Le passé, le présent, le futur sont des idées qui concernent chaque être humain. Elles font partie d’un ensemble plus vaste : le temps. Il y a deux façons d’appréhender celui-ci, soit comme un fleuve qui coule et dans ce cas l’homme est un spectateur externe, soit comme une suite de moments et nous, alors, sommes partie intégrante du temps. Einstein a établi que l’espace-temps existe comme un bloc, sans flux. Par conséquent, la question, par exemple, d’un avant big-bang n’a pas de sens. Le temps n’avance pas, il est comme une rivière de glace gelée, dans laquelle chaque instant est figé à sa place. La flèche du temps – passé, présent, futur – n’ayant jamais pu être mise en équation par la physique on peut raisonnablement se poser la question : le temps existe-t-il ?
Certains physiciens ont essayé de répondre à cette question fondamentale. Citons l’un d’eux, Brian Greene (Professeur de physique et de mathématiques à l’Université de Columbia de New York) :
« Le temps existe, mais je pense que certaines des caractéristiques classiques du temps auxquelles nous tenons telle – la distinction entre passé, présent, futur – sont une illusion. En 1905, Einstein nous a appris que si vous et moi sommes en mouvement relatif l’un par rapport à l’autre, les aiguilles de nos montres tourneront à un rythme différent ; à cause de notre mouvement, nos montres ne seront plus synchronisées. Et si nos montres ne sont plus en accord, nous ne serons pas d’accord sur ce qu’est l’instant présent et nous ne serons pas d’accord non plus pour dire ce que sont le passé et le futur. Ce qui est le présent pour moi pourrait être le passé pour vous ; ce qui est le passé pour moi pourrait être le futur pour vous. Et, puisque ma façon de voir n’est pas plus valable que la vôtre, nous sommes forcés d’admettre que la distinction entre passé, présent et futur est subjective cela n’a pas de signification objective. Il s’agit donc d’une distinction sans fondement solide ancré dans les lois de la physique. »
Avant de se poser la question de l’existence du temps, les hommes se sont interrogés sur la relation passé – avenir. Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire on a cherché à prévoir l’avenir. Tous les signes, qu’offrait l’environnement, étaient sujets à une interprétation pouvant donner des indications sur les évènements futurs : position des astres, éclipses, entrailles d’animaux sacrifiés, cartes à jouer, etc. Dans le « même temps », deux conceptions de l’évolution humaine se sont opposées. La première : l’homme est son libre arbitre. Tout son avenir sera conditionné par ses actes et ses décisions à l’instant présent. La deuxième : tout est écrit. L’homme est esclave de son destin, quoi qu’il fasse, les choses se dérouleront inéluctablement. La deuxième conception a longtemps dominé la pensée humaine, aidée en cela par l’emprise des religions.
À partir du siècle des Lumières, l’avènement de la laïcité, la progression du marxisme, la démystification des phénomènes par la science ont redonné à l’homme une responsabilité sur son avenir. Mais paradoxalement, le déterminisme a été simultanément, conforté par la mécanique newtonienne basée sur l’interaction cause – effet. Elle démontre que si on connaît à un instant t tous les paramètres d’un phénomène on peut à l’aide de l’application des lois de la physique déterminer l’état du phénomène à l’instant t+1. Le fonctionnement de tous les dispositifs technologiques qui nous entourent, l’explication de la mécanique céleste, pour ne citer qu’eux, sont autant de réussites qui ont permis de conforter cette vision des choses. Certains se sont interrogés sur le hasard. La chute et le nombre affiché par un dé sont-ils un effet du hasard ? Non ! Ont répondu les déterministes : s’il était possible de connaître précisément les paramètres qui régissent la chute, il serait possible de déterminer le résultat de la chute. Pour eux le hasard n’existerait pas ; seule la complexité de l’univers empêche de tout prévoir. Ainsi donc l’interaction cause – effet régirait l’évolution des choses et à fortiori les actions humaines. Cette dépendance a reçu un retentissement mondial par « l’effet papillon ». Pourquoi ce modeste lépidoptère (mite) a-t-il surgi dans l’actualité scientifique et journalistique ?
