Derrière le mur, la marge.
On ne sait pas si elle est habitée, on ne sait pas jusqu’où s’étend
cette marge inquiétante, si désirable.
Il faut essayer… Passer le mur pour explorer la marge. Pour savoir.
Ici, pas de Check Point Charlie, seul ton surmoi monte la garde.
Derrière ce mur qui barre ton quotidien, la marge, l’évasion,
le grand frisson,
le “Tu ne m’attraperas jamais plus, chienne d’habitude.“
Dans la marge, quand tu as passé le mur, les étoiles scintillent doucement, un merveilleux sentiment de liberté.
Tu flottes. Tu respires profondément.
Des courants tièdes t’entraînent.
Fermer les yeux, te laisser bercer par ce fleuve qui t’emporte, confiant comme Moïse.
Ah ! L’air si pur de la transgression, d’une nouvelle liberté, les murs abolis.
Comme la marge est belle, comme elle est grande !
C’est tellement bon, tu t’habitues, tu ne penses plus, tu te laisses aller,
et alors le courant de plus en plus fort, de plus en plus tiède,
t’entraîne derrière un autre mur.
Le même.
Merci pour cette mise en abyme: la marge a en effet elle-même un bord … Après le check-point Charlie, on traverse un no man’s land et on arrive à un autre mur qui donne sur “l’autre côté” , l’autre côté du mur qu’ont bien connu les Berlinois.
Être en marge de quelque chose c’est finalement ne pas en être si loin. Une fois passé l’attrait de la transgression, on aspire à franchir une nouvelle limite à moins que ce ne soit la limite qui nous aspire ?
Derrière le mur, il y a le thème de la marge, terme particulièrement vaste en français puisqu’il recouvre à la fois la lisière, le bord mais aussi le pourtour d’une page écrite ou imprimée propice aux annotations, ou encore l’espace ou le temps disponible et même le profit financier.
Hermano, tu nous amènes très loin avec ta marge !
En effet si on feuillette le dictionnaire, on trouve :
Marge
· Ce qui constitue la limite. Marge d’erreur, de tolérance.
Liberté dans une action ou un acte. Avoir de la marge pour faire quelque chose. Marge de liberté, de réflexion. Marge de manœuvre.
· Espace blanc situé à l’extérieur du texte écrit.
Partie de cet espace située à droite du recto et à gauche du verso. Annotation en marge.
Dans ton texte tu explores en effet que l’espace qui est “à côté”, pour toi derrière le mur. Bien sûr j’ai compris que ce mur n’est que symbolique et que “la marge” est cette autre chose à laquelle nous aspirons. Le bon sens populaire dit que l’herbe est plus verte dans le champ du voisin. Plus brutalement je dirai : écrasez l’habitude avant qu’elle vous écrase, une autre façon de dire “Tu ne m’attraperas jamais plus, chienne d’habitude.“
Je ne crois pas te trahir quand tu écris :
C’est tellement bon, tu t’habitues, tu ne penses plus, tu te laisses aller,
et alors le courant de plus en plus fort, de plus en plus tiède,
t’entraîne derrière un autre mur.
Je dirais plus simplement : un jour l’herbe est moins verte dans le champ du voisin…
Ta marge n’a pas de limite contrairement à ces autres marges qui en ont une : marge d’erreur, de tolérance.
Dans ta marge tu cherches surtout une liberté sans limites…
C’est la raison pour laquelle tant de gens essaient de vivre à la marge ! D’autres malheureusement vivent en marge, sans aucune liberté…
Oui, Loki, tu as tout compris, dans le pré d’à côté une herbe une herbe qui n’est finalement pas aussi verte qu’on aurait cru… Ma marge a pourtant cette limite-là : on croit s’échapper mais on en revient souvent aux même ornières.
Quant à “vivre à la marge“, je le ressens comme vivre “accroché à la marge” en espérant au contraire quitter cette marge pour rejoindre une sorte de “normalité”, si tant est que la normalité existe, soit normale et désirable. Encore un sujet qui peut nous amener loin.
