en espérant que l’électricité serait rétablie dans la journée, de gagner leur école en franchissant les cinq kilomètres qui séparaient leur village de celui de Thiais.
Bost avait pensé suivre le sentier de grande randonnée jusqu’à la crête, puis bifurquer vers la droite par un chemin qu’il connaissait.
Au bout de 2h30 de marche, le gendarme se sentit aussi épuisé que Scott au retour du Pôle sud. Il dut se rendre à l’évidence, il ne reconnaissait plus son chemin, il était bel et bien perdu avec les six enfants qui eux aussi étaient fatigués et qui, surtout, avaient froid. Il essaya sans succès d’alerter la brigade : son téléphone portable ne captait rien.
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Alors, il demanda aux enfants de se regrouper autour de lui et de chanter. Ce qu’ils firent, à gorge déployée, pour tuer leur inquiétude.
Au village de Thiais, l’angoisse montait, d’autant que la tempête de neige avait repris. Les parents avertis étaient dans le plus grand désarroi. Vers 14 heures, on envoya une première équipe de secours qui revint à la nuit sans ramener quiconque. Les recherches continuèrent avec des effectifs de plus en plus importants, mais elles furent ralenties par les intempéries.
C’est ainsi que deux jours plus tard, le mercredi matin, les sauveteurs retrouvèrent la macabre chorale de corps glacés et sans vie. Ils avaient chanté, à tue-tête, jusqu’à l’épuisement et restaient maintenant soudés dans le même bloc de glace.
Cette année, les populations de Thiais et du village voisin – d’où étaient partis les malheureux enfants – ont décidé de commémorer l’anniversaire de cet événement dramatique.
Pour cela, une statue a été érigée et inaugurée dimanche dernier. Réalisée par un artiste local, elle représente une mère, la mère qui attendra toujours ses enfants, tournée vers la colline, tournée vers la forêt de mélèzes dont ils ne sortirent jamais.
Ils l’ont appelée « La femme qui attend dans la neige ».
Pour ceux qui trouvent que c’est trop triste et pour ceux qui ont toujours eu confiance en la présence d’esprit des gendarmes :
Rewind…**
Le temps passait et l’angoisse montait autant chez Bost que chez les enfants dont certains pleuraient. Il faisait si froid que les larmes gelaient sur les joues. Dans les villages alentours, où l’alerte avait déjà été donnée, les habitants étaient morts d’inquiétude. On préparait des battues mais le mauvais temps était revenu.
Le gendarme connaissait bien Bonnemazou, l’instituteur, amateur comme lui de bonne chère et de bon vin, dans ce pays où l’on ne redoute pas quelques agapes. Dans son sac à dos, il lui ramenait un cubitainer. Plein, bien sûr !
Il eut alors l’idée, pour réchauffer les enfants, de les faire boire à même le cubitainer le vin qu’il transportait. Il se réchauffa lui aussi de la même manière, si bien qu’on ne sait comment, mais la petite troupe arriva deux heures plus tard à Thiais, au grand soulagement de tous, en zigzagant, en chantant à tue-tête et en tirant toutes les sonnettes. Ils furent acclamés par la population.
Le préfet a proposé le gendarme à l’Ordre du Mérite.
C’est vraiment chouette cette nouvelle, avec deux fins possibles offertes au lecteur !
Moi qui suis un grand sensible, je préfère la seconde. En plus elle est pleine d’humour, nous en manquons tellement à notre époque où les pisse-vinaigre imbus de leurs pseudos grandes idées font la loi dans les médias. Evidemment pour moi le pragmatique que je suis, je pense que l’instituteur aurait dû apporter une fiasque de rhum, c’est moins lourd qu’un Cubitainer, mais cela serait moins drôle. En plus cela aide nos viticulteurs…
D’ailleurs le préfet n’aurait-il pas dû proposer le gendarme à l’ordre du mérite agricole ?
Merci pour cette histoire inspirante, bien écrite et d’une manière presque détachée.
J’aime cette bifurcation que tu nous offres à la fin. À tel point que je ne pouvais empêcher mon imagination à prendre une autre route :
… Les recherches continuèrent avec des effectifs de plus en plus importants, mais elles furent ralenties par les intempéries.
Et ainsi, après deux semaines, on arrêta la recherche.