L’effet papillon est une expression inventée par le météorologue du MIT (rien avoir avec l’insecte qui se régale de nos pull-overs) Edward Lorenz. Elle stipule que chaque action, même la plus anodine, peut avoir à long terme des conséquences importantes, souvent résumée par la question de Lorenz « Le battement des ailes d’un papillon au Brésil déclenche-t-il une tornade au Texas ? ». Il a découvert que dans les systèmes météorologiques, une infime variation d’un élément peut s’amplifier progressivement, jusqu’à provoquer des changements énormes au bout d’un certain temps. Cette notion ne concerne pas seulement la météo, elle a été étudiée aussi dans différents domaines. Si on l’applique aux sociétés humaines, cela voudrait dire que des changements de comportement qui semblent insignifiants au départ peuvent déclencher des bouleversements à grande échelle.
Le concept lui-même préexistait depuis très longtemps dans la sagesse collective, à travers des proverbes, comme « petites causes, grands effets » ou par des maximes comme celle de Benjamin Franklin :
À cause du clou, le fer fut perdu
À cause du fer, le cheval fut perdu.
À cause du cheval, le cavalier fut perdu.
À cause du cavalier, la bataille fut perdue.
À cause de la bataille, la guerre fut perdue.
À cause de la guerre, la liberté fut perdue.Tout cela pour un simple clou.
Mais Lorenz lui a donné une formulation mathématique et métaphorique plus forte.
L’effet papillon met en exergue l’interaction cause – effet dont les effets ont été amplifiés exponentiellement par rapport à la cause. Mais dans la majorité des cas les effets ne sont pas aussi spectaculaires.
Quand l’homme se retourne vers le passé, il constate que les évènements qu’il a vécus sont en rapport direct avec les choix, les décisions et les actes qu’il a réalisés. Il le sait et par la même il croit avoir son libre arbitre. En faisant d’autres choix, il aurait pu modifier son devenir. Et pourtant si on admet comme vrai le déterminisme, tout l’avenir d’un homme est écrit dans l’instant présent. Ses choix mêmes sont écrits. Il n’en reste pas moins qu’il soit maître ou non de ses actes, l’homme n’en est pas pour autant conscient des effets de ses actes.
Les choses sont loin d’être tranchées. Les scientifiques découvrent que l’infini petit et l’infini grand refusent de se plier au déterminisme. Le chaos et l’aléatoire y règnent en maître. Et si le « hasard » existait ? Peut-être serions-nous libres ? N’avons-nous pas inventé « Dieu » pour fuir cette responsabilité ?
Je trouve que voilà une façon originale d’aborder ce sujet philosophique !
C’est drôle, en commençant ce texte, j’ai tout de suite pensé à la complexité des prévisions météorologiques et à nos limites (un mot que ne désavouera pas un mathématicien) ! Si l’on pouvait prévoir la météo…
Ah ! Merci de m’avoir affranchi, j’avais toujours pensé que ce papillon résidait dans la jungle de Bornéo !
Oui, l’effet papillon ! les effets d’une nuée de papillons… Tiens, voilà un thème éminemment poétique !
Cet essai (tu aurais pu le publier dans la rubrique “Essais”) sur la liberté me fait aussi penser à ce vieux débat que j’ai régulièrement avec notre chère Purana au sujet de l’inné et de l’acquis. Je suis un tenant de l’acquis ; c’est peut-être encore une croyance de ma part, mais je me dis que sans cela il ne reste plus qu’à se coucher et à attendre l’inéluctable. Alors, oui à la liberté qu’on se construit, qu’on s’accorde. Ceci dit, je n’oublie pas non plus Etienne de La Boétie et son “Discours de la servitude volontaire”, servitude qui est finalement une sorte de liberté, non ? Tiens, il va falloir que je le relise !
Mais toi, tu ajoutes à ce caractère inextricable de l’inné et de l’acquis une variable supplémentaire, externe si je puis dire : le hasard…! Dès lors, je renonce à polémiquer (Paul et Mickey !) davantage. Trop compliqué pour moi.
Devrais-je alors me réfugier dans la croyance ? puisque tu ne fais que me faire douter ? Comme quand on croit à la métempsychose ou aux voyages dans le temps : pourtant qui a vu quelqu’un se réincarner, ressurgir du passé ou nous revenir du futur ?
