Un jour un jardinier qu’un modeste labeur à peine nourrissait
Et ne pouvant s’offrir ceinture ni bretelles,
Las de risquer sans cesse une chute fâcheuse
De son vieux pantalon,
Se saisit d’un cordeau dont il n’avait l’usage
Pour entourer sa taille et, malgré sa maigreur,
Maintenir la guenille à décente hauteur.
Le cordeau se plaignait de ce coup du destin :
« Moi qui ai tiré autant de lignes droites,
Indiquant de deux points le chemin le plus court,
De notre compagnon qui ai guidé la main pour force repiquages,
Me voici aujourd’hui roulé courbé noué et lié pour la vie
A une vieille harde »
Le pantalon vexé répliqua promptement :
» Mon Dieu que d’arrogance d’inutile dédain !
Moi qui sut en tous temps le protéger du froid
En toutes circonstances assurer sa pudeur,
Qui connut dans mes ganses les plus solides cuirs
Crois-tu qu’il me soit juste quand viennent mes vieux jours
De partager la vie d’une vieille ficelle ? »
Et tout à leur rancoeur aucun des deux compères
N’avisa sous le bras du vieil horticulteur
Un pantalon tout neuf un beau jeu de bretelles,
Offerts par son patron le jour de la saint Fiacre.
Et le vieux vêtement et le cordeau usé qui le saucissonna
Aboutirent d’un jet dans un massif d’orties.
Même si vos mérites y sont mal mesurés
Ne vous lamentez point sur votre destinée
Préparez vous plutôt à la voir empirer.
Je suis ravi Chamans, car ta poésie, et ce n’est pas un hasard, ressemble une fable de La Fontaine.
Ce dernier est à mon avis un des meilleurs auteurs de la langue française.
Beaucoup d’écrivains ont essayé de parodier « le corbeau et le renard. » Le plus souvent avec une réussite mitigée.
J’ai beaucoup aimé « Le cordeau et le bénard ».
En fait ce n’est pas une parodie de la célèbre fable, seul le titre peut être qualifié de parodie.
Je pense que La Fontaine aurait apprécié le contenu de ton poème qui est en fait une fable. Il contient tout ce que doit contenir une fable : une action et une morale.
Je me pose seulement la question est-ce qu’un jeune lecteur comprendra le mot « bénard » ? Il fait partie de ces mots argotiques tombés en désuétude comme « froc », « bénouze », « falzar », etc. Et je ne parle pas de « cordeau » …
Les mots vieillissent, comme nous !
J’ai déclenché une incompréhension, quand j’ai parlé à mes petits-enfants d’édicules.
J’avoue la même incompréhension quand je suis en présence de nouveaux mots de la jeune génération.
En tout cas je me suis régalé en lisant « Le cordeau et le bénard ».
PS
Une coquille en tête « jardiner »à « jardinier »
Merci Chamans.
Quelle langue alerte, savoureuse, croustillante, élégante.
Te lire est un vrai régal et l’emploi de ce mot argot est la cerise sur le gâteau.
Merci Chamans pour cette fable qui m’a enchantée ! Quel pastiche savoureux, élégant et plein de sagesse. Tu utilises moultes tournures qui n’auraient pas déparu au XVIIe siècle : décente hauteur, qui connut dans mes ganses les plus solides cuirs, crois-tu qu’il me soit juste, la référence à Saint Fiacre le patron des jardiniers et pour finir la morale rédigée et rythmée dans un style très Grand Siècle… Bravo !
Je partage la remarque de Loki sur le bénard, j’ai mis qq temps à comprendre ce dont il s’agissait, et cela doit malheureusement être incompréhensible pour les moins de 50 ans (ou plus ?). Il n’en demeure pas moins que c’est très bien fait.
Pour peaufiner, il manque quelques virgules, traits d’union et des sauts à la ligne pour différencier les phases de l’histoire :
entre Maintenir la guenille à décente hauteur. et Le cordeau se plaignait de ce coup du destin
De partager la vie d’une vieille ficelle ?” et Et tout à leur rancoeur aucun des deux compères
Il y a une coquille dans le premier vers jardiner au lieu de jardinier.
Waoouh ! Aprè Esope et La Fontaine, voici Chamans !
Une fable parfaite. J’adore qu’on y évoque, dans une belle langue parfaitement maitrisée, une toute petite chose de tous les jours : cette ficelle pour retenir un pantalon, avec à la fois ces accents de modestie et de bon sens rustique qui conviennent si bien aux fables.
C’est une réussite, bravo !
Toutefois, si je peux me permettre un conseil, plutôt que d’écrire « … De notre compagnon qui ai guidé la main pour force repiquages, »
(qui me déroute un peu car le « qui » semble faire référence au « compagnon » plutôt qu’au « cordeau » et qui me donne l’impression d’une faute d’accord sur le verbe avoir qui suit ce « qui »),
je suggère d’écrire « Qui de notre compagnon ai guidé la main pour force repiquages ».
Hum… je ne sais pas si je suis bien clair…?
Quant moi, j’ai tout de suite capté le bénard, mais c’est vrai que je viens de passer 50 ans ! et je connais même le falzar, le froc et le plus habillé futal.
Je vois que tous mes petits camarades sont d’accord avec moi ce texte est remarquable.
Dans une de mes publications « De profundis » j’écrivais :
« dans cette logorrhée de phrases miroitaient parfois de véritables diamants »
Je n’hésite pas à écrire aujourd’hui que nous sommes en face d’une de ces pépites…
Je signe moi aussi des deux mains, et j’ajoute une nouvelle suggestion élaborée grâce à Syllaber, qui d’habitude ne se trompe pas :
https://www.scribblab.com/outils/syllaber
Dieu /que /d’ar/ro/gan/ce /d’i/nu/ti/le /dé/dain
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En /tou/tes /cir/con/stan/ces /gar/der /sa /pu/deur
12
Qui /con/nut /dans /mes /plis /les /plus /so/li/des /cuirs
12
Crois /tu /qu’il /soit /jus/te /quand /vien/nent /mes /vieux /jours
12
Mê/me /si /vos /mé/ri/tes /sont /mal /me/su/rés
12
ou autres meilleurs vocables de l’auteur…
Merci les amis. je suis ravi que ce petit jeu vous ait plu.
Je me suis bien douté que le mot « bénard » pouvait être inconnu de nos oasiens les plus jeunes, puisque peu usité de nos jours, mais les ressources ne manquent pas.
Hermano j’ai bien réfléchi à ta suggestion que je comprends mais je pense qu’il vaut mieux garder la version originale pour une question de rythme : ‘tatatatatatam tatatatatatam tatatatatatam »
J’ai corrigé la coquille, ajouté virgule et trait d’union, merci pour vos remarques.
J’ai pris un vrai plaisir à écrire ce texte.