Quand je me réveille ce matin là, je prends le temps de m’étirer et de faire des mouvements d’assouplissement  dans mon lit comme d’habitude. Mon prof de Taïchi me l’a vivement recommandé. Et il est vrai que depuis quelques années, je me rouille un peu, et cet exercice matinal est plutôt efficace. Je saute ensuite du lit en pleine forme, prête à attaquer une nouvelle journée, pleine de vie, de petits plaisirs et de quelques obligations. En effet, aujourd’hui, nous faisons nos valises pour nous rendre au bord de la mer où  nos enfants nous attendent pour la fête des mères.

J’écoute les bruits dans la maison, mais curieusement ce matin on entendrait une mouche voler. Mon compagnon et notre chienne se manifestent pourtant toujours lorsque je me lève et  me font la fête chacun à leur façon…une étreinte affectueuse, un museau frais qui me taquine la main et me voilà bien accueillie tous les matins.

Aujourd’hui nous partons ! Sont-ils allés se promener tôt ce matin, sans me laisser un mot? Curieux. Ce n’est pas habituel.

Je prends donc mon petit déjeuner tranquillement, en passant en revue les derniers préparatifs à faire avant de partir, les valises étant quasi bouclées. Je consulte régulièrement mon téléphone, scrutant ma messagerie,

Je suis maintenant un peu agacée car il est bientôt dix heures, aucun message, ni personne à l’horizon. Nous allons être très en retard pour prendre la route, quelle histoire ! Après quelques nouveaux exercices apaisants, je refuse de m’inquiéter. Je vais prendre mon mal en patience, rien ne sert de s’énerver, une surprise familiale doit être en préparation…Un petit sourire aux lèvres, je m’installe donc dans le canapé, après avoir disposé tous nos bagages près de l’entrée, afin de charger la voiture dès le retour de mes compagnons. 

Au lieu de « bader », je décide de poursuivre la lecture d’un roman policier que je viens de commencer la veille. Les personnages et l’intrigue  sont bien campés, un crime sordide en huis clos, à l’anglaise, l’enquêteur –se, une inspectrice astucieuse, munie d’un acolyte qui a un « crush » pour elle, et un premier-e suspect-e charmant-e. Une histoire de genre. Ne « dégenrons » personne surtout, m’amusais-je intérieurement, amusée par les polémiques actuelles sur le sujet… A la page 30, l’enquête suit donc son cours, sans rire comme moi sur le changement de sexe des anges… Et d’autres évènements se profilent. Je commence à adorer ce polar très actuel, quand, sous prétexte d’une incursion virtuelle d’un personnage, celui-ci conduit l’intrigue vers le « métaverse ».

Mais je m’interromps,  quand tournant une page et en profitant pour jeter un œil  amusé alentours, mon regard est soudain attiré par un mouvement bref dans le jardin. Une forme vient de passer tel un feu follet orange sur la terrasse.

Bizarre, bizarre, qu’est ce donc ? Je m’incline pour mieux voir dehors…non, ce n’est ni un hologramme, ni mon chat gris, ni le greffier jaune du voisin nationaliste, ni un gentil écureuil d’ailleurs, comme il en vient parfois dans les arbres environnants. Ce n’est pas ma chienne, noire, non plus, ni mon mari, qui n’a pas de T-shirt orange à ma connaissance! Quel n’est pas mon étonnement que de distinguer, en plein conciliabule, posés sur la branche basse d’un des grands pins de mon jardin, trois drôles d’enfants -oiseaux accoutrés de plumes chatoyantes et d’étranges bonnets pointus orange. J’entends des gloussements et des rires étouffés. Ils ont l’air de bien s’amuser.  Je me plaque du mieux que je peux contre le mur du salon, pour me dissimuler et les observer.

Je les vois s’emparer de pommes de pins et se les lancer mutuellement en riant. Mais une grande silhouette fait soudain irruption dans le jardin et les enfants -oiseaux s’égaient en sautant dans un arbre voisin. Le nouvel arrivant semble fort occupé à scruter mon parterre de fleurs. Il s’empare d’un drôle d’outil sorti de sa poche ventrale. Je le soupçonne de s’apprêter à pratiquer une approche mimétique d’un bulbe angélique. Ce troll –à ce qu’il semble- est très absorbé par sa curieuse tâche, armé d’un pot de fleurs.

Il tourne alors vers moi son corps massif et me fait un clin d’œil appuyé. Les enfants, coiffés de leur merveilleux plumage sautent sur la terrasse, la porte d’entrée s’ouvre à la volée, laissant entrer en trombe, une grosse boule de poils noirs WOUAF qui me saute dessus et  les trois faces hilares de mes grands enfants qui me sautent au cou :

Bonne fête maman ! claironnent ils à l’unisson!

Le  roman policier  «  Ghosting » qui n’amuse que moi, s’envole de mes mains et de toutes ses feuilles et j’éclate de rire à mon tour,  jetant un œil apitoyé à nos valises.

 

Nota : les mots entre guillemets sont des néologismes, nouveaux mots entrés dans le dictionnaire  version 2024 du Petit Robert.