On peut dire que l’instant fut grave et la surprise aiguë.

Dans une lointaine imprimerie, dont l’histoire n’a pas retenu le nom, un jeune apprenti, au XVIe siècle, eut l’idée d’associer des signes : un accent aigu et un accent grave.

Son maître fut d’abord abasourdi, même outré.

C’était un sacrilège de toucher les lettres de la langue française. Comment l’apprenti avait-il eu l’audace de faire copuler deux accents immémoriaux pour engendrer un tel monstre ?

L’imprimeur était conservateur, mais son esprit avait gardé une certaine ouverture. L’apprenti lui ayant justifié son idée, il devint moins sévère, et il fut bientôt convaincu.

Le novice avait réfléchi : entre l’accent aigu, qui relève un peu la syllabe, et le grave qui la rabaisse, il serait intéressant d’inventer un signe composé des deux autres, qui étendrait le son. L’accent circonflexe était né !

Appelé circumflexus en latin (« fléchi autour ») il deviendra circonflecte en français avant de prendre sa forme définitive de circonflexe.

Ce sont les raisons pour lesquelles le « diacritique » ^ prit le nom qu’il a actuellement.

Pour le lecteur peu averti, on précisera que les signes diacritiques sont des signes qui n’ont d’autre but que d’empêcher la confusion des mots. Par exemple l’accent grave est mis sur « où » adverbe pour le distinguer de « ou » conjonction.

Comme l’écrira plus tard Jules Renard, telle une hirondelle, l’accent circonflexe s’éleva au-dessus de l’écriture française.

Il est devenu le couteau suisse de la langue française.

 

Du côté des « è » et des « é », ce fut un tollé. Ces voyelles trouvaient que cette union était contre nature. Que venait faire cet intrus ? Depuis longtemps l’accent aigu et l’accent grave régnaient sur la langue française. Avait-on besoin de cet avorton d’accent qui penchait en même temps vers la gauche et vers la droite ?

 Mais que faire contre les imprimeurs et les grammairiens qui sont les maîtres de l’écriture ? Les « é » et les « è » durent s’incliner !

Dans un premier temps l’accent circonflexe commença également à être utilisé pour indiquer la suppression de certaines lettres. Ainsi, en ancien français, les mots comportaient souvent un « s » là où l’on retrouve aujourd’hui un accent circonflexe. Les Français du Moyen Âge prononçaient encore cet « s », mais peu à peu, il a cessé d’être prononcé. Les imprimeurs, pour conserver la mémoire de ce « s » disparu, ont adopté l’accent circonflexe, influencés par des grammairiens.

L’accent circonflexe peut coiffer les voyelles a, e, i, o et u.

Les choses ne sont pas simples.

 Ainsi, quand met-on un accent circonflexe sur le i ?

Son rôle est à chaque fois de souligner la prononciation de la lettre qu’il surligne ou de distinguer des mots homonymes ou homophones. Par exemple : île ; abîme ; aîné ; dîner ; maître…

Avec les « i » les difficultés des écoliers ne font que commencer !

Le mot « cîme » ?

On les rassure tout de suite, il ne faut pas mettre d’accent sur cime. Pour s’en souvenir, on cite souvent la phrase : l’accent du mot cime est tombé dans un abîme !

Pour les voyelles a, e, o et u les choses sont plus compliquées…

L’accent circonflexe a une fonction phonétique, c’est-à-dire qu’il sert à préciser la prononciation d’un mot. Il ne peut être employé dans ce cas que sur trois voyelles : le « a », le « e » et le « o ».

 D’autre part, comme on l’a déjà précisé précédemment l’accent circonflexe est employé systématiquement pour indiquer l’absence d’une lettre, (généralement un « s »).

On parle d’amuïssement qui consiste en l’atténuation ou, le plus souvent, la disparition complète d’un phonème ou d’une syllabe dans un mot.

La lettre « s »est la plus fréquente, mais parfois cela concerne aussi une autre lettre aage → âge ; baailler → bâiller ; piquure → piqûre ; saoul → soûl (les deux orthographes étant admises encore actuellement) ;

 

L’accent circonflexe conserve aussi un rôle pour différencier des homonymes, comme sûr et surjeûne et jeune, etc.  Enfin, parfois, la langue française jouant avec les difficultés, la suppression du « s » ou de tout autre lettre, n’a pas donné lieu à un accent circonflexe. Ainsi « otage« , venant de » hostage » aurait pu s’écrire « hôtage » alors que les Anglais ont gardé le vieux mot français de Guillaume le Conquérant :  à Londres « otage » se dit toujours « hostage« . Non seulement ils ont gardé le « s », mais ils ont également conservé le « h ».