Cependant, l’une des mères continua d’attendre ses fils jumeaux, jour après jour.
Elle attendit ses enfants, tournée vers la colline, tournée vers la forêt de mélèzes.
Elle refusa la nourriture que les villageois lui apportaient. De temps en temps, elle se penchait et buvait quelques gouttes d’eau du ruisseau qui cheminait doucement près d’elle.
Elle devint connue comme « La femme qui attend dans la neige ».
Quand enfin l’un des jumeaux arriva portant un seau, la mère faillit s’évanouir d’incrédulité et de joie. Elle se frotta les yeux plusieurs fois, se précipita vers son fils, l’étreignit et lui demanda où était son frère jumeau.
– Mais maman, pourquoi es-tu si contrariée ? On passe quelques jours avec les sept nains qui vont fêter Noël, c’est tout.
– Oh, mon petit, c’est déjà le printemps ! Nous sommes le 23 mars ! Et vous êtes partis depuis le 23 février !
– Les Sept Nains n’ont ni horloges ni calendriers.
– Comment savent-ils alors que c’est Noël ?
– Ils le ressentent lorsqu’ils remarquent qu’ils ont besoin d’un bain.
– Mais comment remarquent-ils qu’ils ont besoin d’un bain ?
– Leur peau commence à démanger et ils commencent à sentir mauvais. Quoi qu’il en soit, je dois y retourner. Ils m’ont envoyé chercher un seau d’eau. Leur baignoire n’est pas encore pleine.
– Mon Dieu ! Où est le gendarme Bost ? J’ai besoin d’explications.
– Il essaie de réveiller Blanche-Neige, très doucement. Il ne souhaite pas être dérangé.
Le garçon remplit son seau au ruisseau et de nouveau disparut dans la forêt.
Le gendarme Bost essaie de réveiller Blanche-Neige
Merci Loki, d’avoir aimé cette fin à tiroir. Quoique pragmatique, tu as peut-être lu trop vite et tu n’as pas noté que c’était le gendarme et non l’instituteur qui portait le cubitainer…
Je vois que tu as préféré la chute plus « gauloise » mais tu peux, comme Purana, en inventer une autre, « épique », « fantastique », « romantique », « poétique », « politique », etc… et laisser ainsi la bride sur le cou à ta créativité naturelle.
Merci Purana pour cette troisième fin que j’ai beaucoup aimée lire, à la manière d’un conte qui devient joyeux après un passage d’angoisse.
Je retiens particulièrement la phrase de conclusion « Le garçon remplit son seau au ruisseau et de nouveau disparut dans la forêt » qui laisse l’histoire en suspens et nous lance encore dans l’imaginaire et le merveilleux.
Une autre fin !
Alors, il demanda aux enfants de se regrouper autour de lui et de chanter. Ce qu’ils firent, à gorge déployée, pour tuer leur inquiétude.
Mais il y avait dans le groupe le petit Martin qui chantait comme un casserole. Il advint ce qui devait arriver, la pluie se mit à tomber en abondance et fit fondre la neige. D’aucuns iront imputer ce changement brusque du temps au réchauffement climatique, mais ayant consulté un bon ami, Donald, que j’ai aux Amériques, il m’a affirmé que c’était impossible.
La petite troupe arriva deux heures plus tard à Thiais le petit Martin en tête, au grand soulagement de tous, en chantant à tue-tête et en tirant toutes les sonnettes. Ils furent acclamés par la population.
Le gendarme connaissait bien Bonnemazou, l’instituteur, amateur comme lui de bonne chère et de bon vin, dans ce pays où l’on ne redoute pas quelques agapes. Dans son sac à dos, il lui ramenait un cubitainer. Plein, bien sûr parce qu’il n’en avait pas eu besoin. Heureusement, car ces petits salopiots auraient tout bu et n’en n’auraient pas la laissé à la maréchaussée et au serviteur de l’Education nationale !
Merci Loki !
Ah ! Tu me rassures ! moi qui croyais que tu les aurais perdus dans l’espace-temps et qu’ils se seraient retrouvés à Thiais, sur une plage bordée de cocotiers (coco-Thiais) d’où dépassait seulement un bout de l’Arche de la Défense et où, modernes Robinsons dirigés par le gendarme Bost, ils se seraient mis à construire des cabanes et à manger des bananes en attendant une improbable voile,