Oui, tout cela, comme tu finis par le noter, devient une question de croyance ou de foi, et comme demandait Jacques Chancel dans ses interviews : “Et Dieu, dans tout ça ?“
Oui, il est resté là longtemps (Dieu, pas Jacques Chancel) pour expliquer l’inexplicable, jeter un voile sur nos interrogations existentielles et fondamentales ; mais je trouve que sa côte a bien baissé dernièrement et que nous sommes passés de la terreur de Dieu (Dieu est-il terroriste ?), un Dieu qui s’occupait de tout et confortait notre fatalisme douillet, à d’autres terreurs plus prosaïques qu’on nous exhorte – en prônant les valeurs de la responsabilité individuelle – à gérer par nous-mêmes.
Ô tempora, Ô mores ! comme disait Cicéron.
Ainsi-soit-il ! Inch Allah ! Amen.
Tout d’abord je dis bravo ! Bravo pour avoir rédigé un commentaire sur cet essai et de l’avoir bien argumenté. Je dois avouer que lorsque j’ai mis en ligne ce texte, j’ai eu immédiatement du regret, car il dénote par rapport aux poèmes et aux nouvelles traditionnels.
Je me suis dit un peu trop imbu de ma personne, tu lances une réflexion sur un sujet, certes ancien, mais difficile. Il restera sans réponse dans la mesure où il ne s’agit pas d’évoquer le ressenti sur des vers plus ou moins bien troussés ou d’analyser la pertinence, la rédaction et le déroulement d’une nouvelle, mais bien de s’engager et d’argumenter dans une réflexion fondamentale que tout un chacun a fait ou devrait avoir fait.
Dans ce commentaire le débatteur ne devra pas simplement dire s’il est pour l’acquis ou l’inné, mais développer plus loin sur ce sujet…
L’avenir dira si le destin de cet essai est de terminer dans les oubliettes d’Internet ou d’acquérir quelques commentaires…
bonjour
Et merci de cet essai qui montre comment chacun peux réagir à la lecture des textes, en ouvrant vers une pensée complexe
c’est pour cela que je pense que la poésie, l’écriture peut faire des vagues, aider à réfléchir , rêver le monde, le réinventer
peut être le seul moyen d’en sortir ?
je ne sais si nous sommes libres, ( le passé compte) mais je pense profondément à la responsabilité qui nous lie dans l’univers, chaque mot, chaque geste prend racine et porte ses effets, comme si le monde du vivant, était relié, comme les arbres qui “se parlent”, en envoyant les particules informatives, ou s’entraident par les racines, comme les ondes des pierres qui nous aident, le magnétisme qui nous traverse…les ondes de basse fréquence qui permettent aux éléphants de communiquer…
voici ce poème indien:
Je sens
que toutes les étoiles
palpitent en moi.
Le monde jaillit
dans ma vie
comme
une eau courante.
Les fleurs s’épanouiront
dans mon être.
Tout le printemps
des paysages
et des rivières
monte comme un encens
dans mon cœur,
et le souffle
de toutes choses
chante en mes pensées
comme une flûte.
(Rabindranath Tagore)
Sommes nous en fait qu’une particule pensante ?
Cette vidéo magnifique pour illustrer cette question !
Mais, Loki, tu n’as certes pas à battre ta coulpe en alimentant notre rubrique essai. Il ne s’agit effectivement pas là de la même écriture que celle des poèmes ou des nouvelles qui appellent des commentaires plus “littéraires”, mais ce genre a parfaitement sa place ici et il est malheureusement trop négligé.
Oui, cela m’intéresse de débattre ainsi sur des questions fondamentales, pour autant que le texte ne tourne pas à la vile politique ou à un prosélytisme qui serait banni.
Alors, oui, le thème de la liberté m’intéresse, et il m’intéresse aussi et surtout de savoir comment d’autres se l’approprient, et avec quel arguments.
Nous sommes, oui, une partie et un tout du cosmos et j’aime bien ce poème indien que nous livre Ska, et aussi ta vidéo qui en est un genre d’écho et qui me ramène à une modestie nécessaire.
Ceci dit, je prends la liberté de dire que ces considérations cosmiques ne m’aident pas à avancer dans la question : “Suis-je libre, de quoi, et jusqu’où ?” Je n’espère pas non plus que nous allons clore ici le sujet, et j’espère qu’il sera encore alimenté par d’autres ou par les mêmes !