 

L’emploi de l’accent circonflexe étant extrêmement complexe (tient voilà un exemple de mot avec notre accent), depuis la réforme de 1990 du Conseil supérieur de la langue française, approuvée par l’Académie française, l’accent circonflexe est devenu optionnel sur les lettres i et u des mots où il figurait jusqu’alors, pourvu qu’il n’y ait pas d’ambiguïté possible avec un autre mot. Ainsi on peut désormais omettre l’accent circonflexe de mots comme maitre, flute, huitre, etc. Cependant, pour éviter les confusions possibles, il faut conserver l’accent circonflexe, dans la terminaison de certains verbes (au passé simple), comme pour « dû », sur des mots comme mûr, jeûne, sûr pour les différencier de leurs homonymes.

 

La jalousie existe-t-elle chez les voyelles ?

Il faut le croire, car s’étant réuni dans un livre dont nous tairons le nom, après une enquête minutieuse sur la langue française le résultat fut édifiant.

619 Mots avec « î »

1.668 Mots avec « â »

960 Mots avec « ê »

450 Mots avec « ô »

Vous ne serez pas étonné si le « â » sortit de la réunion en se pavanant comme un coq et le « ô » complètement dépité. D’autant que le score de fréquence dans la langue française des différentes lettres : « e » 12.10%, « a » 7.11%, « i » 6.59%, « o » 5.02% le classait en dernier des voyelles. Seule consolation il se classait en 8e position dans l’ensemble des lettres de l’alphabet !

Pendant que les voyelles se disputaient sur l’accent circonflexe, d’autres lettres contestaient sa présence dans certains mots.  Le « s » était le plus virulent ! Elles argumentaient en sortant une liste conséquente : âcre, aîtres, alcôve, âme, arôme, août, bâcler, bâfrer, bâillon, bêler, câble, câpre, chaîne, châle, châsse, diplôme, disgrâce, dôme, drôle, empêcher, extrême, fêler, flâner, frêle, gêne, geôle, grâce, infâme, maltôte, mânes, môle, pâle, pâtir, (une) poêle, pôle, prêche, prône, râble, râle, rêne, Rhône, rôder, rôle, salpêtre, symptôme, suprême, trône, vêler. 

Aucune antériorité historique « s » originel devenu muet ne justifiait le moindre de ces accents circonflexes. D’où sortaient-ils donc, ces circonflexes ?

Le « s » hurlait : il s’agit d’une véritable escroquerie linguistique !

Le « m » plus modéré disait : Il y a du sacré dans le circonflexe. Leurs existences seraient plutôt à chercher, pour une bonne part d’entre eux, dans une propension non dite à l’ennoblissement graphique…

Mais l’accent circonflexe n’avait que faire de cette cabale !

Cependant 46 % des « fautes » d’orthographe au baccalauréat sont dues à l’accent circonflexe, qu’importe ! Il y a toujours des bavures…

Tranquillement continuant à survoler l’écriture de la langue française, ce noble accent n’avait que faire des piaillements de la valetaille.

Et pourtant !

Étant présent dans un traducteur il eut un haut-le-cœur.

Là il fut confronté à un autre symbole diacritique presque similaire à lui-même, le caron.

Dans d’autres langues, (comme en tchèque, en slovaque, etc.) on s’était permis d’inverser l’accent circonflexe qui se retrouvait avec la pointe vers le bas.

 Č, š, ž : ce symbole se plaçait sur des consonnes…

En discutant avec d’autres signes de ponctuation, il constata qu’en espagnol on avait la particularité de transformer le point d’exclamation « ! »  en « ¡ ».

En début de phrase il se retrouvait à l’envers avec le point vers le haut !!!!

De là à faire, une révolution, il n’y a pas loin ! !

Nous suivrons de près l’évolution de ces deux cas…

Peut-être que d’autres se joindront à eux …

On attend la réaction des grammairiens de ces pays.