Texte issu lui aussi d’une atelier d’écriture et librement inspiré de l’histoire de Pyrame et Thisbé dans les métamorphoses d’Ovide. Il y avait trois mots imposés que vous n’aurez aucun mal à deviner.
“Revenons demain vers ce mur qui nous sépare mais qui aussi nous unit”
Chaque soir ils devaient s’écarter de cette frontière érigée entre les deux jardins de leur maisons respectives et cela afin de n’éveiller aucun soupçon et rejoindre, comme si de rien n’était, leur famille qu’ils aimaient et maudissaient à la fois. Avant de se quitter ils murmuraient ces quelques mots à travers la minuscule brèche qui laissait passer leurs voix, faisant ainsi survivre leur amour interdit. Leurs parents, héritiers d’une rancune recuite mais dont on avait néanmoins oublié l’origine, ne pouvaient concevoir une union qui relevait de la plus haute trahison d’une lignée d’ancêtres ayant, de part et d’autre, longuement nourri une haine féroce envers la famille voisine, ennemie jurée depuis la nuit des temps.
Ainsi revenaient-ils de jour en jour échanger les mots les plus tendres, les plus beaux, tout chargés d’une poésie amoureuse d’autant plus intense qu’ils étaient le véhicule d’un amour aiguillonné par la clandestinité que leur imposait la tyrannie des interdits familiaux.
Elle ne se prénommait pas Juliette, ni Thisbé et lui on ne l’appelait ni Roméo ni Pyrame. Non ! Elle c’était Mauricette et lui c’était Marcel. Ne riez pas, les Mauricette et les Marcel ont aussi droit à leur histoire d’amour.
C’est ainsi qu’afin d’échapper à leur funeste destin, à force de ruses et de dissimulations, ils réussirent un jour à tromper la vigilance de leurs parents et à se fixer un rendez-vous en un endroit éloigné où personne ne pourrait les débusquer, un terrain vague envahi de ronces. Nous étions en été et Marcel, arrivé le premier, s’employa à cueillir des mûres sur les longues branches incurvées de ces buissons agressifs, alourdies par l’abondance des fruits. Il s’égratigna rapidement les mains, qui rougirent sous l’effet du sang et du jus de ces succulentes baies cueillies pour sa bien aimée. Il se saisit alors d’un mouchoir pour s’essuyer les doigts et le jeta au loin, le bout d’étoffe s’accrocha comme un signal à une ronce balancée par le vent, sans s’en soucier le jeune homme gagna un espace libre de toute végétation où il s’assoupit sous l’effet du soleil et des promesses de cette merveilleuse attente. Mauricette parvenant à son tour sur les lieux découvrit avec horreur le mouchoir ensanglanté et fut glacée d’effroi à la vue de Marcel étendu qu’elle crut mort. Voici une suite tragique à cette découverte terrifiante, Mauricette, sentant le monde s’écrouler et désormais vide de tout sens pour elle, se donna la mort sur le corps de son amant, celui-ci rouvrit alors les paupières pour sombrer dans un désespoir si profond qu’il rejoignit sa bien aimée dans le trépas pour une union éternelle.
Mais je ne suis pas Ovide, encore moins Shakespeare et l’histoire de Marcel et Mauricette ne finit heureusement pas de façon aussi dramatique. La première émotion passée et constatant que son amour s’était tout simplement abandonné aux bras de Morphée, elle lui prit lentement la main, en écarta délicatement l’index pour l’introduire langoureusement dans sa bouche, et fermant les yeux elle se délecta de la saveur sauvage des mûres et de l’âcreté discrète du goût du sang. Marcel bascula en douceur du songe d’amour ou l’avait entraîné son sommeil dans une réalité dont il sentit tout de suite qu’elle allait mieux encore répondre à ses espérances. Ils s’aimèrent avec une fougue à la mesure du désir si longtemps entretenu de part et d’autre de ce mur qu’ils ne reverraient plus. Ils s’enfuirent en effet vers la grande ville, Mauricette y trouva un emploi de lingère dans une maison bourgeoise et Marcel un travail de débardeur sur les quais de Seine. Tous les soirs ils se retrouvaient à la station de métro Babylone, puis main dans la main ils montaient les escaliers jusqu’à la surface où non loin de là ils rejoignaient leur modeste logis, petit nid d’amour où sur une étagère trônaient toujours quelques pots de confiture de ce fruit rustique qui avait consacré leur idylle.
Mais nous arrêterons là leur histoire, alors que Mauricette était toujours la plus belle fille du métro Babylone et que Marcel en était le plus beau jeune homme, et avant que le temps ne vienne ternir leur amour.
Une histoire de Mur, de MurMures et de Mûres, entre Mauricette et Marcel.
Vous vous doutez bien que si on leur eut demandé de retenir une seule lettre de l’alphabet c’eut été “M” !
La littérature est pleine d’aventures de couples célèbres dont l’issue est souvent fatale. Aussi l’idylle de Mauricette et de Marcel donne un peu de baume au cœur.
Je constate et c’est voulu que l’histoire de nos deux amoureux est une transposition directe de l’histoire de Pyrame et Thisbé.
Comme eux, pour se parler, ils se rendent au fond du jardin et se murmurent des mots doux à travers une fissure du mur mitoyen.
Pyrame était un jeune babylonien, Marcel retrouve sa belle à la station de métro Babylone. Le foulard ensanglanté est remplacé par un mouchoir imprégné du jus de succulentes baies.
Un Ovide ou un Shakespeare 2024 aurait écrit ces quelques lignes, il se serait arrêté à un trépas pour une union éternelle.
Ce qu’il ne faut pas faire pour apitoyer les lecteurs !
Que Chamans soit remercié pour nous écrire une fin moins tragique. Nous avons assez de la réalité pour nous miner le moral…
J’ai toujours adoré les histoires de murs ; tellement inspirants, les murs (murs du son, murs du silence, murs de l’ennui). Et les jardins, alors !!
Je vois avec plaisir que tu tutoies Shakespeare et Ovide. Ovide ! L’Ovide de mes versions latines. Mais pas seulement.
(entre parenthèses, je tiens à dire « pas seulement » car j’ai en horreur le « pas que » de plus en plus en vogue depuis plusieurs années et qui m’écorche les oreilles ! Imagine-t-on le Général de Gaulle ou son amiral de fils dire « il n’est pas que beau, … » ? Bon, je ferme les guillemets et la parenthèse.)
Je disais donc que tu ne tutoies pas seulement Shakespeare et Ovide, mais un autre grand maître.
J’ai mis un moment à retrouver ce qui suit et je suis sûr que vous reconnaitrez l’auteur et l’ouvrage dont ce passage est tiré. Franchement on dirait un morceau de ta petite nouvelle :
À partir de ce jour-là, ils s’écrivirent régulièrement tous les soirs. Emma portait sa lettre au bout du jardin, près de la rivière, dans une fissure de la terrasse. Rodolphe venait l’y chercher et en plaçait une autre, qu’elle accusait toujours d’être trop courte.
Un matin, que Charles était sorti dès avant l’aube, elle fut prise par la fantaisie de voir Rodolphe à l’instant. On pouvait arriver promptement à la Huchette, y rester une heure et être rentré dans Yonville que tout le monde encore serait endormi. Cette idée la fit haleter de convoitise, et elle se trouva bientôt au milieu de la prairie, où elle marchait à pas rapides, sans regarder derrière elle.
Je trouve ton texte fort bien tourné et bien sûr toutes ces références, en mettant le lecteur en connivence, en font tout charme, .
Un plaisir de lecture, du grand art, et j’en redemande !