Merci Line, d’avoir lu et commenté. Oui, étrange marge, qui nous attire ou nous inquiète, dans laquelle on voudrait mettre un pied mais on a peur de faire désordre ; et pourtant… les délices de la transgression nous appellent jusqu’à ce que, pour certains, ce besoin de transgression devienne aussi une sorte de normalité, une façon d’être… Bon, j’arrête là ce petit délire qui n’a pas trop de sens !
Cher Hermano,
J’ai apprécié la lecture de ton texte. Je le trouve profond. La fin est probablement vraie.
C’est comme si je lisais une autre version de mon “Sur le fil du rasoir“.
Les deux textes parlent de cet inconnu mystérieux de l’autre côté et de cet irrésistible désir d’y aller.
Les doutes sont prédominants dans nos deux récits. Nos pensées finales, cependant, sont si différentes.
Les tiennes sont plutôt pessimistes ; convaincu qu’une fois là-bas, ce “perpetuum mobile” t’obligera à rester immobile derrière ce mur :
[…] C’est tellement bon, tu t’habitues, tu ne penses plus, tu te laisses aller, et alors le courant de plus en plus fort, de plus en plus tiède, t’entraîne derrière un autre mur. Le même.
Au contraire, moi, l’éternelle optimiste, semble avoir trouvé la raison de faire le grand saut :
[…] dans ton monde de l’autre côté, il n’y a que la conscience universelle qui règne et que pour celle-ci la notion de temps n’est qu’un caprice, c’est une sorte d’ici et maintenant éternel sans passé ni futur. Je me demande donc pourquoi ne pas s’aventurer sans désespérer ni clamer victoire puisque le lendemain n’arrivera peut-être jamais et l’ancien ne se répétera plus ; oui, il faut que j’habite le jour. […]
Je dirais “le mur est épais mais la fenêtre est suffisamment grande, pour peu qu’on joue à l’équilibriste sur une margelle”.
Bonne journée.
L’habitude reprend toujours le dessus. Est-ce si vrai ? On aimerait tellement croire que non, qu’il suffirait de franchir le mur pour nous régénérer ! Respirer un autre air, se laisser flotter ? Aïe ! Le danger est là ! C’est que de l’autre côté la lutte nous attend aussi, lutter ou nous laisser porter … jusqu’au pied du même mur. Alors peut-être rester de ce côté et y faire verdir notre herbe ? En entretenant la nécessaire illusion de la marge, pour garder la conscience de l’habitude qui nous ronge.
Très beau texte, Hermano, qui pose avec talent une question lancinante.
Merci Purana, d’avoir lu et commenté ainsi.
Oui, tu as raison, mon texte est peut-être pessimiste, mais ce retour derrière le mur reste indolore car je crois que l’on ne s’en rend pas compte ! Peut-être suis-je aussi simplement lucide ?
En fait, je ne crois pas qu’il y ait finalement autant de différence entre le pessimisme de mon texte et l’optimisme du tien : je me demande simplement si, arrivée de l’autre côté, tu seras satisfaite ou bien si tu chercheras encore un autre nouveau côté à atteindre en passant sur le fil du rasoir… Bref, est-ce que, comme-moi, tu ne te retrouveras pas à ton point de départ, avec les mêmes désirs, les mêmes envies, les mêmes pulsions, les mêmes illusions ? Dans les deux cas, le mien comme le tien, ne s’agit-il pas d’une quête improbable et jamais assouvie… ? La différence, c’est que tu crois qu’arrivée de l’autre côté, tu auras atteint le but… le côté optimiste de ton texte ! 🙂
@Chamans : merci d’avoir pointé “la nécessaire illusion de la marge” pour illustrer la désillusion que j’ai cherché à exprimer dans ce texte un peu existentiel ! Oui, et cela me renvoie même à la théorie de la relativité, c’est dire ! mais je ne voudrais pas saturer l’espace libre des commentaires tant qu’il en reste un peu. :-)))